Université de Genève - Faculté de psychologie et des sciences de l'éducation - Sciences de l'éducation

 

LIFE

Laboratoire de recherche

Innovation-Formation-Éducation

 

Séminaire de recherche LIFE 2001-2002

L'ORGANISATION DU TRAVAIL SCOLAIRE


Notes de synthèse du séminaire du 11 novembre 2001

Etiennette Vellas

Texte en discussion :

Philippe Perrenoud
Espace- temps de formation et organisation du travail


Le problème de l'organisation du travail scolaire est posé dans le texte à partir de deux questions qui empêchent de fuir les problèmes qui nous intéressent:

Les réponses apportées par l'auteur le sont sous la forme d'une approche originale : la nouvelle conception de l'organisation du travail, du temps et des espaces scolaires proposée révèle les ruptures comme les continuités qu'elle représente par rapport aux logiques anciennes qui prévalent aujourd'hui dans bien des lieux (cursus découpé en étapes-programmes annuels, ordre immuable des étapes, environ 40 semaines d'école par an, entrée des enfants dans l'école au même âge, etc. ).

Après avoir rappelé une quinzaine de traits mettant particulièrement bien en évidence l'uniformité et la force de la stabilité d'un modèle de l' organisation du travail scolaire qui s'est imposé au XIXe siècle, Philippe Perrenoud examine six volets présentés comme autant de transitions aujourd'hui possible dans l'organisation du travail. Avec un enjeu majeur et annoncé : la lutte contre l'échec et les inégalités. Utile recontextualisation quand on sait combien une réorganisation du travail scolaire peut être contre-productive quand elle est entreprise &endash;tant par les cadres scolaires que par les enseignants&endash; par effet de mode ou du moins dans la méconnaissance ou la non prise en compte des enjeux qui lui ont donné naissance. Le message est clair : rien ne sert de chambouler l'organisation du travail scolaire, voire de montrer soigneusement les limites de l'organisation tayloriste du travail scolaire si c'est pour continuer à produire autant &endash; voire plus&endash; d'échec et d'exclusion.

Philippe Perrenoud rappelle en début de séminaire que des réorganisations sur le plan structurelles sont réfléchies, voire entreprises aujourd'hui à l'échelle planétaire. Pour leur donner quelque chance de modifier l'organisation du travail et la gestion interne des espaces-temps scolaires , "l'école" semble devoir aujourd'hui d'abord parvenir à expliquer, négocier, convaincre du bien-fondé des nouvelles propositions.

Le texte en question participe à cette démarche d'explicitation à travers 6 volets qui sont à prendre de manière systémique :

  1. Des programmes aux objectifs.
  2. Des étapes annuelles aux cycles d'apprentissage pluriannuels.
  3. De la classe immuable aux groupes flexibles.
  4. Du zapping de la grille horaire aux modules intensifs.
  5. Des cloisons disciplinaires aux projets pluridisciplinaires.
  6. Des exercices classiques au travail par problèmes et projets.

Chaque participant a cherché dans un premier temps le volet manquant : proposition est faite par ex. d'un volet qui pourrait être : "De la gestion de classe à la pratique réflexive". Le séminaire va tenter de ne point en rester là. La liste n'étant pas présentée comme exhaustive, les enjeux sont effectivement ailleurs pour notre recherche : prendre ce texte pour mieux cerner, comprendre, analyser, théoriser "l'organisation du travail scolaire". Il s'agit bien pour nous, à travers les 6 volets présentés, d'aborder ce terme que nous qualifions d'impensé. Du moins est-il absent actuellement des textes, voire réflexions accompagnant les recompositions actuelles du travail scolaire. Terme absent tant sur le plan des réorganisations macro (ex. réseau de formation à distance, enseignement public et privé) que micro (travail en cycle d'apprentissage ou travail en équipe par exemple).

L'organisation du travail ne semble être abordée ou traitée que par incidence.

Ressort de notre discussion, d'une part que, de manière générale, les enjeux des réformes gagneraient à être anaylsés à travers le concept de l'organisation du travail. Ressort aussi des points importants, qui représentent autant de pistes de recherche pour la suite afin de mieux rendre compte de l'organisation du travail et des innovations la concernant. Ce sont ces points qui sont restitués ci-dessous.

