Une organisation du travail
orientée par des objectifs- obstacles

 

Etiennette Vellas

Faculté de psychologie et des sciences de l'éducation

Université de Genève

novembre 2001

 

I. Interrogations sur le concept d'obstacle

Introduit par Jean-louis Martinand, le concept d'objectif-obstacle est construit sur l'articulation de deux termes antagonistes. Il permet de renouveler la notion classique d'objectif en dépassant son origine behavioriste et en y réinsérant les opérations mentales du sujet. Il permet aussi de considérer l'obstacle de manière dynamique. L'objectif-obstacle est ainsi un concept dialectique (Astolfi, 2000).

Si l'on veut comprendre comment ce concept peut influencer l'organisation du travail scolaire, le terme d'obstacle demeure à clarifier et surtout à situer. De quel obstacle parle-t-on en effet quand ce terme est associé à celui d'objectif? Où se trouve cet obstacle? chez le sujet? dans l'objet à transmettre? dans la situation d'apprentissage? dans l'acte d'apprendre?

Partir des objectifs-obstacles peut, suivant où l'obstacle est situé, conduire à des organisation du travail probablement différentes. Je vais soutenir la thèse ici que nous avons intérêt à voir l'obstacle tant dans la pensée humaine que dans son évolution, par conséquent dans l'acte d'apprendre lui aussi. Et qu'il peut être avantageux pour organiser le travail scolaire d'accepter de voir les objets à enseigner comme ayant une histoire propre.

 

a) L'obstacle vu comme évolution de la pensée humaine

Les théories de Bachelard et de Canguilheim montrent que la pensée progresse par rupture avec des conceptions antérieures. Il y a bien alors obstacle à franchir pour qu'il y ait évolution de la pensée, de la culture, de la science. Dans cette vision des choses, l'erreur est normale, banale, nécessaire et épistémologiquement repérable.

Dans ce rapport à la culture, les savoirs particuliers, les concepts sont perçus comme les productions d'actes créateurs du plus digne intérêt. Ce qui amène les plus enthousiastes pédagogues a retenir en tout premier lieu des savoirs de toutes les disciplines, leur caractère de "conquête sur l'inconnu" "de victoire sur l'impossible" qui marquent "le recul de l'ignorance et de manques pour agir et comprendre toujours plus et mieux le monde" (Bassis, 1999, p. 19).

 

b) L'obstacle vu comme évolution de la pensée individuelle

Dans ce cadre, la pensée est vue comme se construisant par rupture avec des conceptions antérieures. L'acte d'apprendre et d'enseigner s'organise alors autour du franchissement des obstacles rendu possible en opérant des ruptures avec ses connaissances antérieures .

La tentation est alors grande de faire des progrès intellectuels obtenus à l'occasion d'un franchissement d'obstacle les objectifs majeurs de l'enseignement.

Prendre en compte l'obstacle dans la pensée &endash;dans sa face négative comme positive&endash; incite ainsi les enseignants à souvent partir des représentations des élèves pour construire toute nouvelle connaissance. Les tendances récentes des recherches en didactique conduisent, heureusement à dépasser aujourd'hui des cartographies descriptives de représentations vues comme statiques. On insiste aujourd'hui davantage sur la notion sous-jacente d'obstacle épistémologique reprise justement de Bachelard (Fabre, 1995). L'obstacle est alors perçu dans sa face dynamique. Il redevient alors permis pour l'enseignant d'espérer des changements dans les représentations des élèves!.

 

c) L'obstacle vu dans l'évolution de l'objet culturel à transmettre

Les objets culturels peuvent être vus comme ayant une histoire propre, même si celle-ci n'est pas étrangère à l'idée d'obstacles franchis par des hommes au cours de l'histoire. Les savoirs, les concepts peuvent alors être vus comme naissant en fonction de situations impasses dans lesquelles les hommes se retrouvent au cours du temps.. Ils peuvent aussi être analysés comme variant et évoluant en fonction de l'utilisation que les hommes en font.

 

d) L' obstacle vu comme intrinsèque à l'acte d'apprendre

L'acte d'apprendre, munis des perceptions ci-dessus, peut alors être compris comme acte d'invention, de création, de construction. Le socio-constructivisme peut conduire à une représentation de l'homme construisant sa connaissance, seul, avec et contre la connaissance des autres (le formateur, les pairs mais aussi des étrangers, des fantômes des générations précédentes).

Faire apprendre est alors conçu comme un acte faisant se heurter à des obstacles. Des obstacles prévisibles et imprévisibles. Provoquant des envies d'abandonner, de fuir mais aussi de lutter, d'avoir envie de s'en sortir.

Organiser l'apprentissage autour de l'idée que les objectifs scolaires majeurs sont bien des objectifs obstacles c'est l'organiser autour de l'idée d'une continuité marquée par des ruptures. Le terme de rupture étant à prendre comme celui d'obstacle dans le sens d'une dynamique positive.

Le terme d'objectif-obstacle montre ainsi une école qui ose faire des choix, qui résiste au sens commun, qui s'installe dans un certain rapport à l'évolution, à une société à laquelle il ne faut pas d'abord s'adapter.

 

II. Quand l'obstacle guide l'enseignant
dans l'organisation de son travail

Disons-le d'emblée : les enseignants qui créent des situations de construction de savoir à partir d' objectifs-obstacles déclarent que le 90% du temps de préparation de leur enseignement est consacré à la recherche du bon obstacle. Les enseignants ne sont en effet pas habitués à aller quérir dans les objets d'enseignement (concepts, problématiques, outils culturels, compétences) les questions clés, les problématiques, les interrogations, bref les obstacles à faire franchir aux élèves pour qu'ils apprennent.

