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Editorial de l'été 2023 "LES TROUS NOIRS : MONSTRES DE L’ESPACE-TEMPS" par Trinh Xuan Thuan

LES TROUS NOIRS : MONSTRES DE L’ESPACE-TEMPS

Trinh Xuan Thuan
Professeur émérite d’Astronomie
Université de Virginie

De l’avis de tous les spécialistes, la théorie de gravité appelée « relativité générale » d’Albert Einstein est l’édifice intellectuel le plus beau et le plus harmonieux jamais construit par l’esprit humain. En connectant et unifiant des concepts fondamentaux de la physique, jusque-là totalement distincts – le temps et l’espace, la masse et l’énergie, la matière et le mouvement – elle n’a cessé de nous étonner en nous annonçant des objets imprévus et inattendus, plus fantastiques les uns que les autres, mais dont l’existence a été invariablement confirmée par les observations du cosmos. Dans ce bestiaire cosmique, les « trous noirs » occupent une place de choix. Leur gravité extrême donne lieu à des phénomènes qui défient le bon sens en ce qui concerne le temps et l’espace. Leurs étranges et merveilleuses propriétés fascinent non seulement le monde scientifique, mais aussi le grand public.

Le concept du trou noir a surgi dès le XVIIIe siècle, mis en avant indépendamment par le philosophe anglais John Michell (1724-1793) et l’astronome français Pierre Simon de Laplace (1749-1827). Leur raisonnement était simple. Il faut une certaine vitesse minimum pour échapper à un champ de gravité. Ainsi, pour échapper à la gravité de la Terre et s’élever dans l’espace, une fusée devra atteindre la vitesse de 11 kilomètres par seconde. Supposons qu’il existe un objet avec une gravité si grande que la vitesse requise pour lui échapper soit supérieure à celle de la lumière. Dans ce cas, la lumière serait prisonnière de cette masse et celle-ci paraîtra noire. Laplace appelait poétiquement ces prisons de lumière des « astres occlus ». La désignation de « trou noir » ne viendra que bien plus tard, en 1967, popularisée par le physicien américain John Wheeler. Le mot « trou » suggère l’idée d’une région d’espace qui vous engloutirait si vous y tombez et dont vous ne pourrez plus jamais ressortir. Mais l’idée de Michell et de Laplace était trop en avance sur leur temps et les choses en restèrent là pendant plus d’un siècle.

En 1915, quand Einstein publia sa relativité générale, un jeune astronome allemand du nom de Karl Schwarzschild (1873-1916), alors qu’il servait dans l’armée allemande sur le front russe pendant la Première guerre mondiale, fut le premier à démontrer que la théorie prédisait l’existence de bizarres objets dont la gravité était si puissante et dont l’espace environnant était si recourbé que la lumière ne pouvait plus en sortir.

Mais même Einstein le révolutionnaire ne pouvait accepter un tel concept. Il jugeait l’idée d’un trou noir saugrenue et pensait que sa chère théorie devrait perdre pied et ne plus décrire la réalité quand la gravité devenait extrêmement grande. Bien avant sa disparition en 1955 à Princeton, Einstein avait déjà perdu tout intérêt pour ces prisons de lumière qui bafouaient le bon sens. Sollicité de toute part, préoccupé par l’élaboration d’une grande théorie qui unifierait la force de gravité avec la force électromagnétique, le père de la relativité cessa de participer à l’exploration des propriétés des trous noirs dès 1940. Il laissa cette tâche à ses jeunes collègues physiciens qui, ce faisant, découvrirent les propriétés les plus étranges et les plus merveilleuses concernant ces objets fantasmagoriques.

Comment fabriquer des trous noirs ?

En principe, toute chose peut devenir un trou noir. Il suffit de la comprimer au-deçà d’une certaine taille. Parce que plus sa taille rétrécit, plus le champ de gravité augmente, l’espace devient tout courbé. Si bien que la lumière ou tout objet matériel, obligés de suivre les contours sinueux de l’espace contorsionné, ne peuvent plus en ressortir. On appelle cette taille limite le « rayon de non-retour », l’« horizon » ou encore le « rayon de Schwarzschild » du trou noir. Une fois la sphère-horizon (la sphère dont le rayon est égal à celui de non-retour) franchie, le voyage devient à sens unique : vous pouvez entrer dans le trou noir, mais plus jamais en ressortir vivant. On peut démontrer que le rayon de non-retour d’un trou noir varie en proportion de sa masse. Ainsi le Soleil, avec sa masse de 2. 1033 grammes, deviendrait trou noir si une main géante comprimait son rayon actuel de 700 000 kilomètres à 3 kilomètres. Une étoile qui serait dix fois plus massive que le Soleil aurait un rayon de non-retour dix fois plus grand, soit 30 kilomètres. Vous qui pesez moins de 100 kilos, vous deviendriez un trou noir si l’on vous comprimait à 10–23 centimètre, c’est-à-dire dix milliards de fois plus petit que la taille d’un noyau d’atome.

