Concrètement, le code se constitue d’un ensemble de 121 points disposés selon un hexagone parfait. Sur cette matrice en nid d’abeille, certains points sont gravés et d’autres non. Cela produit une figure similaire au code QR, aujourd’hui très en vogue, qui possède 2121 combinaisons possibles. Ce nombre est assez gigantesque (plusieurs milliards de milliards de milliards de milliards) pour couvrir les besoins de certification sur un temps raisonnablement long. La taille de la gravure ne dépasse pas les 2 millimètres de diamètre et peut être scannée à l’aide d’un téléphone mobile assez récent. Une astuce – gardée sous le sceau du secret industriel – permet de reconnaître à coup sûr l’orientation de l’Ocode.
L’apposition de ce code sur les objets métalliques fait appel à une technologie dérivée du microscope à effet tunnel. Cet appareil aujourd’hui abondamment utilisé dans les laboratoires de physique exploite une propriété de la physique quantique. Il est muni d’une pointe extrêmement effilée circulant très près d’une surface sans jamais la toucher. Soumise à une tension électrique, cette pointe est capable de détecter – et de manipuler – des objets aussi minuscules que des atomes isolés.
Détourner le microscope
«Les chercheurs et les chercheuses du Pôle de recherche MaNEP ont imaginé détourner la fonction de cet instrument pour que, de microscope, il devienne graveur de métal et même sertisseur, raconte Christoph Renner, professeur au DQMP. Les scientifiques ont notamment modifié les paramètres électroniques (tension, courant, etc.), tout en conservant la précision de l’instrument. C’est ainsi qu’ils ont réussi à faire en sorte que l’interaction (toujours sans contact) entre la pointe et la surface puisse faire fondre un métal et le moduler à l’échelle microscopique.»
Le résultat est d’une très grande précision. Chaque petit trou creusé par cette technique (dont la taille peut descendre sous le micron ni nécessaire) dessine un cercle régulier présentant des bords très nets, sans aspérités ni dépouilles, un standard que les lasers de découpe, par exemple, n’arrivent pas à atteindre. Le rendu peut donc être particulièrement esthétique, ce qui permet, le cas échéant, d’intégrer le petit code hexagonal dans la décoration d’un bijou ou d’une montre. L’opération n’applique aucune force ni pression; les pièces délicates, comme certains mécanismes horlogers, ne risquent donc pas d’être déformées. Enfin, l’instrument de gravure est assez petit pour tenir sur un bureau.
«Au début, nous destinions notre système à l’horlogerie, très présente dans le tissu industriel genevois, explique Jorge Cors. Nous l’avions même perfectionné en baignant le dispositif pointe-surface dans un gel comportant un mélange de nanoparticules de différents métaux. La décharge électrique de la pointe, en plus de graver la surface, fait fondre cette poudre métallique en suspension qui se dépose alors sous forme d’alliage dans le sillon. La composition de cet alliage peut être modifiée à volonté. Nous avons déposé un brevet (au nom de l’Université) sur cette invention et nous avons créé le spin-off Phasis pour tenter de la commercialiser.»
La première idée d’application qui s’est concrétisée est le poinçon de Genève, la marque qui certifie qu’une montre est bel et bien fabriquée et assemblée localement. Depuis 125 ans, elle est apposée par choc mécanique sur les pièces délicates de l’horlogerie de luxe. La technique de marquage nettement moins brutale et plus respectueuse des composants manufacturés proposée par Phasis a séduit une marque genevoise haut de gamme. Plus de 100’000 poinçons ont été apposés sur des montres jusqu’à ce que la start-up genevoise doive stopper cette activité en décembre 2017.
Phasis connaît alors une traversée du désert, mais réussit à conserver son savoir-faire et le petit réseau industriel indispensable au redémarrage de ses activités à plus grande échelle. En attendant des temps meilleurs, elle se concentre sur une activité annexe qu’elle mène depuis le début, c’est-à-dire le dépôt d’or en couches minces sur des plaquettes servant aux analyses microbiologiques au microscope.
Code hexagonal
L’occasion d’un renouveau se présente en mars 2023 avec Ocode, une entreprise d’informatique de Nantes fondée en 2016 et qui emploie actuellement 35 personnes. Le code qu’elle a développé était à l’origine destiné à marquer les vélos de particuliers pour pouvoir les authentifier facilement s’ils sont retrouvés après un vol, avant de s’élargir à d’autres objets. La lecture du code d’Ocode donne accès, via un mot de passe, à un certificat numérique hébergé dans une blockchain appartenant à l’entreprise française et est décrite comme étant non énergivore et non spéculative. Ce certificat numérique, ou NFT, contient l’intégralité des informations associées au produit par le fabricant (certificat d’authenticité, contrat de garantie, ligne de vie, conseils d’entretien, etc.). La technologie des blockchains offre la possibilité de transférer la propriété de l’objet à un acheteur et de suivre ainsi son parcours de main en main, de génération en génération.
C’est en cherchant de nouveaux marchés que les responsables d’Ocode tombent par hasard sur un article parlant des travaux de Phasis. Une idée naît dans leur esprit, le contact est pris et les choses s’enchaînent rapidement. Le concept du partenariat entre les deux entités consiste à marquer des objets de valeur avec le code hexagonal nantais, et ce, grâce à la technologie de gravure genevoise qui permet de réaliser facilement un travail miniaturisé, propre et discret. L’innovation a été déposée à l’Institut national de la propriété industrielle par les deux entreprises en août 2023.
«Notre solution facilite la traçabilité et l’authenticité d’objets de valeur mais aussi de composants critiques pour la sécurité, explique Jorge Cors. Cela peut être très intéressant dans des domaines de haute technologie, telle l’aviation. Elle permet, par exemple, de décourager le marché gris si dans un crash d’avion, on retrouve des pièces contrefaites dans les réacteurs, parce qu’elles ne possèdent pas de certification. Ces codes offriraient aussi la possibilité de vérifier si des instruments de chirurgie sont certifiés et conformes à une loi en la matière que l’Union européenne est sur le point d’adopter (et sur laquelle la Suisse s’alignera probablement).»
Les exemples sont légion. Des contacts ont déjà été pris notamment avec des constructeurs aéronautiques et Arianespace.