Université de Genève - Faculté de psychologie et des sciences de l'éducation - Sciences de l'éducation

 

LIFE

Laboratoire de recherche

Innovation-Formation-Éducation

 

Séminaire de recherche LIFE 2001-2002

L'ORGANISATION DU TRAVAIL SCOLAIRE


Synthèse du séminaire du 25 avril 2001

Danielle Bonneton

Texte de référence :

Patricia Gilliéron
De la gestion de classe… à l'organisation du travail scolaire


Ces notes de synthèse sont issues de la discussion à propos de la contribution de Patricia Gilléron, qui tente d'identifier le concept d'organisation du travail scolaire : un concept qualifié de serpent de mer. L'auteure pose les questions suivantes :

  1. Pourquoi remplace-t-on le concept de gestion de classe par celui d'organisation du travail scolaire?
  2. Le concept d'organisation du travail scolaire est-il le plus approprié pour décrire les innovations actuelles?
  3. Comment la recherche peut-elle contribuer à donner du sens aux changements pédagogiques?

Les éléments qui suivent rendent compte des ébauches de problématisation dans la seconde séance du séminaire.

 

De la pertinence de l'opposition entre gestion et organisation

En préambule, il est nécessaire de s'interroger sur le terme de gestion : faut-il voir, dans ce terme, des éléments de l'histoire genevoise récente (1960-70) de la formation des enseignants, la volonté de la reconnaissance ou d'un combat pour faire advenir les éléments constitutifs du métier dans la formation initiale ? La même question de l'introduction du concept dans la formation initiale de la licence mention Enseignement à l'université de Genève s'est posée. Cette préoccupation s'ancre dans une tentative de définition du métier d'enseignant, des gestes professionnels, de sa professionnalisation.

Plutôt que poser une opposition d'un concept à l'autre - gestion et organisation, ne s'agit-il pas de les penser comme un élargissement ? Ce passage de l'un à l'autre souscrit-il à la volonté de modifier des attitudes professionnelles par l'élargissement du champ ?

Les interprétations du concept de gestion diffèrent; pour les uns, elles peuvent recouvrir un sens strictement bureaucratique et pour d'autres, un sens positif selon que l'on se réfère au faire, à des effectuations, à l'action pédagogique dans sa complexité, à des expériences; l'enseignant qui gère sa classe selon la pédagogie Freinet ne peut, par exemple, que se reconnaître dans la définition d'une gestion sous tendue par des enjeux idéologiques, pratiques et politiques. Pour un praticien que recouvre alors le concept de gestion dès lors qu'il est relié à des compétences à développer dans la pratique et à des impératifs de faisabilité ?

 

Du travail et des travailleurs : repérages conceptuels

Dans le passage entre gestion et organisation, le travail en tant que tel n'est pas traité : or il s'agit bien d'un travail, en référence au champ de la sociologie de travail, avec ses composantes d'efforts, d'enjeux, d'engagement, d'activité et de subjectivité. De quel travail et de quels acteurs parle-t-on lorsque tente de cerner l'organisation du travail scolaire ? De celui de l'enseignant ? De celui de l'élève ou des deux à la fois ? Le travail de l'enseignant se distingue à son tour par un travail de planification avant et après l'action, en l'absence des élèves, par un travail pédagogique et didactique dans l'action, en présence des élèves. S'agit-il encore de celui de l'élève, d'un élève auto-actif, auto-constructif, stratégique ? L'organisation du travail scolaire semble bien se situer aux croisements des métiers d'élèves et d'enseignants : des acteurs stratégiques. Le texte de cadrage du séminaire de recherche renvoit en fait à cette définition.

En connexion directe avec le travail, il est question également de son organisation, qui convie un autre champ, celui de la sociologie des organisations. L'école, au-delà d'être une institution, est une organisation et met en jeu du pouvoir, de la légitimité dans sa régulation et dans sa culture. La violence symbolique, les modes de régulation du système, comme les prescriptions et la division du travail font de l'organisation du travail scolaire un objet complexe, au croisement de plusieurs champs disciplinaires.

Si l'on poursuit l'investigation, il est nécessaire de se demander ce que signifie exactement le terme scolaire ? Où commence le scolaire ? La forme scolaire, comme forme spécifique d'organisation, mériterait d'être éclairée historiquement et culturellement pour comprendre ses évolutions actuelles. Si l'on prend l'exemple de l'enseignement frontal comme une manière de faire, de structurer, de synchroniser, de contrôler, de tenir une discipline et de pouvoir le faire; en structure, on retrouve historiquement le modèle du prédicateur et sa transposition dans la classe.

Il est important, pour les besoins de l'exploration et de l'analyse et pour tenter de cerner les contours de l'objet, de se reconnaître, comme acteur et comme auteur, dans une culture spécifique et dans l'organisation formalisée comme une caractéristique de la civilisation occidentale. C'est un vecteur majeur de notre société, que la capacité d'organisation des formes collectives d'organisation : les entreprises, les sciences, l'école en sont des exemples.

 

Finalités, sens, nouvelles libertés, enjeux paradigmatiques ?