En réalité, ni le Soleil ni vous ni moi ne deviendrons jamais des trous noirs. S’agissant du Soleil, c’est la pression de l’intense rayonnement qu’il génère grâce à l’alchimie nucléaire en son cœur qui contre la force de gravité et l’empêche de s’effondrer. Quand il épuisera son carburant d’hydrogène dans quelque 5 milliards d’années, la gravité va prendre les commandes et le comprimer. Mais il deviendra non pas un trou noir, mais une « naine blanche », un cadavre stellaire avec un rayon de 10 000 kilomètres, bien supérieur au rayon de non-retour de 3 kilomètres d’un trou noir de masse solaire. Quant à nos augustes personnes, nous ne sommes pas assez massifs pour que la force de gravité exercée par notre masse soit suffisamment intense pour prendre le dessus sur les forces électromagnétiques qui résistent à la compression. Ce sont ces dernières qui soudent ensemble les atomes et les molécules de notre corps, qui donnent la solidité aux os de notre squelette, et confèrent la forme et la cohésion aux choses. Grâce à leur action, personne n’a la capacité de comprimer des êtres humains à des tailles subatomiques. C’est heureux pour nous, car ceux qui ne nous aiment pas ne peuvent pas nous faire disparaître du monde visible en nous comprimant en trous noirs !

Les trous noirs stellaires et les binaires X

Les trous noirs existent-ils ? La réponse est un oui catégorique. Aujourd’hui, les astronomes ont déniché de nombreux trous noirs dans l’espace-temps. Viennent d’abord les trous noirs stellaires de la masse de quelques dizaines de masses solaires, qui résultent de la mort d’étoiles massives et qui jonchent le terreau de la Voie lactée. D’autre part, la nature a aussi fabriqué des trous noirs à masse intermédiaire, de plusieurs millions de masses solaires, et d’autres incomparablement plus massifs, possédant une masse de plusieurs milliards de masses solaires. Ces monstres supermassifs qui résultent de l’agglomération par la gravité d’une multitude de trous noirs stellaires, résident au cœur de la majorité des galaxies. Comment les astronomes ont-ils pu les mettre en évidence ? Sans aucune lumière pour les guider, ne sont-ils pas littéralement « dans le noir » ?

Bien sûr, il leur est impossible de scruter directement la « singularité » d’un trou noir, le point où son champ de gravité et sa densité deviennent infinis. Mais les trous noirs trahissent leur présence par une gloutonnerie insatiable et les dégâts qu’ils causent à leur environnement. Ils attirent par leur gravité tout ce qui passe à proximité et gagnent en masse. Ce cannibalisme a des conséquences observables. Le premier trou noir stellaire fut découvert au début des années 1970 dans ce qu’on appelle une « binaire ». En effet, la grande majorité des étoiles de la Voie lactée vivent, comme les humains, en couple, chacune virevoltant autour de l’autre dans une valse endiablée. Si l’étoile la plus massive de la paire meurt pour devenir un trou noir, l’autre étoile, étant moins massive et donc possédant une plus longue vie, continuera de tourner autour de sa compagne invisible comme si de rien n’était. Le champ de gravité puissant du trou noir attire l’atmosphère gazeuse de l’étoile vivante visible qui tombe en spirale vers la bouche béante du trou noir et se dispose en un disque aplati autour de ce dernier, appelé « disque d’accrétion ». Dans leur mouvement de chute, les atomes de gaz s’entrechoquent violemment et s’échauffent à des millions de degrés, émettant de copieuses quantités de lumière X, avant de franchir le rayon de non-retour et de disparaître à tout jamais. C’est en détectant ce rayonnement énergétique avec des télescopes X en orbite que les astronomes ont réussi à débusquer les trous noirs stellaires dans leurs tanières. Ainsi, dans la direction de la constellation du Cygne, les astronomes ont découvert en 1971 une source X très brillante du nom de Cygnus X-1. A cet emplacement se trouve une étoile qui, on le sait grâce à l’étude de son mouvement, tourne autour d’un objet invisible ayant la masse d’une vingtaine de Soleils. Puisque les autres types de cadavres stellaires sont beaucoup moins massifs (la masse d’une naine blanche est inférieure à 1,4 masse solaire, et celle d’une étoile à neutrons inférieure à environ 3 masses solaires), Cygnus X-1 doit contenir un trou noir stellaire résultant de la mort d’une étoile massive. Environ 200 de ces binaires hébergeant un trou noir de masse supérieure à une dizaine de masses solaires ont été répertoriées dans la Voie lactée.