 

1. Une organisation du travail à aborder dans toute sa complexité.

L'organisation du travail scolaire semble aux yeux de tous devoir être abordée - pour être analysée et théorisée - de manière systémique et sans renoncer à analyser toutes les zones et niveaux d'organisation (du macro ou micro, du collectif à l'individuel). Il est nécesaire aussi de les articuler entre elles comme un enchaînement mais aussi comme la résultante d'un tissage entre les divers éléments. Les problématiques 5 et 6 présentées dans le texte par ex. sous les intitulés "Des cloisons disciplinaires aux projets pluridisciplinaires". ou "Des exercices classiques au travail par problèmes et projets" obligent par exemple à se pencher sur l'organisation plus micro du travail. On touche ici à l' organisation quotidienne des tâches données aux élèves.. Il s'agit d'une organisation certes en bout de chaîne mais qui a bien lieu dans une organisation du travail plus macro qui l'influence mais qu'elle peut aussi influencer.

 

2. Deux grilles d'analyse pertinentes : le prescrit et le non-prescrit

Une analyse fine du prescrit (regroupements des élèves, heures d'enseignement par disciplines, horaire annuel, directives concernant les surveillances des récréations, des sorties, les objectifs, les moyens d'enseignement etc) . et du non-prescrit, peut nous faire comprendre sur quoi porte l'organisation du travail scolaire et à qui, dans la réalité, elle échoit officiellement ou pas. Une recherche dans ce domaine pourrait nous montrer les zones de rigidités comme les zones de flous et les incohérences qui empêchent une organisation du travail au service de chaque élève.

 

3. Des concepts flous à relier

Les termes d'objectifs, de programmes, de contenus sont en rapports directs avec l'organisation des tâches données aux élèves à travers les situations d'apprentissage proposées.

Une définition des termes d' objectif, de programmation, de planification, de contenu et une problématisation de ces termes et des liens que ces termes entretiennent entre eux et avec l'organisation du travail scolaire à tous les niveaux semble à entreprendre tant pour une avancée conceptuelle que pragmatique. Le terme de finalité lui-même semble devoir être abordé dans ce nœud conceptuel.

La question de la programmation, des étapes à franchir est importante. Au XIX et XXièmes, les objectifs portaient en eux la programmation et le programme incluait la programmation. Le passage du programme aux objectifs implique certes une décentration du pouvoir mais aussi une autre organisation, une nouvelle planification du travail. Qu'est-qui change exactement? Quelle pensée stratégique indispensable? Quel est le lieu aujourd'hui de la construction des activités scolaires qui vont mener aux objectifs? Ces questions en amènent une autre : Peut-on laisser toute cette organisation du travail aux seuls enseignants? On fait aujourd'hui semblant que ça peut marcher. Mais comment cela marche-t-il en réalité? Qui a mesuré le saut qualitatif que cela représente pour les enseignants? Et pourquoi leur délègue - t- on cette tâche aujourd'hui?

L'hypothèse qui surgit de la discussion et de nos pratiques d'observations est que, dans la pratique, les enseignants organisent leur travail en ne se référant pas de la même manière à ces termes. Les futurs enseignants partent plutôt des situations didactiques que des objectifs d'apprentissage et s'ils se réfèrent à ceux-ci seuls, ils s'y noient. Les anciens s'appuient sur un bricolage entre ancien plan d'étude et libellés actuels d'objectifs d'apprentissage. Certains reprennent leurs anciens programmes annuels pour les répartir sur un cycle d'apprentissage. A noter que beaucoup d'enseignants organisent leur travail en classe et celui des élèves en partant d'activités jugées intéressantes (par expérience ou par d'autres voies) ou par habitus et coutumes. Ils font - ou pas - les liens avec les objectifs officiels, souvent dans l'après-coup des périodes d'apprentissage. On peut remarquer que, dans ce cas du moins, c'est le choix de l'activité qui est à la base de l'organisation du travail des élèves et non pas, prioritairement, les objectifs à atteindre. Il semble que la pensée qui guide l'organisation du travail par les enseignants soit actuellement multiple mais peut-être relativement éloignée d'une organisation à partir des objectifs. Ce que chacun ose affirmer aujourd'hui en tous les cas, c'est le chaos qui règne à propos des objectifs, de leur organisation, des choix à faire les concernant, de priorités à avoir pour les aborder ? Il semble qu'il y ait des confusions, par exemple, entre programme et programmation.

