Des matériaux innovants pour contrer les bactéries
Une équipe de l’UNIGE développe de nouveaux alliages aux propriétés bactéricides pour lutter contre les germes résistants aux antibiotiques.
Trois bactéries du groupe ESKAPE: Staphylococcus aureus (jaune), Pseudomonas aeruginosa (bâtonnets courts et épais en bleu) et Escherichia coli (bâtonnets longs en bleu). © UNIGE
Les bactéries, tout en étant cruciales pour les biotechnologies, peuvent également provoquer de sévères maladies, aggravées par leur résistance accrue aux antibiotiques. Cette dualité entre bénéfices économiques et risques infectieux souligne l’importance de trouver des moyens de contrôler leur développement. Une équipe de l’Université de Genève (UNIGE) développe actuellement une nouvelle génération d’alliages bactéricides, à large spectre d’applications industrielles, qui pourraient être utilisés pour traiter les surfaces de contact par lesquelles ces agents pathogènes se transmettent. Ce projet bénéficie du soutien d’Innosuisse. Il s’étendra sur 18 mois.
La résistance aux médicaments antimicrobiens – tels que les antibiotiques et les antiviraux – est un enjeu majeur de santé publique. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), ce phénomène est actuellement responsable de 700 000 décès par an dans le monde. Si aucune mesure n’est prise, ce chiffre atteindra les 10 millions par an en 2050, avec des conséquences dramatiques pour la santé publique et l’économie.
Pour promouvoir et aiguiller la recherche dans ce domaine, l’OMS a publié une liste des agents pathogènes à cibler en priorité, car particulièrement menaçants pour la santé humaine. On y trouve le staphylocoque doré et la bactérie E.coli, associés aux infections nosocomiales les plus courantes, ou encore les salmonelles. Les surfaces de contact contaminées (ustensiles, poignées, rampes d’escalier) jouent un rôle clé dans leur transmission.
Pour y remédier, une équipe interdisciplinaire du Département de physique de la matière quantique et de l’Unité de microbiologie de la Faculté des sciences de l’UNIGE développe actuellement de nouveaux types de surfaces métalliques, aux propriétés bactéricides, ciblant les pathogènes concernés. Soutenu par Innosuisse, l’agence suisse pour l’encouragement de l’innovation, le projet s’étendra sur 18 mois et vise à identifier les alliages de métaux les plus prometteurs ainsi que leurs applications potentielles.
Les matériaux existants ne font plus le poids
«Depuis l’Antiquité, on sait que le cuivre et l’argent, par exemple, ont de telles propriétés. Les germes y sont cependant de plus en plus résistants. Par ailleurs, les matériaux existants présenteraient une certaine toxicité pour l’être humain. Il est donc crucial de concevoir de nouvelles surfaces bactéricides», explique Jorge Cors, chargé de mission au Département de physique de la matière quantique de la Faculté des sciences de l’UNIGE, et co-responsable du projet.
«Cela est d’autant plus vrai pour les pathogènes identifiés comme prioritaires», poursuit Karl Perron, chargé d’enseignement à l’Unité de microbiologie de la Faculté des sciences de l’UNIGE, et co-responsable du projet. «Ces bactéries adhèrent facilement à de nombreuses surfaces métalliques, s’amoncellent et forment un biofilm qui sécrète une matière adhésive. Cette ‘‘colle’’ protège leur enveloppe et les rend plus résistantes que les autres bactéries.»
Ces biofilms bactériens peuvent, par exemple, se former dans les microcavités du marquage des instruments chirurgicaux et des implants. Celles-ci sont si petites qu’elles échappent aux processus de désinfection classiques. Des bactéries peuvent s’en détacher et infecter la personne opérée ou implantée. Leur «colle» protectrice les préserve des réactions immunitaires et des antibiotiques.
Des surfaces inédites grâce aux nanotechnologies
Les nouveaux matériaux sur lesquels travaille l’équipe de l’UNIGE se composent principalement d’alliages de titane dotés de structures nanoscopiques, invisibles à l’œil nu. Ces surfaces dites «nanostructurées» sont capables d’endommager l’enveloppe cellulaire des pathogènes. «Tout l’enjeu est de trouver la meilleure combinaison entre différents métaux et alliages pour réaliser des surfaces bactéricides révolutionnaires», indique Jorge Cors.
Chaque nouveau matériau est testé au contact des bactéries prioritaires. «Nous avons déjà identifié plusieurs alliages qui fonctionnent et qui sont très prometteurs. L’étude de faisabilité est donc terminée. Désormais, il s’agit d’évaluer les applications potentielles de ces nouveaux matériaux, en testant notamment leur toxicité sur les cellules humaines saines et la durée de leur effet», explique Karl Perron.
«C’est un bel exemple de recherche interdisciplinaire, qui exploite des techniques et connaissances issues de la recherche sur les matériaux électroniques. Elle répond à un problème de santé publique en développant des alliages innovants capables d’attirer et piéger les bactéries pour les détruire de manière ciblée», se réjouit Christoph Renner, professeur ordinaire au Département de physique de la matière quantique, responsable du groupe de recherche Microscopie et spectroscopie par sonde à balayage, et vice-doyen de la Faculté des sciences de l’UNIGE.
Ces surfaces pourraient être utilisées pour marquer les instruments chirurgicaux et les implants, en utilisant notamment la technologie d’écriture métallurgique développée au Département de physique de la matière quantique de l’UNIGE. Elles pourraient également servir au revêtement des surfaces de contact du quotidien, pour prévenir la formation de biofilms bactériens, ainsi qu’au traitement des conduites et des filtres dans l’industrie alimentaire, directement concernée par le risque infectieux. Les scientifiques constitueront un catalogue des alliages bactéricides possibles – les alliages n’étant pas tous efficaces contre les mêmes bactéries – afin de concrétiser cette recherche dans des applications industrielles ciblées.