Le trou noir massif au cœur de la Voie lactée

Outre les trous noirs stellaires, la nature a aussi fabriqué des trous noirs de masse intermédiaire, des millions de fois plus massifs que les trous noirs stellaires. Ces monstres résident au cœur des galaxies. On pense qu’ils résultent de l’agglomération par la gravité d’une multitude de trous noirs stellaires. Ainsi un trou noir nommé « Sagittaire A*» de 4 millions de masses solaires (son rayon de non-retour est donc de 4 millions de kilomètres), trône au centre de notre Voie lactée. Il a révélé sa présence par les vitesses fantastiques des étoiles qui se trouvent dans ses parages. De très grandes vitesses sont en effet nécessaires pour résister à l’attraction gravitationnelle d’un trou noir. Ainsi les astronomes ont pu observer des étoiles au centre galactique qui se déplacent à des vitesses aussi fantastiques que 8 300 kilomètres par seconde, soit à 2,5% de la vitesse de la lumière ! Comparez cela à la vitesse du Soleil qui n’atteint qu’un poussif 220 kilomètres par seconde ! On pense que les trous noirs jouent le rôle de germes de galaxies dans l’univers primordial : ce sont eux qui attirent par leur extrême gravité le gaz d’hydrogène neutre nécessaire pour former les milliards d’étoiles qui constitueront la galaxie.

Les trous noirs occupent donc une place fondamentale dans l’astrophysique contemporaine. Ce constat n’a pas échappé à l’attention des comités de sélection des prix scientifiques. Reinhard Genzel (né en 1952) et Andrea Ghez (née en 1965) ont été récompensés par le Prix Nobel de physique 2020 pour avoir prouvé qu’un objet invisible et extrêmement massif – un trou noir – gouverne les orbites stellaires au centre de notre Voie lactée. Le mathématicien Roger Penrose (né en 1931) a partagé avec eux ce Prix pour avoir démontré que les trous noirs sont une conséquence inévitable de la théorie de la Relativité Générale d’Einstein. En 2022, une équipe internationale d’astronomes a réussi une fantastique prouesse technique : en utilisant un réseau global de radiotélescopes disséminés sur toute la Terre, créant ainsi un télescope « virtuel » de 10 000 kilomètres de diamètre, égal à celui de notre planète, ils ont réussi à obtenir une image du disque d’accrétion de gaz et de poussière qui entoure le trou noir Sagittaire A*, c’est-à-dire de la région se situant juste au-delà du rayon-horizon (ou rayon de non-retour) de l’objet invisible (voir figure). Le télescope s’appelle le « Event Horizon Telescope » (EHT) signifiant « Télescope de l’horizon des évènements ».  

Le trou noir au centre de la Voie lactée peut-il représenter un danger pour nous ? Risque-t-il de dévorer la Terre, et nous avec ? Sagittaire A* a un rayon de non-retour de 12 millions de kilomètres, soit seulement 40 secondes-lumière. La Terre étant située à 26 000 années-lumière du centre galactique, nous sommes bien loin des griffes du monstre ! La perspective d’être dévoré par le trou noir du centre galactique est vraiment le moindre de nos soucis. Pour ceux qui ne peuvent pas s’empêcher d’être alarmistes et de s’inquiéter de la fin du monde, la mort du Soleil dans quelque 5 milliards d’années constitue un danger autrement plus réel.      

