Penser avec les théories sociologiques pour mieux comprendre et agir sur les inégalités sociales de santé
15 mai 2017
Katherine L. Frohlich est Professeure au département de médecine sociale et préventive de l’Université de Montréal. Les résultats présentés, au travers de l’exemple du tabac, cherchent à montrer l’intérêt de recourir aux modèles théoriques pour appréhender les mécanismes inhérents aux inégalités sociales de santé.
Comment aborder la question des inégalités sociales de santé ?
Lorsque l’on aborde le thème des inégalités sociales de santé (ISS), deux questions sont essentielles : comment savoir sur quoi intervenir (la question étiologique, les causes) et comment réduire les ISS (c’est-à-dire comprendre ces causes afin de monter des interventions qui ne vont pas aggraver ces ISS) ? Selon Katherine Frohlich, ces deux dimensions sont insuffisamment prises en compte de manière imbriquée. Son approche entend éviter de tomber dans l’écueil d’une compréhension des ISS centrée sur les comportements individuels. Les données sur le tabac à Montréal montrent des variations dans la consommation de tabac en fonction des quartiers. Le tabagisme est-il dès lors juste un comportement individuel alors que les lois mises en œuvre sont universelles ? En ce sens, il s’agit de considérer les ISS comme entités sociales. Cette réflexion s’appuie également sur la dichotomie faite entre des conditions matérielles ou des facteurs comportementaux/culturels.
Repartant des résultats d’études montrant une répartition inégale du tabagisme selon le lieu de vie, elle a cherché à dépasser la dichotomie entre théories compositionnelle et contextuelle. Le tabagisme est le résultat cumulatif de l’individu et de son environnement et ces deux dimensions sont en interaction. De plus, si l’on tente de définir le « quartier », celui-ci serait un système de ressources et de relations sociales (ou de leur absence). Pour Katherine Frohlich, nous serions alors dans l’impasse de cette logique dichotomique là où structure sociale et agentivité sont en relation.
Mobiliser les théories
Chercher à comprendre les ISS, c’est se poser la question de comment elles se reproduisent dans le temps. La notion de capital de Bourdieu permet d’introduire l’idée de classes, où comment les inégalités sociales deviennent des inégalités de santé ? Avec Giddens, il s’agira plutôt de comprendre comment les gens produisent les effets que l’on observe, comment ils sont en interaction avec leur environnement, comment ils façonnent leur environnement. Il s’agit dès lors de s’interroger sur comment les différents capitaux et les ressources influencent les ISS.
S’appuyant sur ses recherches concernant le tabagisme chez les jeunes, elle interroge comment les discours de santé publique créent la marginalisation des jeunes fumeurs et peut soutenir le statut même de fumeur. Elle convoque pour cela la notion de gouvernementalité développée par Foucault ou comment la gouvernementalité a créé cet objet « le jeune fumeur ».
La classe sociale en embuscade
Au travers d’entretiens avec des tabacologues afin d’étudier leurs discours sur les jeunes fumeurs, il apparait d’autres problématiques que la consommation de tabac. Cette consommation ne serait pas le problème en soi, implicitement il ressort la dimension de la classe sociale. Le jeune est considéré comme un « paquet de risques » et le discours constitue le jeune fumeur comme un objet de classe. Jean-Michel Bonvin (Université de Genève) interroge l’intervenante sur cet implicite du lien avec la classe sociale et la lecture à en faire en termes de politique publique. Pour elle, le tabac est ici un marqueur d’ISS. Il s’agirait donc plutôt d’améliorer les conditions par rapport au chômage, à l’éducation, etc. Rappelant qu’il n’y avait pas d’action sur le tabagisme avant les années 90, et quand on regarde qui fumait avant et après, les politiques publiques visent plutôt à protéger les non fumeurs des classes moyennes supérieures. En ce sens, une meilleure compréhension théorique peut aider les praticiens et intervenants dans la construction de leurs interventions et mettre en exergue l’importance de développer une réflexivité sur la pratique et les interventions.
Nicolas Charpentier, étudiant du Master en sociologie, 15 mai 2017
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