Les sermons de Calvin
La prédication est aujourd'hui très largement reconnue comme une part essentielle de l'œuvre de Calvin, tant du point de vue quantitatif (entre 4 et 5'000 sermons en vingt-cinq ans, soit entre un tiers et la moitié de l'ensemble de son œuvre) que du point de vue de leur contenu et de l'importance que le réformateur et son entourage accordaient eux-mêmes à leur conservation et à leur diffusion. On sait qu'il n'en a pas toujours été ainsi.
Voici résumé en quelques étapes-clés ce que Bernard Gagnebin a appelé « l'incroyable histoire » des sermons de Calvin:
- Après avoir occasionnellement prêché en France avant son exil, Calvin commence sa carrière de prédicateur à Genève dès 1536. De retour de son séjour strasbourgeois en 1541, il est nommé ministre à Saint-Pierre et assure ainsi trois prédications les jours de la semaine et deux le dimanche; dès 1549, Calvin prêche tous les jours de la semaine (du lundi au samedi) une semaine sur deux, en plus des deux sermons dominicaux.
- Calvin prêche selon le principe de la lectio continua: il commente ainsi les livres bibliques de façon systématique, du début jusqu'à la fin (cette méthode se distingue de la prédication par lieux communs et de la prédication qui suit un lectionnaire, ce dernier modèle étant celui, traditionnel, de l'Église catholique et des luthériens). En semaine, Calvin prêche sur un livre de l'Ancien Testament, le dimanche, sur un livre du Nouveau Testament et sur les Psaumes.
- L'idée d'une mise par écrit systématique des sermons surgit probablement dès 1542, mais elle mettra du temps à se concrétiser: de premières tentatives dispersées sont suivies de l'engagement, en 1549, d'un sténographe (tachygraphe), Denis Raguenier, rémunéré par la Bourse française des pauvres étrangers. La Bourse possédera par la suite tous les droits sur les copies.
- Raguenier travaille pendant onze ans, du 29 septembre 1549 au 2 décembre 1560; il recueillera ainsi plus de 2'100 sermons. Son successeur, Paris Prostat, continue l'entreprise jusqu'à la mort de Calvin, ajoutant quelque 200 sermons à la moisson de Raguenier.
- Ces textes sténographiés, de plus de 6'000 mots en moyenne, sont mis au propre par différents scribes dans l'officine de Raguenier. Grâce au recoupement des catalogues existants (Raguenier 1560, BGE 1697 et 1702), on sait que 44 volumes de sermons manuscrits furent déposés à la Bibliothèque de Genève dans le courant du XVIIe siècle; cinq d'entre eux disparurent vraisemblablement jusqu'au début du XIXe siècle.
- La publication des sermons ne se fera qu'avec beaucoup de réticences de la part de Calvin: sans y être opposé par principe, il considère que ses prédications sont inabouties sur le plan stylistique et qu'elles n'ont, par définition, aucune valeur universelle étant donné qu'un prédicateur s'adresse toujours à un public particulier. Ses réserves s'expliquent sans doute aussi par la crainte de voir se diffuser des textes comportant des erreurs (traduction des péricopes, références bibliques) dues à un manque de préparation.
- Les nombreuses demandes issues des nouvelles communautés réformées établies en France finissent par avoir raison des réticences de Calvin. Exception faite d'un volume de Quatre sermons paru en 1552, les sermons sont néanmoins publiés sans avoir été revus par leur auteur. Du vivant de Calvin et après sa mort seront ainsi publiés plusieurs recueils de sermons choisis (p. ex. sur Gn 22, sur les Dix Commandements ou sur le Psaume 119), auxquels s'ajoutent quelques cycles complets (1 et 2 Timothée 1561, Tite 1563, Éphésiens 1562, Galates 1563, Job 1563, Deutéronome 1567).
- C'est en 1805 que se produit l'histoire « incroyable et lamentable » (Théophile Dufour) de la disparition de la quasi totalité des manuscrits: chargé par sa direction de vendre les livres existant à double, le bibliothécaire Jean Senebier saisit l'occasion pour vendre au prix du papier les 38 volumes restants de sermons manuscrits (un seul volume étant conservé comme témoin). Plusieurs raisons sont avancées pour expliquer un geste vite devenu incompréhensible: les sermons n'étaient pas autographes; l'écriture des scribes était difficile à déchiffrer; ils faisaient double emploi avec les commentaires imprimés; la bibliothèque, enfin, manquait de place.
- En 1823, huit volumes finissent par être redécouverts par des étudiants en théologie; quelques autres volumes réintègrent la Bibliothèque de Genève au XIXe siècle; elle possède aujourd'hui un total quatorze volumes de sermons manuscrits de Calvin.
- Plusieurs volumes découverts dans le courant du XXe siècle viennent s'ajouter aux fonds de la BGE : quelques sermons conservé dans un manuscrit de la BNF, un volume à la Bodléienne d'Oxford, un volume à la Burgerbibliothek de Berne ainsi que trois volumes à la bibliothèque de l'Église protestante française de Londres. La plupart de ces manuscrits sont des copies de volumes disparus.
- Les éditeurs des Calvini Opera quae supersunt omnia (1863-1900) ne s'étaient pas intéressés aux sermons manuscrits. Les inédits sont en cours d'édition sous l'égide de la Communion mondiale d'Églises réformées (anciennement Alliance mondiale d'Églises réformées/World Alliance of Reformed Churches) depuis 1936 dans la collection Supplementa Calviniana (Neukirchener Verlag): 10 volumes ont paru à ce jour (>> inventaire des sermons manuscrits).