Survivre en absence d'oxygène : l’animal a ses combines !
La privation d'oxygène, par exemple lors d’un infarctus, est particulièrement délétère pour les cellules et peut résulter en d’irréversibles dommages des tissus incriminés. Les équipes des professeurs Howard Riezman et Jean-Claude Martinou ont réussi à démontrer chez un ver qu'une enzyme productrice de céramides, sortes de "lipides de survie" permet à l’animal de subsister – jusqu'à 3 jours – en absence d’oxygène. La découverte, financée notamment par l'initiative suisse SystemsX.ch-LipidX et dont les implications dans le domaine médical sont fondamentales, est publiée vendredi 17 avril 2009 dans la prestigieuse revue Science.
A l'exception de certains microbes, tous les organismes ont un besoin vital d'oxygène pour assurer leur maintien. Lors d'une diminution momentanée d'oxygène (hypoxie), les cellules sont programmées pour enclencher des processus de survie à très court terme ; cependant, une absence prolongée et totale d'oxygène (anoxie) conduit généralement à la dégradation rapide et à la mort des cellules, voire de l'organisme, comme ce peut être le cas suite à un arrêt cardiaque.
Il existe toutefois des mécanismes subtils et redondants d'adaptation cellulaire à l'anoxie, que les équipes genevoises des professeurs Howard Riezman, biochimiste, et Jean-Claude Martinou, biologiste, sont allées tutoyer chez un singulier animal répondant au nom de Caenorhabditis elegans. Derrière ce gracieux diminutif se cache en fait un minuscule mais célèbre nématode : Non content d’avoir valu le Prix Nobel à 3 généticiens en 2002, ce ver modèle est invariablement constitué d’un millier de cellules, dont 30% de neurones.
Mais surtout l’animal exploite, en absence d’oxygène, des réponses biochimiques similaires à la plupart des vertébrés et invertébrés. D’où l’intérêt pour les chercheurs genevois de se pencher sur la bestiole pour comprendre ses mécanismes de survie.
Pour arriver à leurs fins, les deux équipes ont combiné une approche génétique à un outil très prometteur à disposition de la science biomoléculaire, la lipidomique. Cette dernière permet de caractériser les innombrables lipides présents ou fabriqués dans la machine cellulaire et de produire une empreinte lipidique unique pour chaque organisme à l’instar d’une empreinte digitale ou génétique. La lipidomique est l’extension logique de la génétique et de la protéomique ; elle devrait permettre d’étendre considérablement notre connaissance du fonctionnement global des cellules dans l’espace et dans le temps.
Les chercheurs ont identifié et caractérisé un ver mutant incapable de vivre plus d’un jour en anoxie, tandis que les vers normaux survivent jusqu’à trois jours. Ces individus présentent une modification génétique qui ne perturbe pas le cours de leur existence et ne les distingue pas de leurs semblables. Néanmoins, la modification conduit le nématode à ne plus produire, dans toutes les cellules de son organisme, une enzyme, HYL-2 ceramide synthase.
Cette enzyme est exprimée par une famille de gènes impliqués dans le contrôle de la longévité des organismes et, comme son nom l’indique, est la cheville ouvrière de la synthèse d’une large palette de lipides, les céramides.
Les céramides sont omniprésentes dans notre corps, mais également dans notre quotidien : Elles interviennent notamment lorsque les processus conduisant à la mort programmée des cellules (apoptose) ou la prolifération de cellules cancéreuses sont enclenchés. De plus, grâce à leurs facultés protectrices des tissus (aussi appelées Human Skin Barrier), ces lipides de survie sont utilisés aujourd’hui dans des cosmétiques ainsi que comme vecteurs de substances pharmacoactives.
L’exploit des équipes des deux chercheurs genevois réside aussi dans le décryptage des céramides produites par les vers résistants ou hypersensibles à l’absence d’oxygène. En effet, l’enzyme HYL-2 peut commander la fabrication de toute un armée de céramides spécialisées. Ces lipides se distinguent les uns des autres par le nombre d’atomes de carbones (de 20 à 26) sur les chaînes d’acides gras dont ils sont constitués.
Alors qu’ils pensaient que HYL-2 induirait une avalanche quantitative de céramides protectrices chez les animaux résistants soumis à une déficience en oxygène, les chercheurs ont eu la surprise de constater, au contraire, que c’est dans la qualité que l’enzyme réagit, en privilégiant clairement les céramides courtes (20 à 22 atomes de carbone).
Les chercheurs ont également mis en évidence une enzyme analogue, HYL-1, présente tant chez les nématodes résistants que chez ceux succombant à l’absence d’oxygène, qui produit les céramides longues (24 à 26 atomes de carbone). Ces dernières sont cependant sans influence sur la survie de l’organisme lors d’un choc anoxique, mais les vers mutants hyl-1 produisent plus de ceramides courtes et sont, donc, plus résistants à l’anoxie.
Du gène à la construction de la protéine et finalement à la synthèse du lipide, la boucle est bouclée, et les deux équipes genevoises démontrent que l’approche lipidomique, soutenue depuis peu par un important financement de la plateforme SystemsX.ch-LipidX, livre déjà ses premières découvertes.
Contact :
Pour obtenir de plus amples informations, n’hésitez pas à contacter le Professeur Howard Riezman (Tél. ++41 22 379 64 69) ou le Professeur Jean-Claude Martinou (Tél. ++41 22 379 64 43).
Référence :
Protection of C. elegans from anoxia by HYL-2 ceramide synthase, V. Menuz, K.S. Howell, S. Gentina, S. Epstein, I. Riezman, M. Fornallaz-Mulhauser, M.O. Hengartner, M. Gomez, H. Riezman, J.-C. Martinou, Science 324 (5925), 381-384, (2009). DOI
17 avril 20092009