D’insaisissables planètes jouent à «cache-cache» avec CHEOPS
Une équipe européenne est parvenue à confirmer l’existence de quatre nouvelles exoplanètes grâce au télescope spatial CHEOPS.
Représentation artistique du télescope spatial CHEOPS. © ESA / ATG medialab
À l’aide du télescope spatial CHEOPS, une équipe européenne incluant des astronomes des universités de Genève (UNIGE) et Berne (UNIBE) a réussi à confirmer sans équivoque l’existence de quatre nouvelles exoplanètes. Ces quatre mini-Neptunes sont plus petites et plus froides, et donc plus difficiles à détecter, que les Jupiters chauds, un type d’exoplanètes abondamment identifié jusqu’à présent. Deux des quatre articles scientifiques résultant de cette étude sont signés par des chercheurs/euses de l’UNIGE et de l’UNIBE, ainsi que par des membres du Pôle de Recherche National (PRN) PlanetS.
CHEOPS est une mission conjointe de la Suisse et de l’Agence Spatiale Européenne (ESA), sous la direction de l’Université de Berne (UNIBE) en collaboration avec l’Université de Genève (UNIGE). Depuis son lancement en décembre 2019, les mesures extrêmement précises de CHEOPS ont contribué à de nombreuses découvertes clés dans le domaine des exoplanètes.
Les membres du PRN PlanetS Dr. Solène Ulmer-Moll, post-doctorante au Département d’astronomie de la Faculté des sciences de l’UNIGE et au sein de la Division de la recherche spatiale et des sciences planétaires de l’Institut de physique de l’UNIBE, et Dr. Hugh Osborn, post-doctorant au sein de la Division de la recherche spatiale et des sciences planétaires de l’Institut de physique de l’UNIBE, ont exploité la synergie unique de CHEOPS avec le satellite TESS de la NASA afin de détecter une série d’exoplanètes jusque-là insaisissables.
Ces planètes, nommées respectivement TOI 5678 b et HIP 9618 c, ont une taille proche de celle de Neptune avec des rayons de 4,9 et 3,4 fois celui de la Terre. Les articles scientifiques ont été publiés respectivement dans les journaux Astronomy & Astrophysics et Monthly Notices of the Royal Astronomical Society. Dans ces mêmes journaux, deux autres membres de l’équipe internationale, Dr. Amy Tuson de l’Université de Cambridge (Royaume-Uni) et Dr. Zoltán Garai de l’Institut d’Astronomie de l’Académie des Sciences de Slovaquie, ont utilisé la même technique afin d’identifier deux autres planètes similaires dans d’autres systèmes planétaires.
La synergie de deux satellites
Le satellite CHEOPS observe la luminosité des étoiles afin de capter une très légère baisse lorsque, de notre point de vue, une planète en orbite autour d’une étoile passe devant celle-ci. En cherchant ces baisses de luminosité, appelées «transits», les scientifiques ont pu découvrir la majorité des milliers d’exoplanètes connues en orbite autour d’autres étoiles que le Soleil.
«Le satellite TESS de la NASA excelle dans la détection des transits d’exoplanètes, même pour les petites planètes qui sont bien plus complexes à trouver. Cela dit, TESS change de champ d’observation tous les 27 jours afin de couvrir rapidement la majorité du ciel, ce qui empêche de trouver des planètes avec des périodes orbitales plus longues», explique Hugh Osborn. Malgré tout, le satellite TESS avait pu détecter des transits isolés autour des étoiles TOI 6578 et HIP 9618. En scrutant à nouveau le même champ deux ans plus tard, TESS a pu observer des transits semblables autour des mêmes étoiles. En dépit de ces observations, il n’était toujours pas possible de conclure sans équivoque à la présence de planètes autour de ces étoiles étant donné que les informations disponibles étaient incomplètes.
«C’est là que CHEOPS entre en jeu: se focalisant sur une seule étoile à la fois, ce télescope spatial est dédié au suivi plutôt qu’à la détection des exoplanètes. C’est donc l’outil parfait pour continuer à observer ces étoiles afin de trouver les informations manquantes», complète Solène Ulmer-Moll.