Pour affiner l'essai de définition du concept d'organisation du travail scolaire, il est nécessaire aussi de prendre en compte les changements paradigmatiques en lien avec le paradigme historique et culturel de ce qu'est l'enfant, du statut de l'enfance dans ses transformations, de l'apprentissage, nourris par l'évolution de la recherche scientifique et pédagogique.

A ce stade de la discussion, l'organisation du travail scolaire s'appréhende par plusieurs facettes et entrées disciplinaires et se décline en différents niveaux : du macrosociologique, des systèmes d'organisation jusque dans le micro, la clinique de la situation didactique, dans le geste quotidien et le traitement des différences dans l'action. Cela amène des interrogations quant à l'appréhension et au traitement de ces différents niveaux et donc de la définition même de l'objet : d'un point de vue méthodologique, est-il pertinent ou fécond de se focaliser sur l’un des niveaux plus particulièrement : comme par exemple, étudier l'établissement ou l'équipe, et de mettre les autres dimensions en contexte ? Cette démarche pose la question des variables dépendantes ou indépendantes par rapport à la saisie de l'objet. Une approche de type systémique permet une entrée par la complexité et pose d'autres questions. Cette phase d'exploration du séminaire de recherche de LIFE permet de laisser le chantier encore ouvert.

La perception subjective du concept et probablement la distance expérientielle à l'objet font que l'organisation du travail scolaire peut être ou rester, pour certains, un concept glacial, gestionnaire au sens connoté négativement, s'il n'est investi et relié aux valeurs et aux finalités à tous les niveaux. Cela pose à la fois la question du statut de la pédagogie et de celui de la prescription. Quelle place la pédagogie, orpheline des sciences de l'éducation, a-t-elle dans la discussion ? Comment informe-t-elle du sens de l'action et de ses finalités ? De ce point de vue la pédagogie et la recherche en pédagogie sont et restent des pratiques non reconnues scientifiquement mais dont la science a su faire usage comme des pratiques sociales, dans le contexte de la planification des réformes et des innovations

La discussion a quelque peu abordé le statut de la prescription, sans en investiguer toutes les composantes, sa valeur effective ou incantatoire, ses effets. La prescription est plus particulièrement visible et effective, notamment dans les réformes et innovations en cours, où l'on constate que les finalités déclarées au niveau de la politique de l'éducation et du curriculum prescrit sont relativement élaborées, ambitieuses.

Tout comme, à un autre niveau, le discours que l'école tient sur elle-même : Huberman aimait à souligner les représentations partagées d'une philosophie de la pédagogie active plutôt que sa pratique. On le sait, la prescription fait l'objet d'une appropriation par les acteurs et les modèles d'innovation top down en ont montré les impasses, tant qu'ils ne permettent pas une expérimentation significative et surtout signifiante pour les enseignants. Sans de véritables fondements et du sens construits par les acteurs, le sens même du changement se perd et met dès lors les acteurs dans des discours de justification et de non-sens : on me demande de travailler en ateliers dira une enseignante désappointée, acculée à innover : que disent alors ces résistances ? Elles sont à analyser dans leur construction et dans leur signification.

Que fait-on potentiellement des nouvelles libertés qui sont censées s'ouvrir avec les réformes et les transformations de la forme scolaire, d'un espace de construction et de créativité ? Et comment aussi gère-t-on le paradoxe que plus de liberté contraint à rendre compte et l'injonction paradoxale qui consiste à demander la créativité sous prétexte de professionnalisme ? Les acteurs se retrouvent face aux grandes envolées dans les textes et dans les têtes et sans contrepartie en matière d’organisation du temps et du travail. Dans une profession, en voie de professionnalisation, où l'enseignant oscille, en fonction des messages institutionnels ou de la déclaration des acteurs, entre exécutant ou professionnel, comment le métier évolue-t-il ? Sommes-nous encore très proches d'une conception du maître serviteur de l'état et en quoi le mouvement de professionnalisation, les nouvelles formes de travail collectif, la responsabilité accrue, est-elle émancipatrice ? La réalité semble bien plus terne et proche de l'utilitarisme, de l'instrumentation et du marché de l'emploi : on change d'enjeux autour du savoir et de la définition du sens de l'école.

On peut pointer historiquement une bascule où les pédagogues militants de l'école de Freinet, qui questionnant la forme scolaire, tentaient de rapprocher l'école de la vie et l'écarter de sa voie scolastique ; ils se retrouvent aujourd'hui en réaction contre les forces qui tentent de paramétrer, voire formater l'école en fonction d’un profil de société qu'en partie ils réprouvent.

