Université de Genève - Faculté de psychologie et des sciences de l'éducation - Sciences de l'éducation

 

LIFE

Laboratoire de recherche

Innovation-Formation-Éducation

 

Séminaire de recherche LIFE 2001-2002

L'ORGANISATION DU TRAVAIL SCOLAIRE


Synthèse du séminaire du 16 mai 2001

Andreea Capitanescu

Texte en discussion :

Frédérique Wandfluh & Philippe Perrenoud
Travailler en modules à l'école primaire : essais et premier bilan


Le troisième séminaire a été consacré à l'introduction des modules d'apprentissage dans une des écoles en innovation de Genève, décrite en particulier dans la contribution des deux auteurs du texte " Travailler en modules à l'école primaire : essais et premier bilan " (Wandfluh, F. & Perrenoud, Ph. ;1999)

Le texte des deux auteurs est très explicite quant aux enjeux de la mise en place des modules d'apprentissage. Le lecteur trouve d'ailleurs la définition des deux espaces de travail (en modules et en classe). De même, les auteurs développent la réflexion aussi sur l'objet de l'évaluation du travail des élèves, de la progression, de la différenciation.

Durant le séminaire, nous nous sommes attardés surtout pour clarifier ce qui distingue ces deux espace-temps : le travail en classe et le travail en modules. Comment et en fonction de quoi, l'enseignant et/ou l'équipe décident-ils de ce qui se travaillera particulièrement dans la classe ou dans les modules. Quels sont les choix rationnels ou irrationnels qui précèdent cette nouvelle organisation du travail et de division des tâches au sein d'une équipe, au sein d'une école ?

Frédérique Wandfluh affirme que les enseignants de son établissement ont choisi de travailler en modules pour une meilleure efficacité de l'enseignement.

Pour l'équipe, la décision ferme de vouloir lutter contre l'échec scolaire ne suffit pas. " Pour faire partie de la solution, il faut accepter d'être partie du problème " (Hutmacher, W., 1993) Comment l'équipe se mobilise-t-elle pour agir et ne pas tomber pas dans une justification fataliste du " handicap socio-culturel " pour certains élèves ? Ou pour la plupart des élèves des familles populaires ?

Les enseignants faisant partie de l'école présentée (cycle 1, petite école, élèves de 4 à 8 ans) ont mis en place un fonctionnement par modules d'apprentissages. C'était leur manière d'entrer dans la logique des cycles d'apprentissages pluriannuels (quatre ans). L'équipe a choisi de commencer par la création de modules de mathématiques et par la fabrication de situations d'apprentissage qui permettaient de gérer au mieux la progression des élèves.

Les modules, définis par les auteurs du texte, comme des moments plus denses et plus ciblés sur certains objectifs-noyaux, ont été l'occasion idéale de travailler sur plusieurs questions que l'équipe d'enseignants voulait creuser. Parmi ces questions, il y avait : comment l'enseignant peut devenir plus efficace ? Comment l'enseignant peut lutter contre la dispersion et le zapping permanent dans la classe ? Comment il peut développer des situations d'apprentissage de haut niveau, une didactique plus élaborée et différenciée ? Comment l'équipe travaille sur et à partir de ses propres représentations de l'éducation, des apprentissages, de la réussite, de l'échec des élèves ?

 

Travail en classe, travail en module : quelles distinctions ?

… de la logique du flux tendu aux flux poussés…

La discussion s'est concentrée à distinguer ce qui se fait dans la classe et ce qui se fait dans les modules.

Selon Frédérique Wandfluh et Philippe Perrenoud, dans la classe, le travail est plus aléatoire, découpé, discontinu car " il y a toujours quelque chose qui intervient et qu'il faut gérer " ; en classe " on est dérangé ". Le rapport au temps dans la classe est plus relâché, l'enseignant s'organise en fonction de ses disponibilités, de ses envies, des " choses du moment à prendre au vol ", de nombreuses activités avec des objectifs différents, il y a donc une planification plus " diluée ", " l'enseignant agit dans l'urgence et l'incertitude ", " il y a du bricolage ingénieux dans l'air", " il y a une sorte de liberté ".

