Séminaire de recherche LIFE 2001
L'organisation du travail scolaire.
Pratiques nouvelles, concepts nouveaux

 

Patricia Gilliéron

De la gestion de classe… à l'organisation du travail scolaire

Texte proposé pour la séance du 25 avril 2001

Le texte que je vous propose a été rédigé autour des trois questions suivantes:

En décembre dernier, j'ai terminé un mandat de suivi de la réforme scolaire vaudoise. Il concernait l'évaluation informative. Par choix personnel, je n'ai pas souhaité lier étroitement cette thématique au sujet du séminaire. J'ai privilégié une entrée ciblée sur le concept d'organisation du travail scolaire. C'est ce début d'appropriation qui a permis la rédaction des quelques premières impressions qui vont suivre.

Au préalable, je dirai que le concept d'organisation du travail scolaire m'est rapidement apparu comme un véritable serpent de mer… Pour quelles raisons? En premier lieu parce que les contours actuels du concept semblent extrêmement flous et peu déterminés. L'organisation du travail scolaire se décline de mille manières et, parfois sans distinction, à tous les niveaux &emdash; ceux du système dans son ensemble, de l'établissement, de l'école, de plusieurs classes, d'une seule classe, de l'équipe pédagogique, du travail de l'enseignant ou du travail de l'élève. En second lieu parce que cette impression de grande complexité me fait craindre que ce nouveau concept s'enlise dans une réflexion théorique et offre finalement un éclairage global et virtuel, certes intéressant, de ce qui se joue actuellement dans les réformes des systèmes d'enseignement mais au détriment des attentes descriptives plus pratiques qui semblent aujourd'hui indispensables aux acteurs scolaires. Et en troisième lieu, parce que le concept d'organisation du travail scolaire, tout comme le serpent de mer, exerce un attrait certain. Difficile de ne pas sentir que quelque chose d'important se vit, se pense, se conçoit, se gère, s'imagine, se met en pratique et se régule actuellement au niveau de l'organisation du travail. Incontestablement, ce concept, même ébauché, a quelque chose de fascinant.

Ne prenez pas cette image trop au sérieux, elle visait juste à introduire la lecture du texte qui suit…beaucoup plus réaliste, lui.

Note: Le texte qui va suivre évoque quelques réflexions personnelles qui ne revêtent bien entendu aucun caractère définitif. Le séminaire a pour objectif de clarifier le concept d'organisation du travail scolaire et les compétences qu'elle met en jeu. A ce stade, la stimulation du débat reste dès lors l'objectif prioritaire de tout écrit.


De la gestion de classe…

La gestion de classe évoque à bon nombre d'enseignants des souvenirs de formation initiale portant sur certains aspects bureaucratiques de leur travail. Certes, on peut supposer que l'approche administrative des tâches dépendait partiellement des différentes institutions de formation et, par la suite, des lieux de travail de chaque maître. L'impression de formalisme reste tout de même très présente. Un rapide coup d'œil sur la toile virtuelle conforte l'idée que la gestion de classe est (tout comme elle était auparavant) une description assez autoritaire d'un ensemble d'interventions d'ordre pédagogique, social, affectif ou disciplinaire que l'enseignant doit effectuer en classe. Ainsi, la ponctualité, le contrôle des absences, le remplissage des divers documents officiels, la communication des règles de vie en commun, l'établissement de plans de travail en fonction des instructions et des programmes, l'énonciation claire des consignes sont autant de compétences valorisées par l'institution. La gestion de classe comporte également une part d'appropriation des contenus à enseigner, de définition des objectifs d'apprentissage (que les élèves doivent atteindre à la fin de la leçon), de mise en œuvre d'activités et de maîtrise du temps d'enseignement.

La gestion de classe ancre les différentes activités de l'enseignant dans une succession de donnés institutionnels. Le bâtiment, l'espace-classe, les horaires, le nombre d'élèves, le mobilier, les méthodes, le programme, les objectifs, le matériel de l'enseignant et de l'élève sont imposés. Les verbes qui définissent le travail du maître sont par conséquent: utiliser, organiser, varier, assurer, contrôler, fournir, ajuster, illustrer, anticiper, favoriser, communiquer et choisir… parmi les activités proposées, bien sûr. L'impression qui se dégage de cette liste prédéterminant les différents composants des activités est celle d'un maître-gestionnaire, tout à fait capable d'assumer seul son travail.

 

… à l'organisation du travail scolaire.

La gestion de classe abordée ci-dessus décrit et balise les différents actes professionnels du maître lorsque celui-ci est dans sa classe. Elle ne prétend donc pas couvrir l'ensemble des activités réalisées par l'enseignant. Pour quelles raisons, peut-on se demander, y a-t-il tentation d'abandonner le concept de gestion de classe au profit de celui d'organisation du travail scolaire? Les arguments sont sans doute divers et nombreux. Ils participent probablement tous au rejet de l'image administrative que ce concept véhicule. La première raison venant à l'esprit concerne la classe. Au niveau secondaire, les enseignants interviennent dans plusieurs classes. Les options à choix et la répartition des élèves en niveaux ont également contribué à l'éclatement de cette unité. Plus récemment l'organisation de cycles d'apprentissage, le décloisonnement, l'incitation à travailler en modules, la mise sur pied de groupes de projets ou de besoins remettent en question l'ancienne conception un maître-une classe et ceci dans l'ensemble de la scolarité obligatoire. Un deuxième argument est la volonté actuelle d'installer l'enseignant dans une dynamique de concertation, de partage et de co-construction à la faveur de projets d'élèves (pouvant concerner plusieurs classes), d'un fonctionnement en équipe pédagogique ou d'une réalisation commune dans l'établissement. Plus largement, on peut citer comme dernier argument le fait que l'organisation du travail scolaire peut intégrer les relations avec des partenaires extérieurs à l'école, notamment les parents.

