Les souvenirs hérités d’un site chromosomique
Deux équipes de l’UNIGE ont découvert que la localisation d’un site spécifique des chromosomes est transmise entre deux générations, même si la partie de la protéine qui définit initialement ce site est absente dans la descendance.
Un nématode Caenorhabditis elegans entouré de descendants à différents stades (oeufs et larves). © UNIGE
L’hérédité est généralement transmise par les gènes, mais il existe des exceptions à cette règle. Deux équipes de l’Université de Genève (UNIGE) se sont intéressées à l’emplacement des centromères – des sites spécifiques au niveau des chromosomes, essentiels à la division cellulaire. Elles ont découvert que chez le petit ver Caenorhabiditis elegans, la transmission de l’emplacement correct de ces sites chez les descendants n’est pas médiée par les gènes, mais par un mécanisme de mémoire épigénétique. Ces travaux sont à lire dans la revue PLOS Biology.
Les organismes vivants, de l’homme jusqu’au ver microscopique, héritent des traits physiques et parfois comportementaux de leurs parents. Cette transmission de caractères biologiques passe en général par les molécules d’ADN qui sont répliquées à chaque division cellulaire et qui contiennent les gènes. Des caractéristiques peuvent cependant être transmises d’une génération à l’autre sans l’intermédiaire des gènes: il s’agit des phénomènes épigénétiques.
Un organisme transparent pour observer la ségrégation des chromosomes
En s’intéressant à la séparation physique des chromosomes dans les deux cellules filles pendant la division cellulaire, des scientifiques de l’UNIGE ont pu identifier un de ces processus épigénétiques. L’équipe de Florian Steiner, professeur au Département de biologie moléculaire de la Faculté des sciences de l’UNIGE et dernier auteur de ces travaux, étudie les centromères chez le nématode Caenorhabditis elegans. Ces structures particulières au niveau des chromosomes servent de points d’ancrage à la machinerie responsable de la distribution correcte des chromosomes entre les cellules filles : un défaut dans cette répartition et les cellules filles meurent ou deviennent cancéreuses. «Étudier ces processus est grandement facilité chez C. elegans, puisque ce petit ver est transparent et permet d’observer en direct les divisions cellulaires et le destin des chromosomes d’une génération à l’autre», s’enthousiasme Reinier Prosée, chercheur au Département de biologie moléculaire de la Faculté des sciences de l’UNIGE et premier auteur de l’étude.
Une mémoire transmise uniquement à la génération suivante
L’emplacement du centromère au niveau du chromosome est défini par une protéine à laquelle les biologistes du groupe de Florian Steiner et de Monica Gotta, professeure à la Faculté de médecine de l’UNIGE, se sont intéressés. Les équipes genevoises ont découvert que la protéine se localise sur le chromosome pour définir le centromère grâce à une région particulière qui lui sert de guide. Ils/elles ont ensuite créé un mutant dont l’ADN est dépourvu du morceau codant pour cette région ‘guide’ de la protéine. «La prédiction était que ce mutant ne serait pas viable, puisque la position du centromère ne pourrait pas être définie en l’absence de ce guide de la protéine. Nous pensions que cela conduirait à une distribution incorrecte des chromosomes», explique Florian Steiner. «Et pourtant, nous avons constaté que même en l’absence de cette région ‘guide’, la protéine tronquée se positionne et fonctionne correctement. Les vers sont donc parfaitement viables!», poursuit Reinier Prosée. Il s’avère qu’une fois que les sites centromériques sont correctement définis chez la mère, cette information est transmise à la génération suivante grâce aux cellules qui ‘se souviennent’ de l’emplacement correct de ces sites, même en l’absence de la partie du gène qui code la région ‘guide’ de la protéine.
En revanche, la descendance du ver mutant est incapable d’assurer les divisions cellulaires et ne survit pas. En effet, les vers issus du mutant n’ont pas hérité de leur mère des informations concernant la position correcte des sites centromériques. Cette mémoire épigénétique particulière ne dure donc que le temps d’une génération et n’est pas transmise aux suivantes. «A présent, nous allons vérifier nos hypothèses pour expliquer le mécanisme épigénétique par lequel cette mémoire est établie et persiste au cours du développement», conclut Florian Steiner.