Le développement cellulaire passe par un trafic organisé
Les cellules vivantes adoptent une stratégie insolite pour internaliser les substances qui contrôlent leur développement, ou dans des situations aberrantes s'approprier des molécules pouvant induire une tumeur. Des biochimistes genevois ont soulevé le voile sur un "trafic portuaire" bien particulier, où certains acteurs s'associent pour transporter les cargos chargés de matériaux de construction jusqu'à bon port. Les résultats exceptionnels de leur étude ont été publiés mardi 17 mars 2009 dans Developmental Cell, la revue-phare de la spécialité.
Lorsqu'un cargo ou un super-pétrolier aborde un port, le voyage est loin d'être terminé, puisqu'il doit d'abord engager, avec l'aide indispensable des bateaux-pilotes, de subtiles manoeuvres jusqu'au quai, avant que sa précieuse cargaison ne soit déchargée, triée et finalement livrée aux bons destinataires.
Il en va presque de même pour les cellules vivantes, dont les besoins en matériaux de construction ou en substances d'alimentation doivent être constamment régulées pour satisfaire l'activité et le développement cellulaire de manière optimale : Le bon colis au bon moment et au bon endroit !
Le Professeur Jean Gruenberg, biochimiste à l'Université de Genève spécialisé dans le trafic transmembranaire, a réussi la prouesse de mettre en lumière le plan de circulation complexe que la cellule organise pour gérer ses flux de matières entrantes, à l'instar de la capitainerie du port.
Avec l'un de ses collaborateurs et un collègue australien, le chercheur a décrypté les insolites mécanismes et identifié la cascade des acteurs impliqués dans un processus mal documenté jusqu'à ce jour : La biogénèse d'endosomes, en d'autre termes la production et la transformation de petits compartiments se frayant un chemin dans la cellule pour y transporter, trier et délivrer le matériel embarqué depuis l'extérieur.
Dans le processus complet d'internalisation des substances, l'endosome joue le rôle du cargo, tandis que les protéines, lipides et autres solutés sont les marchandises à délivrer.
L'étape du passage de l'océan au port, précisément de l'extérieur à l'intérieur de la cellule, est relativement bien compris par les scientifiques : Différentes stratégies peuvent être adoptées pour traverser la membrane cellulaire, mais elles conduisent toutes à la formation de minuscules vésicules – les endosomes précoces –, des compartiments qui s'accrochent à la surface externe de la paroi et sont "ingérées" par la cellule.
C'est après l'arrivée dans la cellule que les choses se compliquent et qu'intervient tout un générique d'acteurs, à l'image des minuscules bateaux-pilotes qui tractent le cargo jusqu'au bon quai.
Le rôle principal est tenu par la F-actine, une protéine filamenteuse omniprésente dans la cellule. Elle accroche son câble de remorquage à un endosome précoce, mais cette association n'est pas suffisante pour transporter le nouvel arrivé. Puisque l'union fait la force, l'endosome précoce signale sa présence à la cellule, qui mobilise alors une nouvelle protéine, l'annexine A2.
Cette dernière intervient rapidement et conduit les filaments de F-actine à polymériser sous la forme de paquets volumineux. En réalité l'annexine A2 se fait assister par d'autres acteurs de second rôle, des protéines produites à la demande par la cellule et dont les noms de code sont Spire1 et Arp2/3.
Efficacement arrimé par un paquet dense de remorqueurs, l'endosome précoce peut alors être véhiculé plus aisément au sein de la cellule.
Durant ce déplacement, l'endosome précoce se sépare des auxilliaires protéiques qui l'ont mis en mouvement, modifie sa morphologie et se transforme graduellement en une série d'intermédiaires multivésiculaires puis en des endosomes tardifs, l'équivalent des paquets de marchandises arrivés à destination et triés après transbordement. Selon toute vraissemblance, la F-actine, l'annexine A2, Spire1 et Arp2/3 contribuent activement à la déformation physique de l'endosome durant sa mue.
Finalement les endosomes tardifs délivrent, au bon endroit et au bon moment, leur précieuse cargaison aux organelles actives de la cellule, permettant à cette dernière de bénéficier des matières premières dont elle a un besoin vital.
Un tout petit trajet à l'échelle cellulaire mais surtout une grande avancée dans la compréhension des mécanismes fondamentaux de l'appropriation par la cellule de substances bénéfiques ou parfois inamicales.
En effet, il apparaît que l'endosome peut aussi intervenir lorsqu'une cellule internalise des molécules capables d'induire une cascade de réactions conduisant à la génèse d'une tumeur. Dans certains cas favorables, un endosome précoce immobiliserait les molécules potentiellement dangereuses et muerait ultimement en des exosomes qui rejetteraient les indésirables hors de la cellule.
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Référence :
Annexin A2-Dependent Polymerization of Actin Mediates Endosome Biogenesis, E. Morel, R. Parton, J. Gruenberg, Developmental Cell 16, 445-457, (2009). DOI
27 mars 20092009