Une longue partie de «cache-cache»
Suspectant la présence d’exoplanètes, l’équipe CHEOPS a imaginé une méthode pour éviter de gâcher du précieux temps d’observation. Au lieu d’observer indistinctement et sans interruption les mêmes étoiles dans l’espoir de détecter des transits supplémentaires, les scientifiques ont adopté une approche ciblée basée sur les maigres indices obtenus grâce aux transits observés avec TESS. Se basant sur ces éléments, Hugh Osborn a développé un logiciel qui évalue et classe par ordre de priorité les périodes orbitales possibles de chaque planète. «Nous avons ensuite joué à une sorte de ‘‘cache-cache’’ avec les planètes, en utilisant le satellite CHEOPS», déclare le chercheur.
«Nous pointions CHEOPS vers une cible à un moment spécifique, et en observant ou non un transit, il était alors possible d’éliminer des hypothèses. Puis, nous réessayions à un autre moment calculé par le logiciel, jusqu’à n’avoir plus qu’une seule solution possible pour la période orbitale.» Cela a demandé respectivement cinq et quatre tentatives aux scientifiques pour confirmer sans l’ombre d’un doute l’existence des deux exoplanètes et déterminer une période de 48 jours pour TOI 5678 b et une période de 52,5 jours pour HIP 9618 c.
Des cibles idéales pour JWST
L’histoire ne s’arrête pas là pour les scientifiques. Grâce aux périodes tout juste déterminées, l’équipe a pu effectuer des observations depuis le sol et utiliser une autre technique dite des vitesses radiales. Cela leur a permis de déterminer les masses respectives de 20 fois et 7,5 fois la masse terrestre pour TOI 5678 b et HIP 9618 c. En connaissant à la fois la masse et la taille d’une planète, donc sa densité, les scientifiques peuvent avoir une idée de sa composition interne.
«Pour les mini-Neptunes cela dit, la densité n’est pas suffisante et il reste toujours plusieurs hypothèses possibles quant à leur composition: elles peuvent soit être des planètes rocheuses avec beaucoup de gaz, ou des planètes riches en eau avec une atmosphère surchargée de vapeur», explique Solène Ulmer-Moll. «Étant donné que les quatre exoplanètes nouvellement découvertes orbitent autour d’étoiles brillantes, elles sont des cibles de choix pour un autre télescope spatial, le James Webb (JWST), qui pourrait permettre de résoudre l’énigme de leur composition interne.»
La plupart des atmosphères d’exoplanètes qui ont été observées jusqu’à présent sont celles de Jupiters chauds, qui sont des exoplanètes géantes, orbitant en moins de dix jours autour de leur étoile-hôte. «Ces quatre nouvelles planètes que nous avons détectées ont des températures plus modérées de ‘‘seulement’’ 217ºC et 277ºC. Ces températures rendent possible la présence de nuages ou la survie de molécules, qui seraient sinon détruites par l’intense chaleur des Jupiters chauds. Et le JWST peut potentiellement les détecter», explique Hugh Osborn. Plus petites et avec des périodes orbitales plus longues que les Jupiters chauds, les quatre planètes nouvellement détectées sont un nouveau pas vers l’observation par transits de planètes similaires à la Terre.
CHEOPS – À la recherche de planètes potentiellement habitables
La mission «CHEOPS» (CHaracterising ExOPlanets Satellite) est la première des «missions S-class» de l’ESA avec un budget bien inférieur à celui des missions de grande et moyenne taille, et une période plus courte entre le début du projet et le lancement.
CHEOPS se consacre à la caractérisation des transits d’exoplanètes. Il mesure les variations de luminosité d’une étoile lorsqu’une planète passe devant elle. Ces valeurs permettent de déduire la taille de la planète et ensuite de déterminer sa densité avec l’aide des données déjà disponibles. On obtient ainsi des informations capitales sur ces planètes —par exemple, si elles sont principalement rocheuses, si elles sont composées de gaz ou si on y trouve des océans profonds. C’est une étape importante pour déterminer si une planète réunit des conditions favorables au développement de la vie.