Les quasars hébergent des trous noirs supermassifs

Il existe des trous noirs encore plus monstrueux, avec des masses de milliards de masses solaires. Ainsi le EHT a pu photographier en 2019 la région autour du trou noir situé au cœur de la galaxie Messier 87. Celle-ci possède une masse de 6,5 milliards de masses solaires, soit 1625 fois plus que Sagittaire A*. Mais dans l’étrange et merveilleux bestiaire de l’astrophysique, les trous noirs les plus massifs sont ceux qui peuplent le cœur des « quasars ». Les quasars sont les objets les plus intrinsèquement lumineux du cosmos. Situés aux confins de l’univers, ce sont des galaxies qui hébergent en leur cœur un trou noir supermassif qui cause par sa voracité insatiable des ravages dans la population des étoiles de la galaxie-hôte. Par son énorme gravité, il va happer toutes les étoiles imprudentes qui s’aventurent trop près de son rayon de non-retour, les étirer par son énorme gravité en forme de pâte de spaghetti, les déchiqueter et les engloutir. Le gaz des étoiles martyrisées tombe en spirale vers la bouche béante du trou noir, se disposant dans un disque d’« accrétion ». Le gaz s’échauffe et rayonne de tous ses feux avant de franchir le rayon de non-retour. La brillance du noyau est mille fois supérieure à celle de la galaxie-hôte, autant que 100 000 milliards de Soleils réunis. Cette énergie prodigieuse vient pourtant d’une région à peine plus grande que notre système solaire, moins d’un centième de millième de la taille de la galaxie-hôte, ce qui fait que, pour l’observateur terrestre, le quasar paraît comme un point lumineux, une simple étoile. Ce qui lui vaut son nom : « quasar » est la contraction de l’anglais « quasi-star ». La majorité des quasars sont situés aux confins de l’univers. Et comme regarder loin, c’est voir tôt, les quasars nous apparaissent aujourd’hui tels qu’ils étaient lorsque l’univers était encore dans sa prime jeunesse, lorsqu’il n’avait que quelques milliards d’années.

Pour maintenir la brillance des quasars, il faut sans cesse alimenter le monstre en leur cœur. Un trou noir supermassif demande un approvisionnement en nourriture de mille étoiles de la masse du Soleil par an, soit un peu moins de cent étoiles par mois. Ce n’est certes pas une demande de nourriture exorbitante. Mais la réserve des étoiles disponibles pour être consommées par le trou noir n’est pas illimitée. A cause de sa gloutonnerie, le trou noir crée graduellement le vide autour de lui, se coupant peu à peu de toute source d’alimentation. Sans ravitaillement, le quasar décline en brillance et s’éteint. A la fin, la galaxie-hôte se retrouve avec, en son cœur, un trou noir qui n’a presque plus aucune activité. Née vers la fin du premier milliard d’années (le temps nécessaire pour que la fusion de petits trous noirs produise des trous noirs supermassifs), la population des quasars a atteint sa période la plus florissante vers 3,5 milliards d’années après le Big Bang. C’était l’époque prospère où la nourriture était abondante et où le ravitaillement ne posait aucun problème. Mais les vivres ont commencé à se faire rare et la population des quasars a commencé à décliner. Aujourd’hui, dix milliards d’années après, elle est presque entièrement décimée.

Les trous noirs et les ondes gravitationnelles

Autre conséquence merveilleuse et spectaculaire de la théorie de la relativité générale : elle nous dit que tout objet qui possède un mouvement non uniforme mais accéléré engendre des ondes de courbure de l’espace, ou « ondes gravitationnelles », qui se propagent à la vitesse de la lumière. Ainsi une paire d’objets compacts (qui peuvent se présenter sous la forme de naines blanches, d’étoiles à neutrons ou pulsars, ou de trous noirs) dansant l’un autour de l’autre dans une valse endiablée est une source intense d’ondes gravitationnelles.
En se propageant vers l’extérieur, ces ondes volent de l’énergie de mouvement aux deux objets compacts, ce qui fait tomber ces derniers en spirale l’un vers l’autre dans un mouvement orbital qui s’accélère jusqu’à atteindre la vitesse de la lumière. Les deux objets compacts se rapprochent de plus en plus pour fusionner ensemble, événement qui est célébré par un jaillissement final de nouvelles ondes gravitationnelles intenses.

Comment détecter les ondes gravitationnelles ? La première évidence observationnelle de l’existence de telles ondes fut indirecte. Elle est due au radioastronome américain Joseph Taylor (né 1941) et à son étudiant de thèse Russell Hulse (né en 1950). Ils avaient découvert en 1974 une paire de pulsars appelée « pulsar binaire ». Un pulsar est une étoile à neutrons tournant très rapidement sur elle-même et possédant un faisceau de lumière radio qui balaie la Terre à chaque tour de rotation, résultant en des pulsations périodiques, d’où son nom. Pendant plusieurs décennies, les deux astronomes ont patiemment suivi avec le radiotélescope géant d’Arecibo, à Porto Rico, la danse endiablée de la paire de pulsars. Ils ont effectivement déterminé que les deux objets compacts tombaient en spirale l’un vers l’autre. Mieux : ce mouvement ne pouvait s’expliquer que si chacun des deux pulsars perdait de l’énergie en émettant des ondes gravitationnelles, exactement dans la quantité prévue par la relativité générale. Cette démonstration indirecte de l’existence d’ondes gravitationnelles et d’une nouvelle éclatante confirmation de la validité de la relativité générale a valu aux deux chercheurs le prix Nobel de physique en 1993.

