Les familles en Suisse : coincées dans le moule traditionnel ?
2 mai 2018
Les familles en Suisse : coincées dans le moule traditionnel ?
Professeure Clémentine Rossier, Discutante : Gina Potarca
Le contexte familial en Suisse
À partir des années ’70, en Suisse comme dans les autres pays européens, des formes de famille alternatives ont émergé : la cohabitation a commencé à remplacer le mariage, le divorce est devenu plus fréquent et le nombre d’individus sans enfants a augmenté. Mais il y a quand même deux caractéristiques de la vie familiale qui sont spécifiques à la Suisse : la forte corrélation ente le mariage et la procréation, et un taux d’infécondité particulièrement élevé.
Parmi ceux qui ont des enfants, la famille standard (mère et père mariés) reste largement majoritaire, alors que les autres formes de famille alternatives comme les mères seules, les pères seuls, les couples en union libre et les formes des familles recomposées sont plus rares.
On rencontre donc une question de vulnérabilité des personnes dans les modèles de familles non standards et afin de mieux analyser la vie familiale non traditionnelle, il est indispensable de comprendre le positionnement de la Suisse en matière de politiques familiales. Comme l’explique la Professeur Rossier, dans ce domaine on place la Suisse avec d’autres pays libéraux comme la Grande Bretagne et les États-Unis. Les dispositifs de soutien à la parentalité sont extrêmement faibles : la Suisse est le dernier pays d’Europe du Nord et de l’Ouest en matière de dépenses publiques pour les enfants de 0 à 5 ans, il n’y a pas de congé paternité, on observe une structure de salaire élevée et des protections de travail qui rendent la garde des enfants extrêmement chère. Ceci s’ajoute à une structure d’impôts qui favorise les couples mariés et qui pénalise un deuxième salaire s’il est trop important. Il est donc souvent plus coûteux pour les mères d'avoir un emploi que de s'occuper de leurs enfants. En conséquence, dans plus de 50% des ménages suisses avec enfants de moins de 25 ans, l’homme travaille à plein temps tandis que la femme ne travaille pas ou travaille moins de 50%. En comparaison, la même situation de travail n'est observée que dans 15 % des ménages sans enfants.
La famille standard dans le contexte suisse actuel est donc composée d’un couple marié avec enfants, avec une répartition inégalitaire entre le travail rémunéré et les tâches familiales, même si la plupart des personnes affichent des attitudes de genre égalitaires, et cette composition est largement due au contexte institutionnel.
Quel est le niveau de bien-être des personnes dans des formes de familles non standards Suisse ?
Pour répondre à cette question de recherche, la Professeur Rossier et son équipe ont étudié cinq types des familles alternatives : les familles dans lesquelles les deux parents travaillent à temps plein, les parents en union libre, les couples divorcés avec enfants, les mères seules et les couples qui restent sans enfants.
Juliette Fioretta et Clémentine Rossier ont analysé l’effet d’être un couple « dual earner à 100% » par rapport aux couples de type « male breadwinner » sur trois mesures du bien-être dans cinq pays européens. Les résultats montrent que les couples dans lesquels les deux partenaires travaillent à temps plein ont beaucoup plus difficultés de conciliation travail-famille et une plus mauvaise santé en Suisse, alors que dans les autres pays, ces types de couples non traditionnels n’ont pas plus de difficulté de conciliation que les couples traditionnels de style « male breadwinners ».
De plus, les couples cohabitants avec enfants sont plus conflictuels que les couples mariés avec ou sans enfants. Dans ce type de famille, l’activité professionnelle joue un rôle important : les femmes ont des durées de travail plus élevées que dans les couples traditionnels, ce qui engendre des difficultés de conciliation travail-famille et par conséquent des conflits entre partenaires.
Pour les mères seules, avoir un emploi est particulièrement important pour leur santé. Non seulement les mères seules sans emploi ont moins de chances d'être en bonne santé par rapport aux mères en couple, mais elles ont également moins de chances d'être en bonne santé par rapport aux mères seules qui travaillent.
En Suisse, faire partie d’une famille alternative avec des enfants implique donc de vivre avec certains désavantages, mais quel est l’impact de rester sans enfants sur le bien-être ? En examinant plusieurs indicateurs de bien-être de personnes âgées de 32 à 58 ans, l’étude de Claudine Sauvain-Dugerdil constate que les parents ont plus de difficultés économiques, plus de pression des tâches familiales, moins de temps pour eux, et les femmes éprouvent plus de fatigue. Cependant, il n'y a pas d'effet sur la santé, les personnes sans enfants ont des réseaux plus restreints, moins de confidents, et les femmes appartenant à ce groupe ont moins d’aide potentielle.
À cause du contexte institutionnel, les familles ont Suisse ont trois choix : soit choisir la route traditionnelle et vivre dans des standards inégalitaires du point de vue du genre, soit créer une famille alternative et vivre avec les difficultés que cela implique, soit renoncer à avoir des enfants et faire face aux conséquences aux âges avancés. Pour atténuer ces vulnérabilités, il semble nécessaire d'œuvrer à l'amélioration des politiques familiales du pays.
Discussion
La discutante Gina Potarca se demande, « Comment est-ce que les familles suisses ont réagi aux changements de politiques familiales des années précédentes ? » Elle cite la recherche sur les effets économiques et sociaux de la politique de congé maternité fédéral, mise en œuvre en Suisse en 2005, en disant que l’effet de cette politique sur l’emploi des femmes et de mères a été extrêmement rapide et évident. Selon elle, cela montre que les gens sont prêts à changer, les attitudes sont largement progressives, le bien-être améliorerait significativement, et donc le changement du cadre institutionnel est nécessaire.
Madame Potarca remarque également qu’il faut en savoir plus sur le bien-être des enfants : quelles sont les conséquences de faire partie des familles atypiques en Suisse sur le développement des enfants ?
Iuna Dones, 2 mai 2018
Blog du forum de recherche sociologique