Le projet

Résumé du projet

Le projet porte sur les premiers tours du Monde touristiques (TdM) (1869-1914) et questionne le nouveau régime de géographicité qu’ils reflètent et participent à instaurer. Il s’agit de périples opérés par des personnes qui affirment faire un TdM essentiellement pour leur agrément, et se revendiquent comme touristes, et non (exclusivement) comme explorateurs, journalistes, diplomates, etc. Le projet questionne les enjeux, logiques et significations – notamment géographiques - de cette nouvelle pratique touristique et de son institutionnalisation.

Il se fonde sur deux hypothèses.
La première postule que les TdM correspondent à une mutation majeure de l’industrie touristique et de l’imaginaire géographique occidentaux, qui pour la première fois appréhendent le globe comme une attraction et un lieu dont on peut littéralement faire le tour. La seconde consiste à expliquer l’importance et la prégnance du motif du TdM et sa diffusion dans la culture populaire au-delà du cercle des touristes assez aisés pour parcourir le globe, par le rôle de dispositifs de simulation plus ou moins immersifs qui permettent à presque tous de faire un TdM virtuel.
La question de recherche principale consiste alors à interroger dans une perspective critique le processus d’objectivation du Monde opéré par ces TdM actuels (effectifs) et virtuels, en tant qu’étape importante de la mondialisation et de la modernité. Le Monde est désormais quelque chose qu’on peut faire : au sens où un touriste dit qu’il a fait tel pays, mais aussi au sens de la performance. Cette performance spatio-temporelle manifeste une nouvelle façon de pratiquer et habiter la planète en tant que telle : un nouveau régime de géographicité. En instituant le Monde en une échelle pertinente pour l’imaginaire voire les pratiques de chacun, les TdM possèdent une composante performative : ils font advenir l’espace (la planète comme le Monde des êtres humains), le temps (celui de la modernité) et le sujet de cette pratique (le globetrotter, qui se veut citoyen du Monde). Mais le TdM reste une pratique largement réservée aux Occidentaux et conditionnée par l’extension de leur domination technologique, économique et politique à l’échelle du globe : l’enjeu du TdM est pour eux de l’expérimenter et la célébrer.

 

Axes de recherche

  • Le premier axe concerne des archives liées à des TdM ayant été effectués. Au centre du projet : le voyage du Tessinois Emilio Balli (1878), exemplaire et documenté par des archives privées inexploitées, exceptionnellement riches et complètes. Intéressés par la place de la Suisse dans les TdM, aussi bien en tant que pays émetteur que récepteur, nous avons identifié neuf globetrotters helvétiques qui ont fait un TdM dans la période, documenté par des sources largement inédites. L’analyse de leurs parcours fait sens dans le cadre d’une micro-histoire globale.
     
  • Le deuxième axe porte sur des livres publiés, qui relatent ou présentent des TdM. Nous avons identifié 260 récits de TdM effectués entre 1869 et 1914, publiés principalement en anglais et en français, mais aussi, pour sept d’entre eux, en japonais. Une base de données sera constituée avec ces récits. Dans une perspective de littérature comparée, l’analyse permettra de dégager des structures et motifs communs, mais aussi des lignes de rupture attestant d’une évolution dans le temps et sans doute de différences selon le genre, la classe et la nationalité. Ce corpus est complété par des publications provenant des acteurs de l’industrie touristique : on a identifié onze guides et brochures publicitaires relatifs aux TdM, et exploré les archives de deux tour-operators.
     
  • Dans une perspective de visual studies, le troisième axe étudie des dispositifs constitués de séries d’images produites par un photographe ou un cinéaste à l’occasion d’un TdM (réel ou fictif), parfois au sein d’un groupe de touristes, et présentées de façon à permettre au public de refaire virtuellement ce TdM. Nous en avons retenu deux, en raison de leur intérêt intrinsèque et des sources les plus accessibles : deux séries de photographies stéréoscopiques Around the world de la compagnies Underwood (1905 et 1913) et neuf réalisations cinématographiques qui nécessitent et/ou mettent en scène un TdM (entre 1906 et 1914). On examinera dans le détail et dans un cadre intermédial comment le motif du TdM se diffuse pour s’imposer dans la culture populaire, permettant à tous de faire un TdM virtuel.
     
  • De façon transversale, dans le cadre d’une histoire globale et pour échapper à une approche eurocentrée, une attention particulière sera donnée à la place du Japon dans ces TdM en analysant par les méthodes de l’histoire croisée d’une part les pratiques et la réception des globetrotters occidentaux au Japon et d’autre part celles des rares globetrotters japonais (voyageant à l’occasion de 3 TdM à forfait organisés en 1908-1910) en Occident.