Campus n°136

La génomique des métamorphoses

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À 36 ans, Guillaume Andrey vient de rejoindre le Département de médecine et génétique du développement en tant que professeur assistant. au sein de son laboratoire, le chercheur s’efforcera de mieux comprendre les processus qui guident les mutations causées par la partie non codante du génome.

« Rien ne sert de courir ; il faut partir à point », dit la morale d’une fable bien connue. Et ce n’est sans doute pas Guillaume Andrey qui prétendra le contraire. Élève moyen jusqu’à son entrée à l’Université – « à l’école, j’avais la tête en l’air et mes résultats s’en ressentaient », résume-t-il aujourd’hui – le Valaisan a depuis largement rattrapé ce petit retard à l’allumage. Marche par marche, il a progressivement gravi les différents échelons permettant d’envisager une carrière académique pour se retrouver, à 36 ans, avec un statut de professeur assistant au sein du Département de médecine génétique et développement, où il conduit depuis le 1er décembre dernier son propre laboratoire grâce à un subside d’un million et demi de francs accordé par le Fonds national de la recherche scientifique (FNS) pour les quatre prochaines années. Objectif : comprendre comment l’organisation tridimensionnelle du génome guide la formation des organes et des structures au cours des premières phases du développement embryonnaire.
« Guillaume a une vraie solidité en lui. Quand vous grattez, il y a de la matière chez ce scientifique », confiait récemment au Temps Denis Duboule, professeur au Département de génétique et évolution de la Faculté des sciences et ancien directeur du Pôle de recherche national Frontiers in Genetics.
Adoubé par son mentor, qui voit en lui une relève prometteuse, le jeune chercheur n’est pourtant pas tombé dans la marmite de soupe primordiale quand il était tout petit.
Né à Sion en 1982, Guillaume Andrey est l’aîné d’une fratrie de trois garçons qui grandissent entre deux parents enseignants. Professeur au collège, son père est un grand amateur de musique et de littérature, tandis que la mère, institutrice puis professeure à la Haute école pédagogique du Valais, cultive un rapport très proche à la nature.
Malgré l’ambiance érudite qui règne dans la maisonnée, le futur chercheur flâne longtemps loin derrière le peloton des meilleurs élèves. Particulièrement rétif aux arcanes de l’orthographe et du français, il est plus à l’aise dans le rôle de boute-en-train. « Je me souviens d’avoir reçu un de ces kits de chimie permettant de faire des expériences scientifiques, rembobine le jeune homme. Mais ce qui m’intéressait surtout à l’époque, c’était de faire exploser des trucs pour faire rire mes frères. »
Ce dilettantisme apparent ne suffit toutefois pas à lui barrer la route des études secondaires, qu’il empoigne en choisissant une filière en économie et dont il sort maturité en poche. « Je me suis progressivement aperçu que je fonctionnais un peu comme un diesel, témoigne le principal intéressé. Il me faut souvent un peu de temps pour me mettre en route et apprivoiser un nouveau mode de pensée mais une fois que je suis dedans, je m’investis à fond et je peux visiblement être assez bon. »
Reste à savoir sur quelle route lancer la machine : la philosophie, les relations internationales ou les sciences dites « dures » qui, toutes trois, l’attirent ? À la suite d’un stage d’immersion à l’Institut suisse de recherche expérimentale sur le cancer, dont il ressort fortement impressionné, son choix se porte finalement sur la biologie. Sur les conseils de son cousin Théo Berclaz, qui y enseignait la chimie, il jette son dévolu sur l’Université de Genève pour entamer cette nouvelle étape de sa formation, même si la visite qu’il fait de l’institution ne l’enthousiasme pas vraiment. « Le grand avantage d’une institution généraliste, c’est qu’elle offre davantage de compétences dans différents domaines, explique le chercheur. Ce qui, lors de la spécialisation inévitable, offre un large éventail d’options. J’avais aussi de nombreux amis qui avaient fait ce choix et la ville m’attirait. »
Loin de se sentir déraciné, le Valaisan trouve rapidement ses marques dans la Cité de Calvin, goûtant les joies de la colocation et de la vie étudiante avec le sentiment d’une liberté toute nouvelle.
Sur les bancs de l’Académie, il lui faut toutefois s’accrocher pour rattraper le retard dû à son cursus économique au collège. Mais il s’avère vite que le jeu en vaut la chandelle. Enthousiasmé par la qualité des cours dispensés par ses premiers professeurs – parmi lesquels Denis Duboule, Jean-Claude Martinou ou Claude Piguet –, le bachelier se plonge sans retenue dans l’étude d’une discipline qui lui apparaît comme une sorte de nouveau monde. « Tout d’un coup, je découvrais la réalité du monde moléculaire, explique-t-il. Cet univers invisible, qui n’est pas sans poésie, m’a immédiatement séduit. J’avais l’impression que ce que j’apprenais en cours donnait du sens à ce que je voyais autour de moi. Tout cela avait un côté assez bluffant. »
Désormais dans son élément, Guillaume Andrey file pleins gaz, ce qui le conduit à changer progressivement de statut. Pour la première fois de son existence, en effet, il n’est plus à la traîne mais en tête de peloton. Une position qui lui permet de postuler pour une place au sein de la toute nouvelle et très sélective école doctorale ouverte par le Pôle de recherche national Frontiers in Genetics après sa création en 2001.
Inspirée du modèle américain, la formation inclut un programme de rotation permettant aux doctorants de fréquenter différents laboratoires pendant une période de trois ou quatre mois. Pour Guillaume Andrey, ce sera Zurich, où il travaille sur la drosophile, Bâle, où il planche sur le développement de la rétine et Lausanne, où il se familiarise avec l’utilisation de certains virus.
Rattaché au laboratoire de Denis Duboule implanté dans les locaux de l’École polytechnique fédérale de Lausanne, il enchaîne ensuite avec une thèse portant sur le développement des membres chez la souris, à laquelle il va consacrer près de cinq années.
Lancé comme un coup d’essai, l’exercice se révèle être un coup de maître. Alors qu’il n’avait quasiment rien publié jusque-là, Guillaume Andrey voit en effet ses résultats atterrir dans les pages de la très prestigieuse revue Science, ce qui représente une forme de Graal pour tout scientifique qui se respecte. « En résumé, ce travail a permis de démontrer que le mécanisme qui préside à la fabrication du poignet est inscrit dans la structure du génome, complète le chercheur. C’est un résultat que j’ai obtenu dès la première année de mes travaux. À un moment, avec Denis Duboule, nous avons pensé qu’il serait peut-être judicieux de publier quelques résultats intermédiaires mais nous avons finalement choisi d’attendre pour abattre toutes les cartes en même temps, stratégie qui s’est finalement avérée payante. »
Auréolé de ce remarquable succès éditorial, Guillaume Andrey a dès lors l’embarras du choix quant au lieu où il poursuivra son parcours. Mais plutôt que Stanford ou Harvard, il choisit de rejoindre le laboratoire de Stefan Mundlos au Max-Plank Institute de génétique moléculaire où il poursuit ses travaux sur le développement du squelette avec à la clé un autre article très remarqué, cette fois dans Nature Genetics.
« J’étais très bien à Berlin, précise-t-il. Outre le fait que c’est une ville très agréable à vivre, même avec un salaire modeste, je disposais d’une très grande liberté pour conduire mes recherches. La seule limite, c’était notre imagination. Il n’y avait donc pas d’excuses pour ne pas faire de la bonne science. Seulement, à un moment donné, on commence à avoir ses propres idées et à vouloir prendre son envol. J’ai donc visité différentes institutions avant de porter une nouvelle fois mon choix sur Genève où j’avais senti un fort soutien. »
Le retour au bercail de Guillaume Andrey est toutefois conditionné par l’obtention d’un des très sélectifs subsides de professeur boursier alloués chaque année par le FNS. Un précieux sésame, qui garantit un poste de professeur associé pendant quatre ans, ainsi que les fonds nécessaires pour faire tourner un laboratoire. « La procédure est ardue, surtout la dernière étape qui se déroule à Berne sous la forme d’un entretien durant lequel vous avez vingt minutes pour convaincre, témoigne Guillaume Andrey. L’atmosphère est assez impressionnante. Vous êtes seul sur une estrade face à vos examinateurs qui se trouvent un peu en hauteur, logés derrière des bureaux chargés de piles de documents. On vous donne un pointeur, et c’est parti. Vous avez donc plutôt intérêt à être bon. »
Guillaume Andrey l’a visiblement été puisqu’il a rejoint en décembre dernier les rangs du Département de médecine génétique et développement de l’UNIGE. Au sein du laboratoire qu’il est en train de mettre sur pied et dont l’équipe est déjà presque au complet, il s’est donné pour objectif de comprendre comment l’information épigénétique, en particulier l’organisation 3D des génomes humains et de souris, guide le développement des organes et des structures au cours de l’embryogenèse. Un processus encore largement méconnu qui est à l’origine de dérégulations pathologiques responsables de malformations congénitales et de cancer mais qui est aussi au centre des mécanismes permettant les innovations et la diversité de la vie.


