Campus n°137

L’astrophysicienne qui joue avec les planètes

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Nommée professeure assistante au Département d’Astronomie cet automne, Émeline Bolmont crée des modèles simulant l’évolution, la dynamique, le climat et l’habitabilité des exoplanètes. Elle apporte une expertise facilitant la compréhension des objets que les astronomes découvrent.

Le travail d’Émeline Bolmont pourrait s’apparenter, aux yeux d’un profane, à une partie du jeu Sim City dans lequel on ne construirait pas une ville mais une planète ou un système planétaire entier. Un des axes de recherche de la professeure assistante nommée en septembre dernier au Département d’astronomie (Faculté des sciences) consiste en effet à concevoir de tels objets à sa guise. Comme un démiurge, elle déforme leur orbite, fait varier leur composition, incline leur axe de rotation, les éloigne ou les rapproche de leur étoile, change le gaz composant leur atmosphère. Elle vérifie ensuite vers quoi évolue le résultat et si ce dernier – calculé par de puissants programmes de simulation – correspond à un endroit susceptible d’accueillir la vie. Pour donner du sens à cette exploration in silico, elle tente enfin de déterminer si – et comment – ces candidates au statut de planète habitable pourraient être identifiées comme telles au cas où elles devraient se trouver pour de vrai dans la mire d’un instrument de mesure astronomique.
Ce sont ses talents dans ce domaine de la modélisation – dans le code, selon ses termes – qui ont séduit les responsables du Pôle de recherche national (PRN) PlanetS alors qu’ils cherchaient à renforcer le groupe basé à Genève. Mais pas seulement.


Promesses scientifiques

« Émeline Bolmont a convaincu le jury par l’enthousiasme et les promesses scientifiques qui brillaient dans ses yeux, se réjouit Stéphane Udry, professeur au Département d’astronomie (Faculté des sciences) et codirecteur de PlanetS. Ses recherches vont aider à tirer un profit maximal de l’ensemble des activités de l’équipe exoplanètes du Département et en particulier des observations que nous obtenons régulièrement ou allons effectuer dans les années à venir. »
L’équipe genevoise est en effet impliquée – c’est sa force – dans au moins une dizaine de projets de détection et de caractérisation de planètes extrasolaires, au sol comme dans l’espace (par exemple avec le satellite CHEOPS, le spectromètre ESPRESSO installé sur le VLT, etc.).
« Dans ce contexte, nous cherchons à développer le second volet, celui de la caractérisation de ces planètes, avec l’idée, bien sûr, de déterminer quelles sont les frontières de leur habitabilité, poursuit Stéphane Udry. C’est un domaine complexe qui fait appel à des expertises multiples alliant connaissance de la structure interne des planètes, modélisation d’effets de marée et simulations de climats. Autant de sujets dont Émeline Bolmont est spécialiste. »

Choix naturel

Née à Toul, près de Nancy, dans le nord-est de la France, Émeline Bolmont a choisi sa voie dans l’astronomie de manière assez naturelle. La jeune femme apprécie en effet très tôt la rigueur des mathématiques et de la physique. Il faut dire qu’avec une mère prof de chimie au lycée et un père chargé de la formation des maîtres en physique, elle baigne depuis toute petite dans un environnement scientifique.
Le ciel noir et les étoiles l’attirent particulièrement. Sa famille l’emmène régulièrement sur un plateau proche de sa ville natale pour admirer les constellations à la jumelle et traquer les étoiles filantes. En grandissant, sa motivation se consolide au contact de son grand frère qui effectue des études en astrophysique alors qu’elle est au lycée. Il est aussi le premier à dissiper certaines illusions.
« L’idée d’étudier l’astrophysique comme mon frère me plaisait sans que je sache vraiment ce que cela signifiait, se rappelle Émeline Bolmont. Quand il m’a dit qu’il passait sa journée devant un ordinateur, j’ai subitement été moins emballée. J’ai même abandonné l’idée de suivre cette filière. La programmation m’a longtemps paru artificielle et sans intérêt. »
La physique continue cependant de lui plaire. Le bac en poche, elle décide d’entamer des études dans cette discipline à l’École normale supérieure de Lyon qu’elle intègre sur concours après trois ans de classes préparatoires. Les années passant, elle remarque que, malgré cette première déception, l’astrophysique n’a en fait jamais quitté son esprit. Et quand on lui demande de choisir un stage, c’est à cette discipline qu’elle accorde sa préférence. Accueillie au CEA (Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives) de Saclay, près de Paris, elle travaille sur un capteur destiné à être monté sur le télescope spatial infrarouge HERSCHEL de l’Agence spatiale européenne qui a fonctionné entre 2009 et 2013.

