D'autres sources numérisées pour étudier la mondialisation par l'image?

Béatrice Joyeux-Prunel & Nicola Carboni

L'art est, autant que la presse, un prisme extraordinaire pour pister la mondialisation par l'image.

Les catalogues d’expositions sont une source privilégiée pour ce travail. Chaque catalogue donne une liste, foisonnante, d’œuvres d’art exposées en un lieu et un temps donnés. Chaque œuvre est souvent associée à son titre, le nom de son auteur présumé, des informations sur son médium, parfois sa date, son prix et son propriétaire. D’un catalogue à des milliers, quelle aubaine pour étudier la mondialisation artistique.

Visual contagions prolonge en partie un projet plus ancien, Artl@s.

 

Ce projet part de catalogues d'expositions pour pister, à l'échelle internationale et sur le long terme, la circulation mondiale des oeuvres d'art, des styles, des artistes. Un seul catalogue d'exposition permet de savoir où une oeuvre, un artiste a exposé à quelle date. Lorsqu'on passe d'un catalogue à des milliers, c'est un travail mondial qui devient possible, sur des populations élargies.

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Que contient un catalogue d'exposition? Outre des informations sur des oeuvres exposées, en quel lieu et à quelle date, et par quels artistes, un catalogue d'exposition donne souvent accès à des informations concernant la résidence de l'artiste, le lieu de conservation de l'oeuvre, parfois même le lieu ou le pays de naissance de l'exposant. Autant d'informations exceptionnelles pour reconstituer la circulation mondiale des carrières artistiques et le marché international de l'art.

 

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Artl@s met à disposition de tous une base collaborative mondiale de catalogues d’expositions, accessible par une plateforme spatio-temporelle.

L’art circule aussi dans la presse.

On trouve énormément de reproductions d’œuvres d’art dans les revues d’art publiées depuis la fin du XIXe siècle, reproductions que l’on peut relier parfois à leurs « originaux ». Connaissant la date et le lieu de l’image de départ, mais aussi celle de chaque reproduction, nous pouvons reconstituer des diffusions.

Si nous voulons rassembler ces « originaux » d’œuvres d’art, seul l’art antérieur aux années 1950 est vraiment disponible, à cause des règles du droit d’auteur. Nous profitons des images mises à disposition par Wikipédia et par certains musées.

Il est possible alors d’esquisser la trace des routes marchandes de biens culturels, de circulations d’artistes, de diffusions de styles et de goûts. La circulation mondiale des œuvres d’art est encore un excellent point de départ pour étudier la géopolitique mondiale de l’art, trop souvent présentée comme l’histoire des dominations successives de Paris jusqu’en 1945 et de New York depuis cette date. Les questions à aborder sont nombreuses encore - comment naissent et circulent les styles ? Comment apparaissent ou disparaissent certaines pratiques et certaines esthétiques ? Comment certains thèmes, qui n’étaient même pas envisageables à certaines époques (techniquement, moralement ou culturellement) finissent par se répandre et devenir évidents ? Quand la peinture impressionniste entre-t-elle dans la presse grand public ? Quand le fauvisme est-il enfin reproduit dans les revues de l’élite internationale ? Quand le dripping newyorkais apparaît-il dans des publicités, ou sur des vêtements ? Quand le pop art, lui-même repris à la Bande dessinée, devient-il une nouvelle esthétique médiatique ? … Autant de questions à poser de notre corpus 1 (périodiques illustrés) à notre corpus 2 (images artistiques).

 

Réseaux sociaux et mondialisation par l’image

Last, but not least, le projet Visual Contagions s’intéresse à des corpus d’images contemporaines – celles qui circulent sur les réseaux sociaux.

Avec la part grandissante des technologies dans notre quotidien depuis une vingtaine d’années – smartphone et ordinateurs, par exemple[1]–, il serait inconscient en effet de ne pas considérer les réseaux sociaux comme une source de la culture visuelle contemporaine.

Instagram, Facebook, TikTok, 4chan, Snapchat, Pinterest, entre autres, sont des plateformes où chaque jour le nombre d’images produites dépasse toutes celles que nous pourrons voir dans notre vie[2]. Ces réseaux sociaux ne sont pas déconnectés des autres régimes visuels – magazines illustrés, affiches de cinéma ou politiques, séries et flux télévisés. Ils en sont la continuité tant du point de vue du médium que du contenu[3].

Il n’y a donc aucune raison que les images créées, diffusées, et circulant avant les réseaux sociaux se soient arrêtées de circuler en 2004 (date de création de Facebook), voire en 2010 (fondation d’Instagram).

Pourquoi n’auraient-elles pas circulé aussi dans Twitter, Facebook et Instagram ? En reliant nos corpus 1 et 2 (périodiques imprimés et images d’art) à notre corpus 3 (images des réseaux sociaux), nous nous donnons la possibilité d’envisager une continuité de contenu entre les images de temps, de lieux et de supports divers.

 

Vers la suite :

Dans la cuisine du projet (ou les coulisses des "big data")

Vers ce qui précède:

Une possibilité épochale : le passé sous forme numérisée

Retour au chapitre :

II. Les promesses de la machine


[1] Les études annuelles du site WeAreSocial rendent compte des dynamiques et des disparités numériques contemporaines.

[2] Pour s’en rendre compte par soi-même : https://www.internetlivestats.com

[3] Dieter Mersch, Théorie des médias - une introduction, 2018, p. 125; Arjun Appadurai, Après le colonialisme: les conséquences culturelles de la globalisation, Paris, Payot Rivages, 2015, p. 98.