Vincent Monnet

 

 

L’épigénétique, une clé pour comprendre les succès et les couacs du génome


L’objectif du laboratoire de Guillaume Andrey, professeur assistant au Département de médecine génétique et développement (Faculté de médecine), est de comprendre la relation qui existe entre l’architecture tridimensionnelle de l’ADN, l’expression des gènes qu’il contient et le développement embryonnaire normal ou anormal qui en découle. En d’autres termes, comment l’épigénétique, c’est-à-dire tout ce qui se trouve « autour » de l’ADN, peut influencer le fonctionnement des gènes et donc leur effet.
Ce sont en effet l’activation et la répression des gènes en fonction du temps et de l’espace qui, durant l’embryogenèse, dirigent la fabrication des différents organes et des structures du corps.
L’orchestration de cette activité complexe est assurée par un certain nombre de processus moléculaires qui sont essentiels pour le développement car leur perturbation peut provoquer des malformations ou des maladies.
L’un de ces processus est la communication qui s’établit entre les régions de l’ADN chargées de réguler les gènes (qui sont des séquences dites non codantes) et les gènes eux-mêmes. Ces deux entités sont parfois voisines, parfois relativement éloignées les unes des autres mais se retrouvent en contact grâce à un repliement ingénieux de l’ADN. Cette communication passe donc par la structure 3D de la double hélice porteuse du génome et plus particulièrement par des interactions physiques entre ces régions du génome.
« Nous avons remarqué, dans de nombreux cas, que certaines de ces interactions avec la chromatine ont lieu dans des types de cellules ou de tissus où un gène précis est actif tandis qu’elles sont absentes dans d’autres cellules et tissus où ce même gène est inactif, précise Guillaume Andrey. Pour en savoir plus sur ces interactions, nous appliquons diverses technologies de pointe sur des cellules souches pluripotentes mises en culture. Mais nous aimerions également utiliser ces outils in vivo, sur des embryons en plein développement. »
Le chercheur espère ainsi mieux comprendre les dysfonctionnements qui surviennent dans l’activation de certains gènes et qui sont associés à des malformations congénitales et des cancers mais peut-être aussi à des mécanismes permettant les innovations et la diversité de la vie.