Mais pouvons-nous espérer détecter directement des ondes gravitationnelles ? Une telle détection n’est pas une mince affaire car la force de gravité est extrêmement faible comparée à la force électromagnétique (1037 fois plus faible). Pour mesurer le passage d’une onde gravitationnelle, il faudrait construire un instrument capable de mesurer des changements infimes dans l’espace, de l’ordre de 10-15 centimètre, soit seulement un centième de la taille d’un proton ! Pour réaliser une telle prouesse technique, le physicien Rainer Weiss a conçu l’observatoire LIGO (acronyme de Laser Interferometer Gravitational Wave Observatory, qui signifie « Observatoire d’ondes gravitationnelles avec des interféromètres à laser ») en 1992. LIGO est composé de deux interféromètres séparés par plus de 3 000 kilomètres sur le territoire des Etats-Unis, l’un situé à Livingston, en Louisiane, et l’autre à Hanford, dans l’Etat de Washington. Des interféromètres séparés géographiquement sont essentiels pour s’assurer que les ondes gravitationnelles sont bien d’origine cosmique. Dans ce cas, les deux interféromètres les détecteront simultanément. En revanche, s’il s’agit d’une perturbation locale, un train qui passe par exemple, un seul interféromètre y sera sensible.

Les résultats ont été spectaculaires. Après des décennies de travail ardu pour le construire et le mettre au point, l’observatoire LIGO a détecté le 14 septembre 2015 les premières ondes gravitationnelles. Un siècle s’est écoulé depuis la prédiction de leur existence par Einstein en 1916. Ces ondes proviennent de la fusion d’une paire de trous noirs stellaires, avec des masses respectives de 36 et 29 fois celle du Soleil, et situés dans une lointaine galaxie à une distance d’environ 1,3 milliard d’années-lumière. D’autres détections d’ondes gravitationnelles ont suivi. Jusqu’à décembre 2017, LIGO a détecté quatre autres événements, dont trois proviennent de la fusion de paires de trous noirs, comme le premier de la série.

La découverte des premières ondes gravitationnelles inaugure une nouvelle ère de recherches qui s’avère passionnante. Elle offre aux astrophysiciens un moyen totalement inédit pour étudier les mystères de l’univers. Parce que ces ondes n’interagissent pas avec la matière interstellaire, elles ont l’avantage de n’être ni absorbées ni déformées. Elles nous apportent ainsi des nouvelles intactes des régions toutes proches du rayon de non-retour (ou horizon) des trous noirs, celles imagées par le EHT. Alors que les ondes lumineuses électromagnétiques nous renseignent sur les propriétés physiques de la matière autour de ces objets compacts, telles la densité ou la température du gaz interstellaire, l’abondance des éléments chimiques, l’intensité du champ magnétique ou encore la libération d’énergie gamma, les ondes gravitationnelles nous fournissent des informations complémentaires essentielles sur les déformations de l’espace-temps autour de ces monstres massifs. Elles nous raconteront maints détails sur leur évolution. Elles nous préciseront leurs mouvements de rotation, la forme de leurs orbites, ou encore les péripéties de leur fusion et les vibrations de l’espace-temps qui en ont résulté, et ce faisant, testeront de manière encore plus rigoureuse nos idées sur l’évolution des trous noirs. Le comité Nobel ne s’y est pas trompé. Il a récompensé les concepteurs et réalisateurs de LIGO Rainer Weiss (né en 1932), Kip Thorne (né en 1940) et Barry Barish (né en 1936) par le prix Nobel de physique en 2017.  

La recherche sur les trous noirs a encore bien de beaux jours devant elle. Elle continuera à nous permettre de tester de manière encore plus stricte la théorie de la relativité générale, de la pousser dans ses limites les plus extrêmes et dans ses moindres recoins. Elle nous permettra d’affiner nos idées sur la formation des premières étoiles massives et des galaxies primordiales.

Charlottesville, Virginie, 25 Juin 2023  

 

 

 

3 août 2023

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