Cet été, faites grossir vos seins et repousser vos cheveux

Béatrice Joyeux-Prunel

Eté, quand tu nous presses...

Vite avant la plage, vient l’époque des régimes, du sport imposé, des angoisses sur son apparence.

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Meggendorfer-Blätter, Zeitschrift für Humor und Kunst, Munich, 98e volume, 1914, p. 14. Cette publicité pour des appareils photos met en scène une famille aux corps sveltes et musclés, posant en maillots de bain devant un photographe équipé.

Il y a un siècle nos ancêtres n’étaient pas très différents, même s'ils dénudaient beaucoup moins leurs corps que nous. Les femmes voulaient affiner leur taille et faire grossir leurs seins, les hommes diminuer leur calvitie ou étoffer leur barbe. 

 

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Jugend. Illustrierte Wochenschrift für 'Kunst' und 'Leben', 1910, vol.I, n°1:26, p. 61. Au survol: ibid. p. 186.

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Les images qui circulent dans la presse illustrée, et que la machine nous rapporte par gros lots, racontent les petits soucis quotidiens, les grands désirs comme les illusions les plus vaines.

Rages de dents, insomnies, troubles menstruels, coliques, « poils et duvets disgracieux du visage et du corps », « maigrir », « rajeunir », « plus de cheveux gris », nerfs, dents, constipation, timidité, asthme, épilation...

 

La lise est longue encore : "Rhumes anciens et récents, toux, bronchites"; maladies des intestins et des poumons; "Korpulenz", "nez rouge" et boutons; "Neurasthénie des hommes" et "faiblesse nerveuse", femmes à barbe, dépendance au tabac, alcoolisme, dépendance à la morphine ou l'héroïne, "Heilung der Syphilis" ...

C’est une litanie des insatisfactions et des problèmes humains quotidiens qui s’étale en illustrations et en textes. Un arrêt sur image des maladies d'une époque.

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La Mode nationale. Messager des modes nouvelles, Paris, 2 mars 1912.

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On découvre aussi comment certains soucis sont discrètement mentionnés et réglés - notamment la grossesse non désirée.

 

L'Apiol (un abortif bien connu des médecins) n'a pas marché ? « Madame quand vous aurez essayé de tout sans résultat, écrivez à Mme Hemy, 110, bd de la Chapelle, Paris, qui vous indiquera gratuitement sous pli cacheté un moyen efficace et sans danger de supprimer tous retards » (La Mode nationale. Messager des modes nouvelles, Paris, 2 mars 1912).

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Publicité pour l'Apiol, principe actif utilisé pour soigner l'aménorrhée (absence de menstruations), mais aussi pour avorter. Source : Revue illustrée, Paris, 15 juin 1900.

En image, c'est plutôt la situation sans problème que le problème, qui est visualisée.

 

Comme toujours. Les images publicitaires veulent faire croire qu'elles apportent tout ce qu'il faut pour un bonheur facile, immédiat, simple et sans difficultés sociales ni sanitaires : visages souriants, mentons levés, fronts hauts et sereins, tout sera réglé!

En même temps, la presse illustrée d'il y a un siècle est le royaume des promesses les plus drôles.

Comment faire grossir ses seins en « très peu de temps », stopper sa timidité, influencer les autres? De la poudre orientale aux solutions des voyantes, on trouve un peut tous les types de propositions, y compris les solutions d'un "prêtre de Rome" pour soigner les escarres, les ulcères et les problèmes de peau.

 

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Meggendorfer-Blätter, Zeitschrift für Humor und Kunst, Munich, 98e volume, 1914, p. 16. "Vous avez un beau visage ! Mais votre nez ??"

"Vous avez un beau visage ! Mais votre nez ?? "

L'appareil magique du "spécialiste" pourra même vous changer la forme du nez, "vite et pour longtemps"...

Autre promesse mirifique : l'influence sur les autres.

...Si ces publicités reviennent de façon régulière, d'un pays à l'autre, c'est bien qu'elles marchaient et généraient de beaux revenus.

Celle-ci, vantant un livre de recettes pour augmenter son aura et avoir de l'emprise sur les autres, parut notamment dans Le Rire rouge, Edition de guerre du journal ‘Le Rire’ paraissant le samedi (Paris, 31 juillet 1915, n°37, p. 1), dans The Black Cat (Londres, 1915, vol. 20, n°4, p. 4), dans les Meggendorfer-Blätter (Munich, vol. 98, 1914, p. 14) et dans la revue Jugend (31, vo. 1, 1926, p. 320). On la retrouve dans d'autres revues illustrées jusqu'à la fin des années 1920. Cette publicité est l'une des rares qui, dans notre corpus, circule entre les pays européens, à une époque où la publicité reste une affaire nationale (ou limitée à une même région linguistique). L'auteur du livre vanté par ces lignes, Elmer Ellsworth Knowles - pseudonyme d'un certain Elmer Sydney Prather (1872-1939), semble s'être constitué une petite fortune en vendant par correspondance des ouvrages et des appareils pensés pour influencer les personnes de votre choix[1]. Le marchand de succès, de cours de voyance et d'hypnose, quitte les Etats-Unis dès 1909 après plusieurs procès pour fraude, et s'installe en Grande-Bretagne où il monte son affaire de vente par correspondance. D'une décennie l'autre, l'entreprise s'étend et au début des années 1920 elle propose ses ouvrages et ses démonstrations à Paris, Bruxelles, La Haye, outre les USA et l'Angleterre.

Gage, peut-être, que la méthode Knowles marchait, au moins pour lui, l'emprise du charlatan se fait encore sentir sur certains sites d'astrologie qui proposent ses livres.

Mais comment pouvait-on y croire?

 

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Revue illustrée, Paris, 15 juin 1900. Au survol : La Jeune fille : journal hebdomadaire dirigé par des femmes du monde, Bruxelles, 15 avril 1901.

Les recettes miracles seront toujours conseillées par des « spécialistes », « experts » garantis dont on ignore en revanche le nom comme l’adresse.

L’origine « orientale » ou « hongroise » semble aussi la garantie d’une efficacité certaine pour des pillules, des poudres ou des farines destinées à faire grossir les seins.

Détail amusant, cependant, si les images restent les mêmes, les textes changent : les publicités savent s'adapter aux attentes des publics, variées selon les villes et les milieux sociaux.

Ainsi, certaines publicités visuelles reviennent d'un pays ou d'une ville à l'autre avec des légendes différentes. Le "Corset de la Faculté" vanté en juin 1900 par la Maison Jeanne d'Arc (265 Rue St Honoré à Paris) dans la Revue illustréen'a plus le label facultaire lorsqu'il est proposé dans la revue bruxelloise La Jeune fille, journal hebdomadaire dirigé par des femmes du monde. Peut-être parce que les mères vérifiaient plus le sérieux de ce que leurs filles lisaient, que celui des revues qu'elles achetaient elles-mêmes...


Vers la suite :

Quand la machine se fiche de nous.

Vers ce qui précède :

Partage-t-on ses blagues entre pays ? L'humour en images, à l'échelle mondiale.

Retour au chapitre :

Les surprises de la machine

 

Notes:

[1] Bernard Petitdant, "Le professeur Ellmer Ellsworth Knowles et son Cristal radio-hypnotique", Kinésithérapie, la revue, vol. 20, n°221, mai 2020, p. 41-45. https://doi.org/10.1016/j.kine.2019.08.007.