 

4. Aller vers le plus micro encore

Si on va vers le plus micro encore, c'est bien à l'organisation de la tâche préparée pour les élèves et à l'organisation de l'animation de la tâche (système de décisions prises) qu'il faut finalement s'intéresser. Ce qui inclut la délégation faite aux élèves quant à l'organisation des tâches. La didactique s'intéresse à la tâche mais nous pouvons pousser l'analyse sur l'organisation du travail en terme des choix faits et à faire, des niveaux de décisions prises et aux liens qu'ils entretiennent avec l'organisation plus macro. Une analyse qui regarde les choses (plus que les gens) pour comprendre ce qui sous-tend l'organisation du travail. Il y a certes une culture, des décisions, des compréhensions qui orientent l'organisation du travail mais nous avons intérêt à ne pas superposer ces éléments à l'organisation du travail elle-même.

 

Pour conclure

Aborder les problématiques des rénovations, novations, régulations actuelles des systèmes scolaires (comme le fait Philippe Perrenoud dans son texte) en les reliant systématiquement aux implications qu'elles ont ou devraient avoir sur l'organisation du travail scolaire a le mérite de visibiliser la complexité actuelle que revêt cette organisation. Aborder cette question cible aussi un nombre important d'incohérences qu'il est difficile d'accepter tant de la part d'un système scolaire que pour les acteurs individuels (cf par exemple au moteur que représente toujours l'échec scolaire en matière d'organisation du travail : création de postes, classes spécialisées, institution, système d'évaluation, etc.) C'est probablement l'immensité du vertige qui les prend face à la déconstruction à entreprendre qui empêche une partie des chercheurs de prendre comme angle d'analyse des réformes l'organisation du travail scolaire. Il faut posséder en tant qu'acteur du système à tous les niveaux une certaine posture et un certain habitus de réflexion pour oser aborder les problématiques scolaires en les reliant systématiquement à l'organisation du travail, car nous risquons tous de scier la branche sur laquelle chacun est assis.. Ce qui renvoie à la question "qui a intérêt ou avantage (est-ce la même chose?) à aborder la question scolaire sous cette forme?. Quels mobiles réels guident tous les acteurs ?

Nous constatons que la discussion mêle souvent enjeux théoriques et enjeux humanistes. Nous insistons pour nous prouver que le détour par une théorisation de l'organisation du travail scolaire vaut la peine. Il manque actuellement des modèles de l'organisation scolaire à proposer à l'ensemble des acteurs. Donc une problématique et une théorie à construire encore. Il est devenu trop simple de tout mettre sur le dos des hiérarchies scolaires. Le passage par la théorie devrait servir la professionnalisation du métier et les avancées des systèmes scolaires.

Chacun pense aussi qu'il y a des organisations du travail touchant à la gestion du temps et de l'espace dans les écoles et dans les classes plus intéressantes et prometteuses que d'autres. Mais comment les systèmes scolaires parviennent-ils à profiter de ces avancées et à les évaluer? Il semble qu'ils peinent tant à les repérer qu'à les diffuser et les promouvoir, même quand il y a volonté de diffusion et de promotion. Ils manquent eux aussi cruellement de théories, de modèles sur lesquels s'appuyer pour promouvoir certains modèles d'organisation.

Sans des modèles problématisés d'organisation du travail, le niveau et la qualité des prescriptions actuelles qui accompagnent ces changement peuvent conduire à l'impasse. On ne construit pas le sens de l'organisation du travail par des seules injonctions et des interdits. De plus de nombreux distracteurs mettent aussi les bâtons dans les roues d'une pensée plus systémique (ex. certains manuels pédagogiques sont inadaptés aux théories de l'apprentissage recommandées. Les théories de l'apprentissage elles-mêmes ne sont pas des guides fiables car elles sont peu connues et leurs interprétations conduisent à des impasses).

Les enseignants quant à eux naviguent entre des pratiques qui les infantilisent (certaines séquences didactiques prévues à la lettre) et un "faites au mieux" sans aucun modèle d'action. Au fond, il manque à tous une théorie et des modèles d'organisation du travail comme repères.

 

Recadrage de notre recherche

Dans ce contexte, notre recherche est relativement urgente et devrait:

 

Décision en fin de séminaire pour la suite :

Le pilotage, la planification, l'activité planificatrice méritent qu'on prolonge la réflexion sur ce thème.

Nous choisissons d'entrer la prochaine fois par le concept " d'objectif-obstacle " en tant qu'outil de l'organisation du travail. Etiennette Vellas se charge d'écrire un texte-tremplin.

Sur le plan de l'organisation de l'espace, la demande est faite de creuser aussi cet aspect par une approche plus ergonomique.


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