 

Du statut de la recherche et de la pédagogie

Du point de vue de la recherche, il s'agit d'identifier les objets de savoir : les savoirs pratiques de par leur statut même sont des savoirs implicites, incarnés par des modèles depuis l'enfance, l'école et ses modes de socialisations invisibles n'en sont pas moins prégnantes. L'habitus (Bourdieu) en éclaire sa dimension anthropologique. Force est encore de constater, une méconnaissance du travail réel des enseignants; la recherche sur les pratiques n'est pas sans îlots de rationalités sur la pensée de l'enseignant, sur la planification, sur les processus d'enseignement ou la pratique réflexive, la professionnalisation, la formation ou le travail. Mais ce travail existe et il change. Il est sous-tendu par un savoir professionnel incorporé, un savoir d'expérience. La question de la formation et de la transformation d'un habitus professionnel est donc un enjeu majeur qui se couple d'un travail sur l'identité et le rôle professionnels et, dans sa version la plus élaborée, d'une construction et d'une responsabilité collectivement assumées du parcours des élèves. Il s'agit véritablement d'un changement paradigmatique qui convie aussi bien les savoirs professionnels que le rapport au savoir des enseignants dans l'exercice de leur profession. Dans un métier en voie de professionnalisation, jusqu'à quel point la profession enseignante est-elle capable de produire un savoir sur la profession et sur les savoirs d'expérience et d'action ? Et quel est le statut de la recherche en pédagogie ? Cette recherche, souvent militante, est tue ou ignorée et déconnectée de la recherche et des réseaux scientifiques.

La question de la légitimité de la recherche sur l'organisation du travail scolaire ou d'autres objets d'ailleurs, est dès lors posée. Le mandat de la recherche scientifique est de regarder autrement sans déposséder, mais elle doit dire les valeurs et se donner une éthique. Le séminaire de recherche se positionne clairement à cet égard, puisque dans la première note de synthèse de M. Bolsterli, on peut lire : Après les courants pédagogiques qui ont abordé cette question de manière militante, il nous revient de considérer les questions d'organisation (et donc la question de l’organisation du travail scolaire - ndlr) comme non "triviales" et de les faire appartenir à la recherche, tout en les inscrivant dans la professionnalisation du travail enseignant. Les nouvelles formes d'organisation, dont notamment le travail en équipe, l'autonomie des établissements, la création de cycles, des objectifs d'apprentissage de fins de cycles, la pédagogie de projet, suscitent de nouvelles pratiques qui sont à comprendre et à interroger. Il nous faudra procéder à des analyses sur le plan micro et macro, afin d'essayer de déceler les paradigmes organisationnels qui sous-tendent le travail scolaire et d'en saisir leurs conséquences.

 

Une construction collective de l'objet et des études de cas : retour sur la méthode

Comment procéder méthodologiquement ? Par définitions de concepts et études de cas, par une perspective historique et l'invitation de différents champs scientifiques à la construction de l'objet ? Sommes-nous très loin des premières définitions collectives du texte de cadrage et de notre première discussion ? Le rapport personnel et collectif au chantier en construction peut être divers; d'où probablement à certains moments des besoins de définitions, de resserrements de la problématique et de reconstruction progressive; pour rappel, des éléments méthodologiques et conceptuels de la démarche exploratoire adoptée provisoirement, qui, de l'angoisse à la méthode (Devereux) structure le champ :

Le choix du champ de recherche retenu pour le séminaire peut être questionné sur plusieurs plans. Le texte de cadrage fait état de certains concepts pouvant appartenir à cet objet; il va s'enrichir au fil du temps, selon les apports des uns et des autres. Le sujet choisi devrait susciter des questions, à l'abri de l'obligation d'y répondre ou de se donner des contraintes, mais avec la préoccupation de tenter de clarifier ensemble ce que recouvre l'organisation du travail, scolaire, sans prise de pouvoir de LIFE mais dans une logique de coresponsabilité. Le séminaire va avoir pour objectif de construire ensemble l'objet, grâce aux expériences des participants et aux différents regards disciplinaires (analyse du travail, ergonomie, sociologie, anthropologie, théories de l'action, les didactiques, etc).

Il s'agira de comprendre notamment ce qui a fait passer des termes "gestion de classe" à ceux d'organisation du travail scolaire, en interrogeant les différentes facettes de ce nouvel objet, aussi bien celles en amont de la planification (à quel niveau se structure l'organisation? qui en a le pouvoir?) que celles de l'action et de ses conséquences (quel effet sur les apprentissages ?). Pour ce faire, on a besoin de mots pour parler des réalités du travail enseignant et il nous faudra chercher comment articuler celui-ci avec le travail de l'élève auquel devrait venir s'ajouter sa participation à l'organisation. Ce point opaque, considéré par certains comme une boîte noire difficile à ouvrir mais au coeur de la profession, demande donc d'être analysé sous ses différentes facettes, à l'éclairage des théories pouvant permettre de mieux le cerner et de parvenir à le comprendre (M. Bolsterli, première notes de synthèse).

Est-ce à dire que la démarche se veut clinique, compréhensive, qualitative, prospective, largement exploratoire à ce stade, dans ce premier tour de définition de l'objet ? Cela ne répond pas à la question posée dans la contribution discutée à savoir : Comment la recherche peut-elle contribuer à donner du sens aux changements pédagogiques? Les concepts de learning community, des apports sur les arbres de connaissances et le management des savoirs, ou les savoirs sur les innovations peuvent encore contribuer à la construction de l'objet et du changement : une perspective plus militante. Le débat reste ouvert sur statut de la recherche, sa posture et ses enjeux.

 


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