1947-08-08, Jean Paulhan à Denis de Rougemont

Nous voudrions composer (à l’image de Mesures) un petit « hommage à Henry Church ». Ne voudrez-vous pas être des nôtres. Je tiendrais beaucoup à avoir une page de vous, un souvenir, un jugement…a

Merci de votre lettre, qui m’est précieuse. Est-ce que tous les temps ont ressemblé au nôtre ? Ou bien, est-ce que l’événement vraiment nouveau, ce serait, plutôt que le four crématoire ou la bombe atomique, certaine façon de mythifier à propos de tout et de [p. 2] rien. (Surtout, de rien, comme l’ont, somme toute, très bien senti les surréalistes & les existentialistes. Mais les politiques vont plus loin.) Comme si, tout à la fois, nous savions qu’il n’est pas de vrai — ni de vraisemblable — sans un certain fabuleux central — mais que ce fabuleux nous parût pouvoir être, au petit bonheur, n’importe quoi.

C’est très juste et très beau, ce que vous dites de la question de confiance « à écarter constamment ».

[p. 3] P.-S. Ce qu’il est difficile de dire, ce qu’il faut tout de même arriver à faire entendre, c’est qu’il n’a tenu qu’à un léger hasard historique que Rebatet, Drieu, Maurras ne fussent les résistants ; et Benda, Éluard, Thorez, les collaborateurs (et Aragon, le directeur de la NRF). À ce simple hasard que l’Allemagne, non la Russie, nous a conquis.