Métal ou isolant ? Analyse au niveau atomique
A gauche, une illustration du faisceau électronique utilisé en microscopie à transmission qui est modifié après avoir traversé l’échantillon composé de deux nickelates, l’un étant métallique l’autre isolant. A droite, la structure atomique parfaite observée par microscopie électronique à transmission - les deux couleurs représentent les deux composés. © Duncan Alexander, EPFL
Pour la première fois, des scientifiques de l’EPFL et de l’Université de Genève (UNIGE) ont combiné deux puissantes techniques de pointe pour comprendre la physique d’une transition de phase exotique entre un état métallique et un état isolant. Les matériaux qu’ils ont étudiés sont des nickelates de terres rares. Ces derniers présentent un grand intérêt pour de nouvelles approches innovantes en électronique.
Les «transitions de phase» sont un phénomène au cœur des sciences physiques. Même si elles paraissent techniques, en réalité nous les rencontrons dans la vie de tous les jours: quand la glace fond ou quand l’eau chaude s’évapore. Les trois états les plus connus sont : solide, liquide et gazeux. Le passage d’un état à un autre s’appelle une transition de phase.
Les oxydes de nickelate de terres rares, également appelés nickelates, intéressent beaucoup les chercheurs car ils présentent une transition de phase électronique, qui pourrait être exploitée pour les appareils électroniques de demain. Cette transition de phase particulière désigne le passage d’un état métallique qui conduit l’électricité à un état électriquement isolant lorsque la température chute.
Ce phénomène est lié à une forte interaction entre les propriétés électroniques de ces composés et l’agencement bien ordonné d’atomes qui composent le matériau – son réseau cristallin. Toutefois, dévoiler la véritable nature de cette transition de phase métal-isolant dans les nickelates, et pouvoir la contrôler pour de possibles applications, nécessite de découvrir comment chaque phase apparaît et évolue lors de la transition.
Aujourd’hui, des scientifiques de l’EPFL et de l’Université de Genève ont combiné deux techniques de pointe pour obtenir la nano-cartographie de chaque phase électronique. Publiée dans la revue Nano Letters, l’étude a été menée par Duncan Alexander de la Faculté des Sciences de Base de l’EPFL et par le groupe de recherche du professeur Jean-Marc Triscone de l’Université de Genève.
Selon le principal auteur de l’étude, Bernat Mundet: «Pour comprendre complètement la physique des nouveaux matériaux électroniques et pour les contrôler, de nouvelles techniques de caractérisation à l’échelle atomique sont nécessaires. En ce sens, nous avons pu pour la première fois cartographier à la résolution quasi-atomique les régions métalliques et isolantes de nanostructures artificielles à base de deux composés nickelates (qui présentent des transitions métal-isolant à des températures différentes) réalisées avec une précision atomique. Nous pensons que notre méthodologie permettra de mieux comprendre la physique de cette grande famille de matériaux.»
Les chercheurs ont combiné la microscopie électronique à balayage en transmission (STEM) et la spectroscopie de perte d’énergie d’électrons (EELS). Le microscope utilisé pour cette étude est corrigé des aberrations et est équipé d’un monochromateur.
En STEM, les images sont formées par le balayage d’un faisceau d’électrons, focalisé en un point d’un diamètre d’environ 1 Ångstrom, sur un échantillon suffisamment mince – dans ce cas une très fine lamelle de nickelate – et par collecte des électrons transmis et diffusés à l’aide de détecteurs annulaires. Bien qu’elle soit techniquement exigeante, cette technique permet aux chercheurs de visualiser précisément la structure cristalline, colonne atomique par colonne atomique.
Pour la seconde technique, l’EELS, ce sont les électrons traversant l’orifice au centre du détecteur annulaire qui sont en revanche collectés. Certains de ces électrons ont préalablement perdu de l’énergie en raison de leur interaction avec les atomes du cristal de nickelate. En mesurant les variations de ces pertes d’énergie, il est possible de déterminer l’état métallique ou isolant du matériau sondé.
Étant donné que tous les électrons sont diffusés et collectés simultanément, les chercheurs ont pu corréler les changements d’état électronique avec les positions atomiques associées dans les différents composés de nickelate. Cette approche leur a permis de cartographier, pour la première fois, la configuration spatiale de leurs régions métalliques ou isolantes, en atteignant une résolution spatiale très élevée d’environ 3,5 Ångstroms (0,35 nanomètre). La technique sera un outil précieux pour étudier et guider la construction atomique de ces nouveaux matériaux électroniques.
«Grâce aux microscopes électroniques les plus récents, nous avons la possibilité incroyable de pouvoir mesurer diverses propriétés physiques des matériaux avec une résolution spatiale atomique ou nanométrique», affirme Duncan Alexander. «Ici, en poussant les capacités du microscope Titan Themis de l’EPFL à ses limites, nous faisons une avancée remarquable dans ce domaine, en prouvant que nous pouvons mesurer les changements d’état électronique dans une structure faite de deux nickelates mis au point avec une précision atomique. Notre approche ouvre de nouvelles perspectives pour l’étude de la physique de ces composés nickelate, qui ont suscité un intérêt en recherche dans le monde entier.»
«La combinaison de matériaux artificiels surprenants qui présentent une transition métal-isolant et la microscopie électronique très avancée a permis une étude approfondie, sans précédent, de leurs propriétés électroniques», ajoute Jean-Marc Triscone. «En particulier, cela a permis de découvrir, à l’échelle atomique, si le matériau est conducteur ou isolant – une question importante pour mieux comprendre ces matériaux qui pourraient être utilisés dans de nouveaux types de processeurs.»
18 mars 2021