Mais encore…

Le passage du concept de gestion de classe à celui d'organisation du travail scolaire participe donc du souci d'élargir les réflexions bien au-delà du groupe classe. Il veut aussi affirmer un changement de rôle du maître non seulement lorsque celui-ci enseigne mais également lorsqu'il prépare son travail. Il participe ainsi au souhait actuel d'ouvrir la classe sur l'extérieur. Voilà pour les intentions.

Si l'enseignant est invité à passer progressivement de l'attitude de gestionnaire à celle d'organisateur, il faut bien admettre que les différentes tâches liées à la gestion de classe ne disparaissent pas totalement pour autant. Il ne s'agit pas, me semble-t-il, de demander au maître qu'il fasse table rase des comportements et des repères traditionnels, mais bien qu'il identifie ce qui dans ses actions professionnelles quotidiennes peut être modifié au bénéfice d'attitudes et d'activités novatrices. Ce cheminement ne va toutefois pas de soi et réclame au moins deux impératifs liés: une (re)connaissance relativement claire des activités enseignantes et ceci avant toute incitation extérieure innovante ainsi qu'un motif individuel de changement. Si l'on admet de plus en plus que les réformes scolaires ne se font pas contre ceux qui les mettent en pratique, alors se pose avec une acuité nouvelle la question de la motivation des enseignants à entrer, à suivre et à poursuivre l'innovation.

L'image de l'enseignant-gestionnaire traditionnel pourrait s'apparenter (toutes proportions gardées…) à celle du cycliste dont la roue est placée dans un rail et qui fonce à grande vitesse, le nez dans le guidon. Sans ironie, une telle situation n'a rien d'inconfortable, au contraire. Enlever le rail aura une conséquence inévitable: le cycliste doit sortir le nez de son guidon. Sinon… Les innovations scolaires actuelles privent momentanément les enseignants d'un certain nombre de repères, explicites ou implicites. Hormis le fait que les pratiques professionnelles doivent faire l'objet d'une description plus ciblée et plus soutenue, l'un des aspects qui semble aujourd'hui peu exploré est celui des nouvelles libertés qui s'offrent (devraient s'offrir ou ne s'offrent pas…) aux métiers de la formation.

A mon sens, les compétences professionnelles liées aux innovations ne demandent pas seulement au maître d'abandonner une partie de son rôle d'ancien gestionnaire au profit de celui d'organisateur, mais elles lui demandent, bien au-delà, de devenir progressivement un concepteur. Cela signifie alors que certains verbes doivent apparaître dans la liste de ses actions professionnelles comme penser, recomposer, interroger, imaginer, créer… et ceci au-delà de tout ce qui peut être proposé par l'institution elle-même. Non seulement ce sont les compétences et les activités liées à ces verbes qui créent la véritable rupture avec des attitudes anciennes, mais on peut faire l'hypothèse ambitieuse qu'elles pourraient bien, à l'avenir, constituer l'un des motifs à l'adhésion des enseignants au changement. La question de ce nouvel espace de liberté n'est cependant que peu, voire pas du tout abordée actuellement. Comme si les nouvelles tâches du maître devaient et pouvaient s'inscrire, tout comme auparavant, dans une série de donnés institutionnels fermés, et strictement dans ceux-ci, sans aucune marge de liberté supplémentaire.

Si l'on admet que le rôle de l'enseignant dépasse largement celui d'organisateur, alors le concept de gestion de classe doit glisser, lui aussi, au-delà de celui d'organisation du travail scolaire…

Articuler plutôt qu'élargir: quel rôle pour la recherche?

Le nouveau concept d'organisation du travail scolaire veut traduire une partie des intentions des réformes actuelles. Si l'on se préoccupe de la question du rôle de la recherche dans la mise en œuvre des innovations pédagogiques, cet élargissement ne comporte pas que des avantages. Etendre la portée d'un concept entraîne assurément, dans un premier temps tout au moins, une complexification supplémentaire de son approche théorique.

Incités notamment par les recherches en sciences de l'éducation, les systèmes scolaires sont de plus en plus nombreux à s'interroger sur leur mission, à modifier leurs structures et à inciter les maîtres à changer leurs pratiques. De nouvelles approches structurelles, organisationnelles, méthodologiques ou didactiques rendent plus riches mais également beaucoup plus flous les contours du métier d'enseignant ainsi que l'identité professionnelle des praticiens. L'inconfort qui en résulte pour les acteurs scolaires est important. Au-delà de la faible connaissance des pratiques nécessaires à la construction de leur identité et du manque d'explicitation des véritables attentes institutionnelles, ce qui semble au centre de leurs préoccupations est la quête du sens à donner aux multiples changements actuels. La question du rôle de la recherche me paraît devoir impérativement se poser dans cette quête.

Construire un nouveau concept pédagogique peut certes contribuer à comprendre ce qui se joue (ou ce qui ne se joue pas) dans les systèmes de formation. A mon sens, c'est là le but principal des réflexions. Dans le contexte actuel des innovations, le concept d'organisation du travail scolaire devrait donner l'occasion de décliner ses divers composants non pas en fonction d'intentions d'innovation mais de pratiques réelles passées et présentes dans le terrain. Il s'agirait ainsi aujourd'hui davantage d'articuler les réflexions aux réalités du métier de la formation et de son devenir plutôt que de créer un champ de recherche nouveau.

 

URSP - P. Gilliéron/19 avril 2001

 


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