1983-03-12, Alexandre Marc à Denis de Rougemont
Le 12 mars 1983
* À nos âges, les grippes, surtout sévères, doivent être soigneusement prohibées. Pourquoi n’es-tu pas vacciné ? Exécution !
* Je me réjouis d’apprendre que le Lexique du fédéralisme avance. Ah, si tu pouvais mener ce travail à bien rapidement, cela nous rendrait service.
* En ce qui concerne l’ON, je ne comprends pas, je l’avoue, le dilemme qui sous-tend ta bonne lettre des 5-6 mars :
— Ou bien l’État-nation est un concept créé et lancé par l’ON ;
— Ou bien il apparaît dans l’un de mes articles (n° 14), s’impose progressivement pour envahir finalement les textes de mes « jeunes collaborateurs ».
Étrange dynamique de l’exclusion.
* À dire vrai, je ne me souviens qui, le premier, a parlé de l’État-nation. En règle générale, je me souviens rarement des origines (exemples : a) notre première rencontre ; b) À hauteur d’homme). Ce que je sais, ou crois [p. 2] savoir, c’est que l’usage de ce terme a été imposé par ton féal serviteur.
* … Et pas seulement l’usage. Trop souvent aujourd’hui, « État-nation » est pris au sens d’« État national ». J’ai essayé de dissiper cette confusion par le petit modèle diachronique :
i. État post-féodal
ii. État national
iii. État-nation
iv. État totalitaire
* État national = tentative (insensée) de faire coïncider État et nation.
État-nation = tentative d’intégrer progressivement dans l’État les forces économiques et le reste.
Je ne me souviens plus, une fois de plus, où — ni quand — j’ai indiqué tout cela. En tout cas, je te renvoie à un texte tardif (écrit vers 1956, si je ne m’abuse) : Europe, terre décisive, premier paragraphe : « État national et État-nation » !
* Sans vouloir diminuer les mérites de René Dupuis, je dois dire que ses articles, surtout dans la période héroïque de l’ON, ont été souvent inspirés par moi. Tu es la première personne, me semble-t-il, à [p. 3] qui je le confesse — maintenant que R. D. n’est plus (il est mort il y a deux ans environ).
* Puisque je suis en vaine de vantardise, j’attire ton attention sur le fait que je crois avoir lancé (dans les articles dont est sorti — en 1933 — Jeune Europe) le terme, devenue encore beaucoup plus courant qu’État-nation, de supranational. Je le regrette un peu aujourd’hui : suprastatonational eût peut-être mieux valu.
* Pour ce qui est de la solution apportée à la crise du CEC, elle me paraît trop… réformiste.
Enfin, l’essentiel est que tu retrouves la paix. Et une partie au moins de la place qui te revient (de plein droit).
* Déjeuner à l’Élysée. — Dans les circonstances présentes, et compte tenu de l’écrasante menace qui s’affirme à l’Est, je ne suis pas sûr qu’il soit de bonne guerre (si l’on peut dire) de critiquer la Bombe. La nôtre, en tout cas ; je suis en effet, contre celle du camarade Andropov.
* … et pense aux Œuvres complètes. Une bonne solution doit pouvoir se trouver.