Dans les modules, l'équipe a voulu briser la logique de zapping permanent entre les disciplines, entre de nombreux objectifs qu'on veut faire passer, transmettre ou construire. Travailler en modules, c'était faire l'effort de pointer certains objectifs et aller le plus loin possible. En modules, l'équipe se trouve face à quelque chose de l'ordre du " Ici, c'est du travail sérieux ! Il y a une tension ! Il y a intensification des apprentissages  ! C'est plus fatigant ! "

Nous pourrions déjà définir d'une part un travail à " flux poussés " et d'autre part " à flux tendus ". Selon le principe du " flux poussé ", les enseignants peuvent reprendre des activités, des objectifs à retravailler pendant le reste de l'année ; par contre, le travail en modules, à " flux tendus ", s'insère dans un espace-temps beaucoup plus organisé et limité. De là, nous pourrions interroger quelle est la part d'un travail à " flux poussés " ou à " flux tendus " dans une école. Est-ce que les enseignants pourraient travailler durant toute l'année et en permanence à " flux tendus " ? Ne seraient-ils pas épuisés ? A force, n'y a-t-il pas un risque fort de routinisation ou d'usure pour le travail à flux tendus ? Quel serait alors le travail laissé à la classe ?

 Pour la construction des modules, une architecture scolaire en exploration, qui rentre en conflit avec une logique de l'organisation de l'école en degré, les enseignants sont obligés de travailler en équipe, d'être solidaires, de mieux utiliser les ressources humaines et matérielles. L'équipe prend conscience que chaque membre est irremplaçable durant cette période pour maintenir une cohérence du dispositif ! L'enseignant endosse une responsabilité forte pour l'élaboration et la mise sur pied de ce dispositif.

Que ferait un remplaçant parachuté dans une telle école ? Que ferait l'équipe ?

Travailler en modules impose fortement de poser la question des objectifs. Quels sont les objectifs qu'on veut atteindre dans les modules et comment ? L'organisation modulaire serait plus au service d'une différenciation portée par l'ensemble de l'équipe. En classe, aller au bout des intentions de différenciation demande plus d'efforts, plus de moyens de la part de l'enseignant.

Quelle est la différence réelle entre ces deux modes de travail ? Est-ce qu'on peut faire en classe des modules, sans décloisonner ou modifier l'organisation scolaire ?

Dans le séminaire, nous avons essayé d'esquisser quelques éléments qui font la différence. Selon Frédérique Wandfluh, dans un module, l'enseignant et les élèves vont au bout du projet, de la production tandis que la classe reste le lieu où s'organisent des activités de répétition ou de structuration. Il nous resterait à approfondir : quels sont les objectifs qui sont mieux traités en classe et ceux en modules ? Selon le texte des deux auteurs, nous pourrions voir s'esquisser une volonté du travail sur la construction des compétences à l'intérieur des modules. Comment l'enseignant distingue les activités qui devraient être travaillées dans un temps long, plus dilué, dans une logique des modules filés et d'autres dans une logique du temps compact ? Toujours, dans le texte (Wandfluh, F. & Perrenoud, Ph ; 1999), " le module serait un enchaînement de situations-problèmes, rigoureusement ordonnées à des objectifs d'apprentissage bien identifiés, assez pointues et calibrées pour garantir leur réalisation pour la plupart des élèves. "

Dans les témoignages et dans le texte de Frédérique Wandfluh et Philippe Perrenoud (1999), nous pourrions observer que le travail en modules devient un lieu, un laboratoire nécessaire d'analyse du travail et de la pratique enseignante. L'organisation des modules est en quelque sorte le prétexte, si cela ne se fait pas ailleurs, de travailler collectivement sur les représentations de chacun de la manière dont l'enfant apprend, dont l'enfant et l'enseignant travaillent et " sur les objectifs d'apprentissage ".

