Campus n°160

En action pour le climat

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C’est au cœur des villes que se décidera la transition énergétique. Afin de guider ce mouvement majeur, Géraldine Pflieger contribuera au prochain rapport du GIEC, qui sera précisément consacré à ce sujet.

Incendies géants au Canada et en Californie, inondations monstres à Valence, glissements de terrain dévastateurs au Népal: sur le front du climat, le dernier trimestre de l’année 2024 a été marqué par une succession ininterrompue de catastrophes. Pour ne rien arranger, la 29e édition de la COP (Conférence des parties sur le climat), qui s’est tenue à Bakou en novembre, a, de l’avis général, débouché sur une impasse. Et cette météo des plus maussades ne risque guère de connaître d’embellie en 2025, année marquée par l’investiture, à la tête du second pays émettant le plus de CO2 sur la planète (après la Chine), de Donald Trump, pour qui le changement climatique est, au mieux, une vaste foutaise. Face à un tel tableau, la tentation est grande de baisser les bras. Ce n’est pourtant pas le genre de Géraldine Pflieger. Directrice de l’Institut des sciences de l’environnement jusqu’au printemps prochain et maire de la partie française du village franco-suisse de Saint-Gingolph, la chercheuse reste convaincue qu’il est possible d’agir, au niveau académique comme à l’échelle citoyenne, pour inverser la balance. Et elle y emploie toute son énergie. Que ce soit par sa participation en tant qu’experte scientifique à la COP – qui a, à ses yeux, au moins le mérite de réunir tout le monde autour de la même table –, au sein du Groupement d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), qu’elle vient de rejoindre pour la rédaction d’un rapport consacré au potentiel des villes dans la transition écologique et climatique, ou encore en militant pour la réhabilitation de la vingtaine de kilomètres de la ligne ferroviaire du sud-léman qui passe devant sa maison. Portrait.

Géraldine Pflieger est une enfant de la Drôme. Elle grandit à Alixan, un des rares villages médiévaux circulaires encore visibles de nos jours, où ses parents s’installent après le départ de son père de son Alsace natale. Celui-ci, que Géraldine Pflieger qualifie dans un sourire de «petit patron de gauche», fonde sa propre entreprise active dans le transport de marchandises. Avec sa femme, secrétaire comptable, ils auront un seul enfant. Dans cette famille typique des classes moyennes, on vote Mitterrand, on parle d’histoire et de politique à table et on lit volontiers pour peaufiner sa culture générale.

Cursus marxiste

Bonne élève, Géraldine Pflieger traverse sa scolarité sans embûches mais cale au concours d’entrée de la filière Sciences Po. Faisant contre mauvaise fortune bon cœur, elle décide alors de suivre les traces de son père et s’inscrit, comme lui une trentaine d’années auparavant, à la Faculté des sciences économiques de l’Université de Grenoble. Pas encore majeure, elle a besoin d’une dérogation de ses parents pour s’installer en ville et entamer un cursus qui assume alors clairement son orientation marxiste.

«Cet enseignement théorique très orienté m’a ouvert un certain nombre de perspectives très intéressantes qui sont toujours présentes en arrière-fond de mes travaux sur des thématiques comme les enjeux de redistribution, les rapports sociaux de production, le poids des classes et des catégories sociales», témoigne la chercheuse.

La vraie révélation lui vient cependant pour elle d’un cours donné aux élèves de première année et consacré à l’économie de l’environnement. Deux ans après le «sommet de la Terre» de Rio, le sujet est encore assez confidentiel, mais pour Géraldine Pflieger, c’est un véritable électrochoc. «Je suis restée scotchée par ce que je découvrais, rembobine-t-elle. J’ai commencé à lire tout ce que je trouvais sur le sujet pour construire ma propre culture. Le souci, c’est qu’à l’époque, il n’était pas évident de trouver du travail dans ce domaine quand, comme moi, on n’avait pas un profil issu des sciences de la vie ou des sciences de la Terre.»

