Les cellules détendent leur membrane pour trier les déchets
Des chercheurs de l’UNIGE et du Pôle national de recherche Biologie chimique ont réussi à mesurer la tension de la membrane d’une organelle évoluant à l’intérieur d’une cellule.
@ Margot Riggi
La tension de la membrane limitante des cellules joue un rôle important dans de nombreux processus biologiques. Une baisse locale de la tension facilite l’invagination de la surface et la formation de vésicules à l’intérieur de la cellule. Ces vésicules, appelées endosomes sont délimitées par une membrane qui contient les protéines présentent sur les invaginations. Une des fonctions principales de ces endosomes est de trier les protéines vers le recyclage ou la dégradation. Est-ce que la fonction des endosomes est aussi modulée par des variations de tension de leur membrane? Des scientifiques de l’Université de Genève (UNIGE) et du Pôle national de recherche Biologie chimique ont répondu par l’affirmative à cette question grâce à une recherche de haute précision parue dans la revue Nature Cell Biology. À l’aide de sondes moléculaires qu’elle a développées elle-même, l’équipe pluridisciplinaire a réussi à mesurer la tension membranaire de ces endosomes (qui font partie du centre de tri cellulaire) et à montrer que son relâchement facilite la formation de vésicules à l’intérieur des endosomes (vésicules intra-luminales) qui permettent d’envoyer les protéines vers la dégradation. Une découverte fondamentale qui pourrait avoir des implications dans le domaine du cancer ou des maladies dégénératives.
Mesurer, grâce à des outils chimiques et en temps réel, les propriétés physiques des structures internes d’une cellule alors que celle-ci est encore vivante est l’un des défis que le Pôle national de recherche (PRN) Biologie Chimique, dirigé par l’UNIGE, a tenté de relever depuis son lancement en 2010. Pour l’aider à atteindre cet objectif, une équipe de ce PRN a développé des sondes moléculaires qui ont la capacité de pénétrer dans les cellules et de se fixer spécifiquement sur la membrane des organelles (mitochondries, réticulum endoplasmique, lysosomes, etc.) évoluant dans les profondeurs du cytoplasme. Ces outils microscopiques ont la particularité de modifier leur fluorescence quand ils se déforment sous l’effet d’une variation de la tension de la membrane dans laquelle ils sont insérés.
Sacs de tri
Le premier processus physiologique que l’équipe de recherche a choisi d’étudier à l’aide de ce nouvel outil est celui de la formation de vésicules intraluminales (ILV) à l’intérieur de d’un organelle, l’endosome. Les ILV peuvent être assimilées à de minuscules sacs de tri contenant les protéines et d’autres composés destinés à être traités. Les endosomes transportent les ILV jusqu’aux lysosomes et qui sont les véritables centrales de destruction et de recyclage des déchets de la cellule. Le but de l’étude genevoise consiste à vérifier si une chute de la tension de la membrane de l’organelle peut être à l’origine de la formation des ILV et donc si le tri des protéines dans les cellules est directement régulé par les propriétés physiques de la membrane.
«Nous avons soumis nos cellules à un choc hypertonique, c’est-à-dire que nous avons augmenté la concentration des solutés (composés en solutions) dans leur environnement, explique Vincent Mercier, chercheur au Département de biochimie de la Faculté des sciences de l’UNIGE et premier auteur de l’article. En réaction, les cellules ont expulsé de l’eau afin d’équilibrer les concentrations interne et externe des solutés. De ce fait, le volume de la cellule a diminué et la tension de sa membrane aussi. Nous avons constaté à l’aide de nos sondes que la membrane des endosomes a subi le même relâchement que celle de la cellule entière.»
Mieux encore, cette diminution de la tension est accompagnée par la mobilisation, à la surface des organelles, des composés nécessaires à la formation d’un complexe (appelé ESCRT-III) qui est précisément la principale machine moléculaire nécessaire à la production des ILV. Une autre expérience a permis dans un second temps de corréler ces observations à la production effective d’ILV.
Contrôle par la tension
«Nous avons également exposé nos cellules à des facteurs de croissance épidermique (EGF) dont on sait qu’ils déclenchent la production d’ILV après une cascade de réactions, poursuit Aurélien Roux, Professeur au Département de biochimie de la Faculté des sciences de l’UNIGE. Toujours grâce à nos sondes, nous avons pu mesurer que ce processus est lui aussi accompagné d’une chute de la tension sur les membranes des organelles. Ces résultats, obtenus grâce à une collaboration pluridisciplinaire alliant des compétences en biologie, en chimie et en physique, permet de conclure que la tension de la membrane contrôle les fonctions des organelles.»
Une conclusion qui a son importance, dans la mesure où la formation d’ILV à partir de la membrane des endosomes est un processus indispensable au bon fonctionnement des cellules. Dans le cas précis de cette étude, ce dispositif biomécanique permet de piéger et de détruire rapidement l’EGF et donc d’interrompre le signal délivré par ce facteur de croissance avant qu’il ne s’emballe. Une perturbation dans ce mécanisme de contrôle est en effet souvent associée à l’apparition de cancer et de certaines maladies dégénératives.