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1984-03-26, Denis de Rougemont à Alexandre Marc

Cher Alexandre,

Dix débuts de lettres ne valent pas une lettre. Surtout quand on ne les retrouve même pas, ce qui est le cas ce soir.

Oui bien sûr nous serons à Pouilly fin juin-début juillet, et on vous y attend de pied ferme, et on vous y logera dans de bonnes places.

Mais avant ça, nous comptons bien aller à Opio en avril, mettons du 10 au 30, et vous voir à Vence et vous avoir chez nous.

Je n’ai écrit à personne depuis des semaines : péripéties plus ou moins dramatiques dans mon champ d’action « culturelle européenne », création de deux fondations européennes de la culture rivale de celle que j’avais fondée au CEC et qui est à Amsterdam et qui nous fait la gueule because Reszler balancé ; grand congrès d’intellectuels à Venise, tous invités sauf nous du CEC, par CEE, CE, les deux nouvelles fondations, le Parlement européen, etc., etc., bref une vaste conjuration anti-Rougemont à l’échelle continentale, avec beaucoup de fric, pas une seule idée, et d’autant plus de publicité (deux pleines pages dans Le Monde de ce jour).

J’assiste à tout cela, qui se révèle par bribes (il est entendu de tous côtés que je ne dois rien savoir) et me sens expulsé de l’époque par des groupes de petits ambitieux d’idéal rigoureusement publicitaire.

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Ci-joint photocopie d’un article de Viansson-Ponté, il y a dix ans, qui te prouvera, du moins que Le Monde n’a pas toujours ignoré nos « années 1930 ». (Il y a des âges que je voulais te l’envoyer.)

Résumé : attendez-vous à recevoir un vigoureux coup de téléphone à partir du 10 avril, proposant et même exigeant une rencontre au plus tôt avec les Marc.

Indéfectible amitié et la bise à tous les deux.
Denis