1932-08-17, Denis de Rougemont à Jean Paulhan
Le 17 août [1932]
Voici la note sur Jouhandeau, critiqué du point de vue barthien. Je suis en séjour dans les feuillages et le silence — juste un grand cri de paon pour donner la note du soleil. J’écris un peu. J’ai repris, pour me mettre en train, le Carnet du Spectateur, retrouvé dans la NRF. C’est d’une précision très excitante pour l’esprit, — amorçante. Je relis aussi Ramuz, aux mêmes fins. J’écris l’histoire d’un homme qui essaie de parler à son angea, trouve une femme au lieu d’un ange, comprend que cet amour n’est qu’une facilité, se retrouve seul, et finit par recevoir de l’ange l’ordre de s’occuper sobrement des humains, dans la plaine (tout se passe à 2000 mètres). Malheureusement, il faudrait le génie de J.-S. Bach pour réussir cela avec la rigueur nécessaire, et le velouté et la palpitation. — Je reprends aussi un essai sur la fin du monde, que je vous donnerai cet automne, si cela vous intéresse.
[p. 2] Je me demande ce que vous avez pensé des poèmes d’Adamov. Ils me paraissent atteindre souvent cette grande simplicité (pauvreté) dont manque tellement la poésie contemporaine (sauf parfois Supervielle, sauf Rilke). Et si les poètes perdent le secret de ce luxe suprême, qui nous restera-t-il pour nous sauver de cet infernal esprit de richesse dont le marxisme est en train de donner la doctrine, plus franchement que ne l’osait le capitalisme. Enfin, j’aime dans ces poèmes le sens des mots et des sons, et même cet air de « traduction »…
Si je n’étais pas baigné dans cette grande paix végétale, je vous envierais votre fort et cette île admirablement « élémentaire » et homérique (avec aussi, à l’intérieur, un petit côté Jules Verne que j’ai beaucoup aimé). Serez-vous de retour à Paris en septembre ? Je vais passer une semaine à Pontigny (Goethe) sans aucun enthousiasme, mais j’y travailleraib.
Le typo a mis « dépanement » pour dépassementc. Nietzsche devient le « chauffeur » qui selon Keyserling est l’idéal de l’homme moderne !