Éric Eigenmann, © 2003
Dpt de Français moderne – Université de Genève
Jamais sans doute la voix didascalique ne se fait plus discrète que dans la pièce de Bernard-Marie-Koltès La Nuit juste avant les forêts. Aucun espace n'est désigné, ni aucun personnage annoncé: le texte a tout d'un long monologue intérieur. Mais, détail essentiel, il est flanqué de guillemets, qui s'ouvrent avant le premier mot pour se fermer après le dernier. Guillemets qui signifient que le texte cite quelqu'un, un personnage qui parle. Il s'agit donc toujours énonciativement parlant de discours direct, signalé par la présence, discrète mais indéniable, d'une marque attributive.
Historiquement, c'est pourtant l'évolution inverse qui s'est produite: au fur et à mesure qu'on avance dans l'histoire du théâtre, on note plutôt, schématiquement, une amplification, une extension de la didascalie par rapport au dialogue. À l'inverse de l'effacement observé chez Koltès, la didascalie peut en effet s'enfler considérablement, et briguer tout de même le statut de voix narrative. Le phénomène commence avec les comédies mixtes de la période baroque, se poursuit sous la plume des dramaturges du XVIIIe (avant Beaumarchais, celle de Diderot, adepte de la pantomime, introduit de la sorte dans les pièces de véritables tableaux vivants), il s'amplifie ensuite avec le mélodrame romantique, pour donner lieu à des indications tatillonnes chez Feydeau et aboutir dans le théâtre contemporain à Acte sans paroles (I et II, 1956 et 1959) de Beckett, longue didascalie décrivant les faits et gestes d'un personnage muet. Didascalie comparable, de soixante-dix pages, dans la littérature dramatique allemande: L'Heure où nous ne savions rien l'un de l'autre de Peter Handke.
Edition: Ambroise Barras, 2003-2004