Dans le cadre des modules, où tout est prévu, pensé, anticipé, les enseignantes peuvent dégager du temps et de l'énergie pour penser à ce qui est vraiment porteur ou efficace pour les élèves. Il semblerait pour Frédérique Wandfluh, que plus les activités sont pensées, discutées, négociées en équipe, plus la liberté d'action de l'enseignant est grande ; ainsi l'enseignant a une vision plus claire de ce qu'il peut attendre des élèves.

 

Les modules, un lieu de construction
des programmes sur un temps long

Frédérique Wandfluh dit : " si l'on travaille qu'avec des élèves de 8 ans, on oublie comment les autres apprennent ! " Il semblerait que la forme scolaire traditionnelle fasse tout son possible pour l'y aider.

Les programmes scolaires ont souvent organisé les apprentissages en fonction des âges des élèves. La division du travail traditionnelle " à chaque enseignant, son degré " est la règle de nos écoles et conditionne l'enseignant par rapport à une classe d'âge unique. Certains enseignants diront d'ailleurs savoir enseigner à des grands mais ne pas leur apprendre à lire !!!

Dans l'école, l'enseignant est souvent une " victime consentante " de la forme scolaire et de la gestion bureaucratique. Il hérite de la part de l'administration des programmes, des plans d'études, sans vraiment prendre le temps seul ou en équipe de s'approprier leurs logiques respectives. Ceci non pas par manque de volonté ou de temps, mais parce que la fabrication des plans d'études, des programmes, des objectifs exige des négociations et compromis entre des acteurs divers et nombreux, ce qui rendent parfois les textes soit terriblement compliqués et opaques pour un simple utilisateur soit complètement vagues ou dénués de toute substance.

La construction collective des modules et des situations d'apprentissage permet de faire le travail d'appropriation des objectifs, des plans d'études, à fur et à mesure qu'ils s'interrogent quant aux objectifs qu'on veut atteindre à la fin du cycle ? Cela entraîne une un compte à rebours qui leur permettra de repérer la succession des dispositifs d'apprentissage.

 

Les modules, une expérience collective nécessaire, un lieu d'auto-formation, de co-formation ? Un lieu de construction d'une identité ou d'une culture professionnelle.

Le module, c'est un moment qui demande des bilans collectifs, des points de situation qui cristallisent une expérience professionnelle collective. Des vraies questions professionnelles se posent au sein de l'équipe : " Qu'est-ce qu'on refera ? Qu'est-ce qu'il ne faudra plus faire ? Comment allons-nous modifier l'architecture modulaire mise en place ? " L'équipe prend en charge la résolution des questions, d'une manière collective. Travailler en modules, une expérience collective, implique chacun et jusqu'au bout de la pratique enseignante. La question de la manière dont l'élève apprend n'est pas esquivée. Cette question, au centre de l'analyse de pratique des enseignants, dirige le travail de l'équipe qui va mettre en place des dispositifs de différenciation pédagogique et réguler l'action pédagogique.

Certains enseignants lancent la même activité avec deux groupes, la porte est grande ouverte ! Des portes communicantes ! Une porte d'entrée pour l'intervision en équipe, pratique encore très inconnue du monde enseignant. Et l'on s'observe faire et l'on observe les élèves. L'activité est lancée et les effets sont différents, de même, les réactions sont différentes selon les groupes. Les enseignants peuvent échanger à propos de ce qu'ils ont mis en place et de comment ils ont vécu les activités. Où sont donc les freins, où sont donc les facilitateurs ?

Apprendre à travailler ensemble autour des savoirs, autour des obstacles et dans quelles conditions ils sont rencontrés par les élèves, permet de dépasser certaines peurs de l'enseignant et peut-être de dépasser le mythe de la maîtrise sur les choses. Cette expérience permet de parler collectivement de ce que l'on rate, de ce que l'on ne maîtrise pas ; être dans une résolution de problèmes et non pas seulement dans la plainte. Ne dirigeons-nous pas vers une professionnalisation du métier d'enseignant ?


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