La solution viendra un peu par la bande. Tout en poursuivant son cursus en économie, Géraldine Pflieger entame en parallèle une seconde maîtrise, en aménagement du territoire, qui lui permet de toucher du doigt son nouveau centre d’intérêt. «Ce dont je rêvais alors, c’était de trouver un emploi qui me permette d’avoir une influence sur notre cadre de vie, soit dans une région rurale, soit dans une région de montagne.»
Ses enseignants ne l’entendent cependant pas de cette oreille. Alors qu’elle est en passe de terminer sa 4e année, ils l’encouragent à poursuivre son parcours dans les grandes écoles de la capitale.

Montée à Paris

À la suite de la faillite de l’entreprise familiale, que l’ouverture de l’Espace économique européen a privée d’une large part de ses revenus, ses parents ne sont hélas pas en mesure de financer le départ de leur fille pour Paris. Qu’à cela ne tienne, Géraldine Pflieger contracte un emprunt et franchit les portes de la prestigieuse École des ponts et chaussées. «Pour une étudiante issue des classes moyennes et dont les résultats n’avaient rien de particulièrement extraordinaire, intégrer une telle institution c’était déjà une belle reconnaissance», concède-t-elle sans fausse modestie.

L’ascension ne fait pourtant que commencer. Quelques mois à peine après son arrivée, elle troque la filière professionnalisante dans laquelle elle s’est engagée pour une bourse qui lui permet de se diriger vers une thèse de doctorat. Elle s’envole ensuite pour un séjour d’une année à Berkeley, où elle échoue d’un rien à obtenir un subside postdoctoral.

«Sur le moment, confie-t-elle, j’étais vraiment très déçue parce que, au grand dam de mes parents, j’avais très envie de rester aux États-Unis. Le fonctionnement très horizontal du système académique me convenait parfaitement et j’adorais le cadre fabuleux de la baie de San Francisco.» Elle a cependant à peine le temps de faire le deuil de son rêve américain qu’un ancien collègue des Ponts et Chaussées lui propose de le rejoindre au sein de l’EPFL, poste postdoctoral à la clé.

Bay Area sur Léman

«J’étais allée une fois à Genève en vacances avec mes parents, mais je ne connaissais pas plus que ça la région lémanique, restitue la chercheuse. Quand je suis sortie pour la première fois de la gare de Lausanne et que j’ai découvert la perspective sur l’avenue de la Harpe avec ses bâtiments art déco ornés de bow-windows, le lac en peu plus loin et, en arrière-plan, les reliefs de la rive française, j’ai fait une sorte de transfert: c’était comme si j’avais sous les yeux une version européenne de la Bay Area de San Franscisco.»

Le coup de cœur est immédiat. Non seulement pour la beauté du paysage, mais aussi pour la littérature locale, la quiétude des rapports sociaux, la proximité de la chose politique ou encore le fonctionnement de la démocratie directe. «J’ai tout de suite apprécié cette culture à la fois si proche et si différente de celle qui était la mienne», confirme-t-elle.

Après quatre années sur le campus d’Ecublens et un bref passage par l’UNIL, où elle décroche un poste de professeure assistante, Géraldine Pflieger met le cap sur Genève lorsque, dans la foulée de la création de l’Institut des sciences de l’environnement (ISE), un poste de maître d’enseignement et de recherche en politiques urbaines et de l’environnement est mis au concours.

«Comme à l’époque, il n’y avait pas encore tellement de gens qui cumulaient ces deux compétences, j’ai obtenu le job, indique-t-elle. Je suis arrivée à l’UNIGE en 2010 et je crois que je n’en partirai plus. Non seulement parce que j’adore le fait que ce soit une université polyvalente au sein de laquelle le potentiel de collaborations est très riche – rien qu’au sein de l’ISE, il y a une quarantaine de disciplines représentées –, mais aussi parce que je me suis souvent sentie en adéquation avec les valeurs portées par l’institution.»

