Avenir professionnel
Elisabeth Chardon, éditrice et programmatrice littéraire
Je suis entrée à la Faculté des lettres pour passer mon temps au mieux avant, non pas de me marier comme un fameux professeur de l’époque le pensait de ses étudiantes, mais avant une école de journalisme française qui réclamait un diplôme universitaire préalable. Les circonstances de la vie ont fait que je suis restée plus longtemps que prévu et que j’ai pratiqué le journalisme sans plus d’école, à Genève où je pensais n’être que de passage.
J’ai choisi la littérature française beaucoup par passion et un peu par stratégie puisque l’écriture allait être mon quotidien, et j’ai choisi l’histoire qui me semblait indispensable à une bonne culture journalistique. Tout cela tenait pour moi d’une harmonie certaine. Ce n’était pas si évident pour mes camarades de français et je sentais parfois du dédain dans leur regard : comment pouvait-on se consacrer aux chiens écrasés après avoir fréquenté Mallarmé ?
N’empêche que je retrouverai plus tard avec bonheur Vincent Kaufmann, l’assistant qui m’a introduit au prince des poètes, dans les formations continues de l’éditeur Ringier, qu’il organisait. Cet enseignant stimulant a aussi été l’un des fondateurs de l'Académie du journalisme et des médias de l'université de Neuchâtel.
N’empêche également que, dans mes premières années de piges, les brèves sur des faits divers ont été très formatrices.
Au département d’histoire, on témoignait bien sûr d’un plus grand engagement dans le monde contemporain et je m’y sentais plus à l’aise. Toutefois, même si je trouvais qu’on y était un peu trop «perché», le département de français m’a ancrée dans la vaste histoire de l’écriture et c’est un bienfait sans limites. J’ai multiplié mes capacités à lire avec des hommes aussi différents que Michel Jeanneret, Michel Butor, Jean Starobinsky, André Wyss, Charles Mela ou encore Roger Dragonetti. Avec des femmes aussi, même si l’Alma Mater leur laissait peu de place : je n’en vois en fait que deux, Béatrice Perregaux et Jacqueline Cerquiglini, et elles ouvraient des fenêtres dans un monde trop masculin.
Deux hommes encore : Lucien Dällenbach et Antoine Raybaud. Le premier a fait venir Claude Simon après son Nobel, le second a invité tout un semestre d’été Édouard Glissant, pour qui dès lors chaque année nous espérions aussi un Nobel…
Avec le recul, je me dis que les capacités critiques engrangées pendant ces études ont compté dans mon évolution vers le journalisme culturel alors qu’adolescente je me projetais en enquêtrice, en reporter, en intervieweuse déstabilisant les politiques… Tout cela je l’ai été un peu, mais je suis surtout une passeuse des arts convaincue. J’ai défendu pendant près de vingt ans la culture pour le jeune public au Journal de Genève, puis au Temps, où j’ai aussi été responsable du guide culturel «Sortir». Et j’écris depuis trente ans sur les arts visuels.
Passeuse, je le suis comme journaliste, comme cofondatrice et coéditrice de La Couleur des jours également, comme programmatrice littéraire enfin, à la Fureur de lire en 2021 ou avec le Cercle de la librairie et de l’édition au Salon du livre depuis 2023, côtoyant ainsi écrivaines et écrivains de mon temps.