Le chat sauvage menacé par son cousin domestique
Un remplacement génétique irréversible des chats sauvages du Jura suisse par les chats domestiques est prédit si aucune mesure préventive n’est prise.
Le chat sauvage d’Europe (Felis silvestris), ou chat des fôrets, pourrait disparaitre d’ici 200 à 300 ans. © UNIGE/ Claudio Quilodran
Dans les montagnes du Jura, les chats sauvages européens considérés comme éteints il y a une cinquantaine d’années ont depuis recolonisé une partie de leur ancien territoire. Cette recrudescence dans une zone occupée par des chats domestiques s’est accompagnée de croisements génétiques entre les deux espèces. L’hybridation entre les organismes sauvages et domestiques est connue pour mettre en danger le patrimoine génétique des espèces sauvages. Dans une étude à lire dans la revue Evolutionary applications, une équipe de biologistes de l’Université de Genève (UNIGE), en collaboration avec l’Université de Zürich et celle d’Oxford au Royaume-Uni, a modélisé les interactions entre les deux espèces pour projeter l’avenir du chat sauvage sur les reliefs du Jura helvétique. Les différents scénarios modélisés montrent que d’ici 200 à 300 ans —soit une période très courte à l’échelle de l’évolution—, l’hybridation conduira à un remplacement génétique irréversible des chats sauvages et à l’impossibilité de les distinguer de leurs cousins domestiques, comme c’est déjà le cas en Écosse et en Hongrie.
Le chat sauvage d’Europe (Felis silvestris), autrefois très répandu, a été victime à la fois de chasses intensives au cours des 19e et 20e siècles et de déforestations massives qui ont réduit son habitat naturel, menant à sa disparition dans certaines régions d’Europe. En Suisse, il a été considéré comme pratiquement éteint, sans aucune trace de sa présence pendant 25 ans, de 1943 à 1968. Grâce à une loi fédérale de 1962, le chat sauvage a recolonisé la chaîne du Jura, où il côtoie notamment des chats domestiques (Felis catus). Bien que considérés comme deux espèces, ou sous-espèces différentes, les chats sauvages et les chats domestiques peuvent se croiser et avoir des chatons hybrides et fertiles, donc ayant le génome des deux espèces et pouvant donner naissance à une progéniture portant les gènes recombinés des deux espèces. Ces hybridations constituent une nouvelle menace pour le chat sauvage, puisqu’elles conduisent à des transferts de gènes selon un mécanisme connu sous le nom d’introgression génétique. Ce mécanisme peut conduire rapidement à la dissémination des gènes de l’espèce la plus abondante dans le génome de l’espèce rare, aboutissant à l’extinction du chat sauvage.
Lors d’études précédentes, des scientifiques de l’UNIGE et de l’Université de Zurich ont démontré une introgression plus importante du génome du chat sauvage par des gènes du chat domestique que l’inverse. Grâce à des modèles de simulations bioinformatiques prenant en compte des caractéristiques écologiques et génétiques, l’expansion non seulement démographique, mais aussi territoriale des chats sauvages au cours des 50 dernières années a été identifiée comme la cause la plus probable des introgressions observées, en accord avec les observations sur le terrain. Il a été estimé qu’environ 5 à 10 % des contacts entre chats sauvages et domestiques ont donné naissance à des chatons hybrides. Suite à ces découvertes, le modèle informatique a été affiné afin de réaliser des projections et définir le degré d’urgence pour intervenir et préserver cette espèce.
L’arrêt des croisements comme seule issue
Les facteurs variables du modèle incorporés dans cette nouvelle publication, dont Mathias Currat, Maître d’enseignement et de recherche au Départment de génétique et évolution de l’UNIGE, est le dernier auteur, sont le taux d’hybridation, la compétition pour les ressources dans l’environnement et la taille des populations. Quel que soit le scénario proposé en jouant sur ces variables, une très forte introgression du génome du chat domestique dans le génome du chat sauvage est prédite. Mathias Currat met en garde en ajoutant qu’«elle est la plus forte avec des tailles de population comparables à celles d’aujourd’hui, mais reste très importante même en considérant des conditions plus favorables au chat sauvage comme l’augmentation de sa population ou un avantage compétitif sur le chat domestique dans les régions où ils coexistent». Pour sa part, Juan Montoya-Burgos, directeur de laboratoire au Département de génétique et évolution et co-auteur de l’étude, avertit que «le modèle aboutit à un remplacement génétique irréversible menant, à terme, à la disparition du chat sauvage. Seul l’arrêt du croisement entre les deux espèces prédit la conservation de l’espèce sauvage».
Agir rapidement
Le chat sauvage reste donc une espèce menacée malgré les signes positifs de son expansion récente. Le modèle dynamique proposé dans cette étude qui combine la croissance démographique et spatiale des populations de chats sauvages permet des projections sur l’avenir de cette espèce. Selon les différents scénarios évoqués, les chats sauvages seront assimilés aux chats domestiques d’ici seulement 200 à 300 ans, comme c’est déjà le cas en Écosse et en Hongrie. «Un événement d’hybridation a proportionnellement beaucoup plus d’impact dans la population de chats sauvages constituée de quelques centaines d’individus que dans la population domestique qui dépasse le million d’individus en Suisse», précise Mathias Currat.
Une réduction drastique des opportunités d’hybridation aux abords des territoires du chat sauvage est proposée pour prévenir l’hybridation. Des campagnes de stérilisation des chats domestiques vivant aux abords des fermes ou à proximité des forêts sont une solution parmi d’autres. Les femelles doivent en être la cible principale puisque les femelles domestiques s’accouplent plus volontiers avec les chats sauvages mâles que ne le font les chats domestiques mâles avec les femelles sauvages. «Les interventions précoces seront probablement moins coûteuses, tant sur le plan économique qu’écologique. En restant passif, la menace qui pèse sur les chats sauvages du Jura risque d’être irréversible», conclut Juan Montoya-Burgos.
29 sept. 2020