Réconciliation

« J’ai adoré ce travail, affirme-t-elle. Il comportait certes une partie de programmation mais cela permettait d’apporter une réponse à une question de physique intéressante. J’ai compris le potentiel de l’outil informatique et je me suis réconciliée avec lui. Par la suite, j’ai systématiquement choisi des sujets en astronomie. J’ai travaillé sur les propriétés optiques des grains de poussière dans les comètes ou encore sur l’évolution des planètes dans le disque protoplanétaire. »
Devenue normalienne, elle choisit d’effectuer son doctorat au Laboratoire d’astrophysique de Bordeaux. Consacré à l’évolution dynamique et à l’habitabilité de systèmes planétaires autour d’étoiles de faible masse, son travail remporte en 2014 le Prix de la meilleure thèse de l’Université de Bordeaux.
La même année, qui est à marquer d’une pierre blanche, Émeline Bolmont contribue à la découverte, publiée dans la revue Science en 2014, de Kepler-186f, la première exoplanète de la taille de la Terre et située dans la zone d’habitabilité autour d’une étoile dite naine rouge (qui compte par ailleurs quatre autres compagnons). Dans la foulée, elle signe en tant que première auteure un papier dans The Astrophysical Journal proposant, sur la base de modèles théoriques, des scénarios pour la formation, l’évolution de l’effet de marée et l’habitabilité de ce nouveau système planétaire lointain.
Elle commence aussi à apparaître dans les médias. Elle est notamment invitée par le Grand Journal sur Canal+ (animé alors par Antoine de Caunes) pour commenter la découverte de Kepler-186f. Toujours en 2014, elle participe à La Rochelle à une conférence TED (faisant partie de la série de conférences très populaires axées sur la technologie, le divertissement et le design, organisées au niveau international par The Sapling Foundation) dédiée à la question de savoir si nous sommes seuls dans l’Univers.
À la même époque, elle décroche un post-doc à Namur, où elle passe deux ans avant d’être débauchée en 2016 pour un poste similaire au CEA de Saclay. Au cours de ces années, elle continue à travailler sur la dynamique des planètes, les processus de marée et l’habitabilité des exoplanètes.

Zones d’ombre

« Cet effet de marée (lire ci-dessous) joue un rôle important dans l’évolution des planètes et bien entendu sur le climat qui règne à leur surface, précise Émeline Bolmont. Mais il n’est pas facile à modéliser. Rien que pour le système Terre-Lune, qui est pourtant le mieux connu, il reste des zones d’ombre, en particulier si l’on essaie de reconstruire son histoire ancienne. »
Une partie importante du travail de l’astrophysicienne consiste donc à améliorer les modèles dynamiques d’évolution de systèmes planétaires existants pour qu’ils puissent tenir compte de ces effets de marée de manière moins simplificatrice que ce n’était le cas jusqu’à présent. Ses efforts se portent aussi sur l’obliquité (l’angle de l’axe de rotation), les durées de rotation, de révolution, la distance avec l’étoile, et bien d’autres paramètres de dynamique planétaire qui peuvent influencer le climat et donc l’habitabilité des planètes.
« Pour modéliser le climat sur les exoplanètes, nous utilisons les mêmes modèles que ceux du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) pour notre Terre, précise la chercheuse. Mais ils sont grandement simplifiés. On enlève la végétation et souvent le relief. Mais on peut jouer sur la composition de l’atmosphère ou sa densité. »

Statistiques étoffées

Tout ce travail n’aurait pas d’intérêt s’il n’était sans cesse confronté aux observations astronomiques. L’avantage, aujourd’hui, c’est que le nombre de planètes extrasolaires découvertes se compte en milliers, qu’au moins une centaine d’entre elles évoluent dans la zone dite habitable de leur étoile (c’est-à-dire à une distance qui permettrait à l’eau de persister sous forme liquide), que l’on commence à mesurer la composition de certaines atmosphères, etc. En d’autres termes, les statistiques concernant les autres mondes s’étoffent de plus en plus et, dans ce domaine, le PRN PlanetS et l’Observatoire de l’Université de Genève jouent un rôle de premier plan.
Un rôle qu’ils entendent renforcer en attirant des compétences susceptibles de compléter celles qu’ils réunissent déjà. C’est ainsi qu’en 2018, le PRN a ouvert un nouveau poste de professeur assistant. « Grâce à une campagne de démarchage ciblée, nous avons réussi à obtenir une majorité de candidatures féminines, note Stéphane Udry. Elles représentaient même 60 % dans la liste restreinte. Résultat : les deux finalistes étaient des femmes et il n’a pas été nécessaire de faire jouer la clause selon laquelle, à compétences égales, il faut privilégier la candidature du sexe sous-représenté. »
Émeline Bolmont remporte la mise et, pour la seconde fois, se fait débaucher avant la fin de son mandat. Désormais à Genève, elle tentera de faire converger ses modèles d’évolution, de dynamique et de climat planétaire avec les observations que réaliseront ses collègues et apportera également son expertise sur la question que l’on se pose à chaque nouvelle découverte : cette exoplanète est-elle habitable ?


Anton Vos

 

L’effet de marée

décrit la force de gravitation qu’exerce, par exemple, une étoile sur son compagnon. La partie de la planète qui fait face à l’astre et qui lui est donc la plus proche subit une force plus forte que le côté opposé qui est plus éloigné.
Ce différentiel provoque un étirement de la planète en direction de l’étoile et un aplatissement des pôles. Si la planète tourne autour d’elle-même, cette déformation se déplace aussi, avec un certain retard toutefois, et entraîne une dissipation d’énergie qui se traduit par un ralentissement de la rotation et un éloignement.
Dans certains cas, la situation se stabilise. La planète finit par montrer toujours la même face à l’étoile (comme dans le cas de la Lune avec la Terre) ou par entrer dans un mode de résonance avec son étoile (c’est le cas de Mercure dont la période de révolution dure exactement 1,5 fois sa période de rotation sur elle-même).