Henry de Montherlant, Chant funèbre pour les morts de Verdun (mars 1925)a
Henry de Montherlant, héritier d’une tradition chevaleresque, mène sa vie comme une ardente aventure. Les épisodes s’appellent : collège, guerre, sport… la Relève du Matin, le Songe, les Olympiques. Et voici le Chant funèbre, adieu à la guerre et aux jeux, avant de partir pour de nouvelles conquêtes.
Terriblement lucide, ce regard en arrière. Montherlant est dur pour ses erreurs plus encore que pour celles de l’adversaire, ce qui est beaucoup dire. Il y avait dans le Paradis je ne sais quel relent de barbarie, un assez malsain goût du sang. Tout cela s’est purifié dans le Chant funèbre. Et une phrase telle que « … Nous sommes sûrs de ne pas nous tromper en nous inquiétant de faire, à notre place modeste, si peu que ce soit pour la paix », c’est une affirmation [p. 381] qui d’un coup condamne beaucoup d’antérieures protestations belliqueuses. Il nous montre « des Français qui pensent ces carnages inévitables, avec un bref soupir s’y résignent, puis tablent sur eux, et d’autres qui tiennent qu’une telle attitude est responsable de ces carnages ». Naguère il était des premiers ; il s’affirme aujourd’hui des seconds. C’est pour avoir contemplé Verdun, en tête à tête avec le génie de la mort.
Mais alors, à quoi sert d’exalter, d’une si émouvante sorte, les soldats déjà légendaires de Verdun, et ce « haut ton de vie » qu’ils trouvaient au front. D’une phrase, il justifie son livre : « Ranimons ces horreurs pour les vouloir éviter, et ces grandeurs pour n’en pas trop descendre ». N’est-ce pas une éclatante mise au point ? Et venant de l’auteur du Songe, d’un de ces hommes qui « descendirent » du front dans notre paix lassée, ne prend-elle pas une pathétique signification ?
Pourtant ici encore transparaît un doute, parfois : « On craint d’être injuste en décidant si… cette absence de haine ; cette épouvante, devant la guerre… proviennent de plus d’humanité ou de moins de santé ». À maintes reprises, dans cette œuvre d’affirmation, une telle inquiétude, un amer « à quoi bon » percèrent soudain… Mais Montherlant se redresse vite, frappe du pied et repart. Vers quels buts ? On verra plus tard. L’urgent c’est d’avancer. Et l’on atteindra peut-être ces régions élevées où les éléments contraires s’unissent dans la grandeur. La paix qu’il appelle, c’est autre chose que l’absence de guerre, c’est une paix que travaillerait le levain des vertus guerrières. « Il faut que la paix, ce soit vivre. »
Par tout un livre libéré de souvenirs héroïques, peut-être trop grands pour la paix, c’est vers de plus sereines exaltations qu’il va porter son ardeur. Il va chercher le souvenir de l’aventure antique, et dans ce qui fut Rome ou la Grèce, revivre sa tradition.
Toute son œuvre pourrait se définir : la lutte d’un tempérament avec la réalité. Tantôt c’est l’un qui veut plier l’autre à sa violence — le Paradis —, tantôt c’est l’autre qui impose son absolu. Une soumission au réel durement consentie, voilà ce que nous admirons dans le Chant funèbre. Ce mot de grandeur revient souvent lorsqu’on parle de cette œuvre : je ne sais s’il faut en voir la raison dans la force de la personnalité révélée ou dans la noblesse de sa soumission.
Périlleuse carrière de la grandeur où Montherlant est entré de plain-pied, en même temps que dans la guerre. Que de sacrifices ne lui devra-t-il pas offrir ainsi les romans « intéressants » ou « curieux » ; le « grand lyrisme » à la Chateaubriand, voire à la Barrès, dont il est capable et qu’il lui faudra livrer au « feu de vérité » qui [p. 382] brûle dans son temple intérieur, s’il veut rester digne de son rôle et vraiment le coryphée d’une génération casquée. Feu consumateur de toute faiblesse, flamme d’une pureté si rare en notre siècle, qu’elle paraît parfois, lorsque la tourmente humaine ne la moleste ni ne l’avive plus, cruelle et désolée comme cette « flamme pensante » dans l’ossuaire de Douaumont. Puis la vie l’exalte de nouveau d’un large vent de joie.