Éric Eigenmann, © 2003
Dpt de Français moderne – Université de Genève
Cette polysémie rappelée, quels traits communs partagent donc les pièces de Racine, de Marivaux, de Musset, de Beckett et de tous les autres? Les définitions qui précèdent fournissent surtout des critères extrinsèques, telle la destination scénique du texte, qu'elle ait été prévue par son auteur ou rendue effective par sa mise en scène. Non seulement ces critères ne rendent pas compte d'une specificité textuelle, mais ils présentent le double défaut d'être à la fois potentiellement contradictoires et provisoires, car des textes qui n'ont pas été écrits pour le théâtre sont portés à la scène avec succès, parfois longtemps après leur parution (la pièce Les Brigands de Schiller, sous-titrée Lesedrama soit drame à lire
, le roman Les Cloches de Bâle d'Aragon); tandis qu'à l'inverse, des textes composés pour des comédiens (notamment au XVIIe et au XXe siècles) attendent toujours d'être joués.
Et le texte lui-même, indépendamment de son contexte? Certes, il se prête
apparemment mieux au théâtre dans la mesure où des personnages y dialoguent dans un milieu concret, visuellement et auditivement perceptible; de tels éléments seraient autant de matrices de théâtralité
(Ubersfeld). Dans cette perspective, toujours selon Barthes,
la théâtralité doit être présente dès le premier germe écrit d'une œuvre, elle est une donnée de création, non de réalisation. [...] le texte écrit est d'avance emporté par l'extériorité des corps, des objets, des situations; la parole fuse aussitôt en substances.
Ibidem, p. 42
Toutefois l'évolution de la mise en scène au XXe siècle, révélant la dimension normative, voire idéologique de la plupart des critères intrinsèques avancés par les théoriciens antérieurs, a démontré qu'on pouvait faire théâtre de tout
(Antoine Vitez), quitte à ce que seul le comédien supplée l'éventuelle pauvreté sensorielle de l'univers évoqué.
Edition: Ambroise Barras, 2003-2004