Une molécule soufrée pour bloquer le coronavirus
Certains virus pénètrent à l’intérieur des cellules grâce à des molécules organiques soufrées. Des chimistes de l’UNIGE ont découvert des inhibiteurs efficaces de ce mécanisme qui pourraient bloquer l’absorption du SARS-CoV-2.
Dans l’absorption cellulaire médiée par les thiols, un virus se lie avec les thiols à la surface de la cellule grâce à des échanges covalents dynamiques. Cette liaison dynamique précède l’entrée dans la cellule par différents mécanismes. Son inhibition pourrait permettre d’obtenir de nouveaux antiviraux.© UNIGE/MATILE.
La membrane cellulaire est imperméable aux virus. Pour pénétrer à l’intérieur d’une cellule et l’infecter, ces derniers utilisent diverses stratégies qui exploitent les propriétés cellulaires et biochimiques des membranes. L’absorption médiée par les thiols –des molécules organiques similaires aux alcools où l’oxygène est remplacé par un atome de soufre– est un des mécanismes d’entrée dont l’utilisation par le virus de l’immunodéficience humaine (VIH) a été démontrée il y a quelques années. Aucun inhibiteur efficace n’est actuellement disponible en raison de la robustesse des réactions et liaisons chimiques mises en jeu. Un groupe de recherche de l’Université de Genève (UNIGE) a cependant identifié des inhibiteurs jusqu’à 5000 fois plus efficaces que l’inhibiteur communément utilisé. Des tests préliminaires, publiés et accessibles gratuitement dans Chemical Science, la revue phare de la Royal Society of Chemistry, démontrent le blocage de l’entrée cellulaire de virus exprimant les protéines du SARS-CoV-2. L’étude ouvre la voie vers la recherche de nouveaux antiviraux.
Depuis 2011, le laboratoire du Professeur Stefan Matile, au Département de chimie organique de la Faculté des sciences de l’UNIGE et membre des Pôles de recherche nationaux (PRN) « Chemical Biology » et « Molecular Systems Engineering », s’intéresse aux réactions des thiols avec d’autres structures contenant aussi du soufre: les sulfures, des molécules où le soufre est combiné à d’autre éléments chimiques. «Il s’agit de réactions chimiques très spéciales, car elles peuvent changer d’état de manière dynamique», indique-t-il. En effet, selon les conditions, les liaisons covalentes basées sur le partage d’électron entre deux atomes, oscillent parfois librement entre les atomes de soufre.
Traverser la membrane cellulaire
Les composés soufrés sont présents dans la nature, notamment dans la membrane des cellules eucaryotes, sur l’enveloppe des virus, sur les bactéries ou les toxines. Un mécanisme d’absorption, médiée par les thiols qu’ils affichent permettrait le passage, très difficile autrement, de ces composés de l’extérieur vers l’intérieur de la cellule. Il y a quelques années, des études ont notamment montré que l’entrée du VIH et celle de la toxine diphtérique utilisaient un mécanisme impliquant des thiols. Une étape clé inclurait justement la liaison dynamique entre thiols et sulfures. «Tout ce qui approche une cellule peut se connecter à ces liaisons dynamiques du soufre. Ces dernières permettent l’entrée du substrat dans la cellule soit par fusion, soit par endocytose, ou encore par translocation directe à travers la membrane cellulaire», précise Stefan Matile.
À la recherche d’un inhibiteur
Lors du premier semi-confinement du printemps 2020, alors qu’il travaillait à l’écriture d’une revue bibliographique sur le sujet, le laboratoire de Stefan Matile s’est mis à la recherche d’inhibiteurs potentiels des liaisons thiols et sulfures, dans l’espoir d’identifier des antiviraux contre le SARS-CoV-2. Ses collaborateurs et collaboratrices ont ainsi passé en revue plusieurs inhibiteurs potentiels en réalisant des tests d’inhibition de l’absorption cellulaire des molécules soufrées, marquées avec des sondes fluorescentes pour permettre d’identifier leur présence à l’intérieur des cellules par microscopie à fluorescence.
Des molécules jusqu’à 5000 fois plus efficaces que le réactif d’Ellman, généralement utilisé jusqu’ici, ont ainsi été identifiées. Fort du degré d’inhibition induit, le laboratoire a par la suite pris contact avec Neurix, une start-up genevoise, pour effectuer des tests anti-viraux. Pour ce faire, les scientifiques ont modifié des virus de laboratoire appelés lentivecteurs afin qu’ils expriment les protéines de l’enveloppe virale du SARS-CoV-2 de manière inoffensive et sécurisée. Un des inhibiteurs s’est avéré efficace pour bloquer l’entrée du virus dans des cellules in vitro. «Ces résultats sont très préliminaires et il serait totalement spéculatif de dire que nous avons découvert un médicament antiviral contre le coronavirus. Néanmoins, nous démontrons que l’absorption cellulaire médiée par les thiols pourrait être une piste intéressante pour le développement de futurs antiviraux», conclut Stefan Matile.