Délégation helvétique

Un creuset fertile donc, qu’elle mettra notamment à profit pour perfectionner ses connaissances dans le domaine des relations internationales en marge du cours de politique internationale de l’environnement dont elle assume la charge dans le cadre du BARI (Bachelor en relations internationales). Ce nouvel atout n’est sans doute pas pour rien dans sa nomination à la codirection de la chaire Unesco en hydropolitique (2015), puis à la tête de l’Institut des sciences de l’environnement deux ans plus tard.

Spécialiste désormais reconnue des politiques internationales du climat, Géraldine Pflieger est contactée en 2020 par l’Académie suisse des sciences naturelles et par la Confédération pour rejoindre la délégation helvétique en tant qu’accompagnante scientifique durant les Conférences des parties (COP) tenues annuellement afin de dessiner les mesures nécessaires à la réalisation des objectifs fixés par les conventions internationales dans le domaine de la biodiversité et du climat.

Elle était donc présente en novembre dernier à Bakou pour une réunion qui n’a débouché que sur des avancées très modestes. Pas question pour autant de jeter le bébé avec l’eau du bain.

«Ces réunions sont capitales, estime la spécialiste. Elles permettent de définir les grands objectifs qui vont façonner notre cadre de vie futur. Parfois, on parvient à imposer des normes complémentaires ou de nouvelles prescriptions comme ce fut le cas à Dubaï l’an dernier au sujet des énergies fossiles. Et parfois, on échoue comme cette année, où les négociations n’ont abouti quasiment à rien. Il faut peut-être en changer le format, réduire la charge psychologique et morale qui pèse sur ces sommets, qui peuvent donner l’impression que si la planète brûle, c’est uniquement la faute des grands dirigeants mondiaux. Mais ce qui est certain, c’est que si on arrête tout demain, les premiers à s’en réjouir seront les grandes industries du pétrole qui n’auront plus d’incitation à revoir leurs investissements. Il n’y aura plus d’objectifs planétaires de température, plus de prise en compte sérieuse à un tel niveau de ce qui est en train de nous arriver. Cela reviendra à casser le thermomètre de la planète.»

La solution par les villes

C’est d’autant plus vrai qu’à défaut de résoudre la question climatique par le haut, les COP permettent de donner un cap assez clair à l’action au niveau local et plus particulièrement à celle des centres urbains, qui constituent aujourd’hui le principal moteur de la transition énergétique. Et c’est précisément sur ce point que Géraldine Pflieger va concentrer une grande partie de ses efforts au cours des deux prochaines années. Désignée à la suite d’un appel à candidature ayant rassemblé plus de 1600 candidat-es à l’échelle globale, elle sera en effet, à partir du printemps prochain, la première représentante de l’UNIGE issue des sciences sociales à rejoindre le GIEC et la seule scientifique suisse participant en tant qu’auteure principale au rapport portant sur les villes et le changement climatique dont la publication est prévue pour 2027.

Le défi est de taille mais s’annonce passionnant. «Le potentiel d’action est énorme, assène Géraldine Pflieger, puisque d’ici à 2050, 75% des émissions de CO2 seront concentrées dans les villes. L’objectif du GIEC avec ce rapport est de trouver un mode d’action approprié pour les différentes régions du monde en fonction de leurs spécificités avec un discours très orienté vers la pratique. Le chapitre sur lequel je vais plus spécifiquement travailler porte sur l’adaptation des solutions proposées à la nature même des centres urbains, qu’ils soient dans des zones humides ou arides, dans des pays développés ou non, dans une zone côtière ou une région de montagne.»

Dans l’intervalle, la maire de Saint-Gingolph, dont le troisième et dernier mandat prendra fin début 2026, sera peut-être parvenue à réaliser un objectif plus personnel qu’elle poursuit maintenant depuis plusieurs années: celui de rendre vie à la ligne ferroviaire dite du Tonkin reliant sa commune à la ville voisine d’Évian et dont les rails désaffectés passent juste devant l’ancienne gare du village, où elle vit avec sa famille.

«Le potentiel économique et la faisabilité technique du projet sont attestés, estime-t-elle. Il ne manque plus que le financement. Et si tout se passe comme prévu, on verra repasser des trains devant chez nous dans le courant des années 2030.»

Vincent Monnet