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La transformation fonctionnelle ou morphologique d’un bloc erratique en pierre dressée est un événement relativement fréquent dans les Alpes et le Jura du Ve millénaire jusqu’à la deuxième moitié du IIIe millénaire avant J.-C. Dans cet environnement post-glaciaire, les populations du Néolithique se sont approprié des blocs dont la nature, la forme ou la situation topographique avait pour elles une importance particulière. Certains sont restés à leur emplacement d’origine en l’état sans que l’on puisse discerner les activités humaines qui s’y déroulèrent, d’autres au contraire ont été dressés, aménagés, sculptés voire gravés (cupules, lignes géométriques, traits humains) : autant de gestes que les archéologues sont susceptibles de décrypter selon les conditions de découverte et l’état de conservation des roches. De simples blocs erratiques, ces volumes sont devenus des menhirs. Dans un second temps, un autre aspect du mégalithisme se met en place : la construction de dolmens. Les commanditaires de ces projets architecturaux de pierres levées et de dolmens sont-ils les mêmes ?
Carte de répartition du mégalithisme en Suisse.
Dans un rayon de 10 km autour du Petit Lac, dix-huit sites de pierres levées ou supposées levées ont été recensés, dont nous connaissons très mal le contexte, la majeure partie n’ayant pas fait l’objet de fouille. Les découvertes récentes des menhirs du Pré-du-Stand au Grand-Saconnex ainsi que la description des pierres identifiées depuis une trentaine d’années dans le bassin genevois, mettent en lumière les étapes qui ponctuent la vie des menhirs du Néolithique. Vénérés puis respectés, certains blocs sont déposés à l’horizontale pour servir d’autel, d’autres servent de base de foyer rituel, pour finir basculés et enfouis dans des fosses rituelles. Ces monuments en l’honneur des vivants ou des morts, devenus lieux de mémoire, seront réutilisés plus tard comme matériau de construction à La Tène finale et à la période romaine.
Le dolmen de la Pierre-aux-Fées se trouve sur le territoire de la commune de Reignier, dans la Plaine dite des Rocailles alors que celui de la Cave aux fées à Saint-Cergues se dresse au pied des Voirons. Les deux dolmens présentent un certain nombre de points communs : l’emploi d’une table de couverture massive, un plan trapézoïdal dont les éléments latéraux dépassent légèrement des extrémités de la couverture et l’emploi du granite du Mont-Blanc. Les dernières recherches menées par Pierre-Jérôme Rey, Olivier Veissiere et Christophe Guffond montrent la réutilisation très probable d’une stèle anthropomorphe dans les montants du coffre de Saint-Cergues, alors que celui de Reignier possède un soubassement parementé trapézoïdal. Ces deux observations renvoient aux pratiques bien documentées pour les dolmens des Alpes internes, à Aoste et Sion.
Trois menhirs ont été découverts au Pré-du-Stand (Grand-Saconnex). Le mieux conservé est un monolithe de nature gneissique de couleur gris-vert parfois bleutée qui mesure 125 cm de long, 85 cm de large et 56 cm d’épaisseur. Son poids est estimé à une tonne. Les deux faces principales ont une forme triangulaire régulière. Des départs de matière et encoches ont été uniquement observés sur l’une ou l’autre des extrémités qu’ils contribuent à façonner: une extrémité large et relativement plane d’une part, et une extrémité pointue d’autre part. En conséquence, la partie la plus large est comprise comme la base d’un bloc anciennement dressé. Les nombreuses encoches et départs de matière visibles à cet endroit sont très vraisemblablement le fruit d’un façonnage destiné à stabiliser la pierre une fois dressée dans une fosse d’implantation où subsistent encore les pierres de calage. Le travail d’amincissement du sommet permet de créer une forme triangulaire selon un modèle bien connu dans le mégalithisme européen.
Les pierres levées du Pré-du-Stand étaient pointées vers le ciel, ancrées dans le sol sur leurs bases plates aménagées. Situé sur un promontoire, cet alignement de pierres est difficile à relier aux autres vestiges du site. Néanmoins, un foyer daté du Néolithique moyen pourrait être en lien avec l’édification des pierres, par comparaison avec d’autres menhirs du Bassin genevois. Le lieu investi est particulier car il se situe dans un contexte forestier avec des sols détrempés. La faune et la flore devaient y être très riches. Pour parvenir à ce projet d’alignement ou de regroupement de pierres dressées, la chênaie aura dû être éclaircie pour créer une clairière mettant au jour le promontoire et la dépression révélés par la stratigraphie. Le déboisement et la culture sur brûlis attestés par les analyses du sédiment sont-ils contemporains des menhirs ? Nul ne le sait, mais au Néolithique moyen et au Néolithique final, les populations sont venues occuper la parcelle de terre qui se trouve dans la dépression. Ces premiers paysans devaient habiter sur les hauteurs et utiliser le Pré-du-Stand comme lieu de culte et lieu de rassemblement.