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Les tours du diable VII : La cinquième colonne (26 novembre 1943)a

J’ai dit du mal de tout le monde — des autres, de nous, et donc de moi aussi. Mais si le diable est partout, sa figure se brouille. Et les définitions que j’en ai données successivement, à force de se compenser, finissent par se neutraliser. Vos descriptions, me dira-t-on, ne sont pas bien claires. Pourquoi ne pas nous donner une image nette et facilement reconnaissable de la personne de Satan ?

C’est que le diable est justement celui qui n’est jamais clairement et honnêtement définissable. Il est celui qui s’arrange toujours pour être à la fois juge et partie dans le procès de sa définition. Un être paradoxal pas essence. Il est, oui, mais il est dans tout être ce qui n’est pas, ce qui tend au néant, ce qui souhaite secrètement la destruction de l’existence, — celle des autres ou la sienne propre. Sa qualité de n’être pas ceci ou cela de positif lui donne une liberté indéfinie d’action, d’incognito et d’alibis à perte de vue.

Vulgaire et séduisant, pharisien et voyou, hypocrite et cynique à la fois, repoussant mais non moins fascinant, il est sans doute la créature la plus poétique du monde, au sens romantique de ce terme. Il est beau aux yeux des naïfs qui croient que le mal doit être laid ; et il est d’une laideur irrésistiblement attirante aux yeux des désabusés et des raffinés. En bref, il n’est jamais où vous pensiez le trouver. Il imite, en la caricaturant, l’action même du Saint-Esprit, toujours ambiguë pour notre doute et déconcertante pour notre raison.

On sait assez que le procédé favori de la Cinquième Colonne consiste à semer la confusion dans le camp de l’adversaire en y répandant alternativement de vraies et de fausses nouvelles. Voilà le diable à l’œuvre dans nos vies ! Il est l’essence même de la Cinquième Colonne au siècle des siècles.

Enfin — et ceci doit me rendre prudent, personnellement —, le diable est l’être qui, lorsqu’une dénonciation le fait déguerpir de sa cachette, va se loger de préférence chez celui qui l’a dénoncé, et qui se tient pour assuré dans sa bonne conscience. Au moment où vous croyez l’attraper chez un autre et lui régler son compte — voici qu’il est devenu vous-même !

Mais alors ?…

Eh bien ! si vous voulez déjouer les tours du diable, si vous tenez sérieusement à l’attraper, je vais vous dire où vous le trouverez le plus sûrement : dans le fauteuil où vous êtes assis.