CHEOPS a été conçu dans le cadre d’une collaboration entre l’ESA et la Suisse. Un consortium de plus d’une centaine de scientifiques et ingénieurs originaires de onze pays européens a participé à la construction du satellite pendant cinq ans sous la direction de l’Université de Berne et de l’ESA.
Mercredi 18 décembre 2019, CHEOPS a commencé son voyage dans l’espace à bord d’une fusée Soyouz-Fregat, au centre spatial européen de Kourou, en Guyane française. Depuis lors, le satellite spatial tourne autour de la Terre à une altitude de 700 kilomètres, le long de la frontière entre le jour et la nuit (terminateur). Il en fait un tour complet en une heure et demie environ.
La Confédération suisse participe au satellite CHEOPS dans le cadre du programme PRODEX (PROgramme de Développement d’Expériences scientifiques) de l’Agence spatiale européenne ESA. Grâce à ce programme, des contributions nationales pour des missions scientifiques peuvent être développées et mises en place par des équipes de projet issues de la recherche et de l’industrie. Ce transfert de connaissances et de technologie entre la science et l’industrie confère à la Suisse un avantage concurrentiel structurel en tant que place économique et permet à des technologies, des processus et des produits de se répandre sur d’autres marchés et de générer ainsi une valeur ajoutée pour notre économie. Plus d’informations: https://cheops.unibe.ch/fr
Les exoplanètes à Genève:
25 ans d’expertise couronnés par un prix Nobel
La première exoplanète a été découverte en 1995 par deux chercheurs de l’Université de Genève, Michel Mayor et Didier Queloz, lauréats du prix Nobel de physique 2019. Cette découverte a permis au Département d’astronomie de l’Université de Genève de se situer à la pointe de la recherche dans le domaine avec notamment la construction et l’installation de HARPS sur le télescope de 3,6m de l’ESO à La Silla en 2003.
Ce spectrographe est resté pendant deux décennies le plus performant du monde pour déterminer la masse des exoplanètes. HARPS a cependant été surpassé en 2018 par ESPRESSO, un autre spectrographe construit à Genève et installé sur le Very Large Telescope (VLT) à Paranal, au Chili.
La Suisse s’est aussi engagée dans les observations depuis l’espace des exoplanètes avec la mission CHEOPS, résultat de deux expertises nationales, d’une part le savoir-faire spatial de l’Université de Berne avec la collaboration de son homologue genevoise, et d’autre part l’expérience au sol de l’Université de Genève secondée par sa consœur de la capitale helvétique. Deux compétences scientifiques et techniques qui ont également permis de créer le pôle de recherche national (PRN) PlanetS.
Recherche en astrophysique bernoise:
parmi l’élite mondiale depuis le premier alunissage
Le 21 juillet 1969, Buzz Aldrin, deuxième homme à descendre du module lunaire, a été le premier à déployer la voile à vent solaire bernoise et à la planter dans le sol lunaire avant même le drapeau américain. Le Solar Wind Composition Experiment (SWC), planifié, construit et évalué par le Prof. Dr. Johannes Geiss et son équipe à l’Institut de physique de l’Université de Berne, a été le premier moment fort de l’histoire de la recherche en astrophysique bernoise.
La recherche en astrophysique bernoise fait depuis lors partie de ce qui se fait de mieux au niveau mondial: l’Université de Berne participe régulièrement aux missions spatiales de grandes organisations spatiales comme l’ESA, la NASA ou la JAXA. Dans le cadre de la mission CHEOPS, l’Université de Berne partage la responsabilité avec l’ESA pour l’ensemble la mission. En outre, les scientifiques bernois font partie de l’élite mondiale dans le domaine des modélisations et des simulations relatives à la naissance et au développement des planètes.
Les travaux fructueux du Département de recherche en astrophysique et planétologie (RAP) de l’Institut de physique de l’Université de Berne ont été consolidés par la fondation d’un centre de compétence universitaire: le Center for Space and Habitability (CSH). Le Fonds national suisse a en outre accordé à l’Université de Berne le financement du pôle de recherche national (PRN) PlanetS, qu’elle dirige avec l’Université de Genève.