Que provoque sur le plan de l'action de l'enseignant cette vision des choses ?

 

a) D'abord un questionnement sur la culture.

De quoi est faite la culture scolaire à transmettre? quels sens ont les disciplines, les savoirs à enseigner? Quelle est l'histoire de tel savoir? Quelle est l'aventure de sa construction? Qu'a-t-il permis de plus aux hommes? De quels obstacles rencontrés est-il né? Quels doutes, manques a-t-il fait reculer? Quelle représentation du monde a-t-il entraîné? De quels pays, histoire nous viennent-ils? Où et comment sont-ils utiles aujourd'hui?

Ces questions sont posées pour agir. Il s'agit bien de savoir finalement "que transmettre?". Ce questionnement provoque le plus souvent un besoin fort de documents qui n'est pas autre que la conduite d'une véritable recherche documentaire. Un questionnement riche, enthousiasmant mais qui n'est pas paisible.

 

Un questionnement qui ne va pas sans reproche tous azimut

Dans l'étalage des savoirs à transmettre, la culture scolaire telle qu'elle est présente dans les programmes, plans d'étude ou autres présentations ou directives est apparue jusqu'à il y a peu vidée du sens d'une culture crée par l'homme et le transformant en retour. L' obsession dans le domaine des sciences de ne point confondre la forme et le fond, et à l'école de penser de manière non reliées les contenus et les méthodes ont conduit, en partie au moins au nom de la raison de la transmission du savoir, à étouffer la raison du savoir et de savoir. Le savoir scolaire a été présenté le plus souvent aux enseignants qui doivent le transmettre tronqué d'une partie au moins de ses significations essentielles. Celles de son origine, de son histoire, des significations sociales qu'il a pris à diverses époques. Ce phénomène est connu. Ce qui l'est peut-être moins, c'est la réaction des enseignants qui découvre le processus.

S'armant, avec passion, des analyses de Verret et de Bachelard, les enseignants qui s'attellent à la tâche, remontent alors l'histoire des savoirs, dans toutes les disciplines, suivant au plus près les vœux de Bachelard d'une psychanalyse de la connaissance pour tenter de placer les enfants dans des situations d'apprentissage digne de la culture humaine. Ce labeur représente par exemple aujourd'hui un immense chantier dans certains groupes d'éducation nouvelle (GFEN, GREN). Un travail qui conduit les enseignants à opérer une transposition didactique qui les oblige d'abord à refuser le savoir à enseigner officiel comme objet d'enseignement. Qui rompt par exemple même avec le modèle didactique des sciences qui pourtant peut se référer à l'histoire des sciences. C'est que la méfiance est vive.

 

b. Vers un autre modèle de la transposition didactique

Modèle Didactique des sciences

Savoir savant

 

v

ÐTransposition externe

Savoir à enseigner

 

v

ÐTransposition interne

Savoir enseigné

 

 

 

 

 

 

 

Modèle d'enseignants organisant le travail par objectif-obstacle (GFEN)

1. Savoir à enseigner

 

v

ÐRemontée dans l'histoire du savoir ou autre objet dans les pratiques sociales.

2. Savoir avec son sens

 

v

Ð Transposition du GFEN

1ère étape

3. Repérage de l'objectif-obstacle ou d'une autre pratique sociale retrouvée

 

v

Ð Transposition du GFEN

2ème étape

4. Nouveau savoir à enseigner (sens autres) (formel)

 

v

Ð Transposition de l'enseignant

3ème étape

5. Savoir enseigné (réel)

La démarche de chacun

 

 v

Ð

6. Savoir reproblématisé entre adultes

 

c. L'élaboration de situations-impasses permettant la confrontation aux objectifs-obstacles.

Une fois l'objectif-obstacle repéré dans son histoire (ex. étalon de mesure), il s'agit de prévoir les situations d'apprentissage (les consignes, les missions, la tâche, le matériel, le mode de travail, les types d'échange, le temps nécessaire des diverses étapes, l'espace le plus approprié) pour que les élèves n'aient pas simplement accès au savoir mais se trouvent face à l'obstacle repéré et trouve la solution de produire le savoir qui lui permettra de "s'en sortir". Créer de telles situations c'est, pour l'enseignant, imaginer un environnement aussi stimulant, questionnant et contraignant que celui qui dans la société a fait qu'un jour des hommes inventent, pour dépasser certains obstacles, le principe de numération, créent l'ordre alphabétique, aient envie d'écrire des vers ou encore, fabriquent le sablier, le cadran solaire ou la montre pour mesurer un temps impalpable. Les enseignants se retrouvent alors fabricants de défis, bricoleurs de contraintes émancipatrices, créatrices, de missions justes possibles.

La construction de telles situations représente aujourd'hui un chantier désormais ouvert. Il s'agit bien de s'assurer de la rencontre des élèves avec l'obstacle auquel on veut qu'il se confronte. La pédagogie du projet est revisitée à l'aune des objectifs obstacles, situations problèmes, problèmes ouverts, démarches d'auto-socio-construction, ateliers d'écriture, cours ex cathedra reréfléchis.

 

III. De l'objectif-obstacle à la réorganisation du travail scolaire

a) Transformation des espace-temps de formation

De telles mises en situation sont le fruit d'un travail intense pour les enseignants. Aussi sont-elles créées à partir des seuls objectifs-obstacles jugés essentiels. La construction de tels dispositifs rend aussi conscients les enseignants de la durée que certaines démarches de construction de savoirs réclament : il n'est ainsi pas question de pouvoir animer ces situations, plusieurs fois dans l'année, dans les mêmes classes. Ces éléments ont poussés les écoles suivies à Genève dans cette recherche à une réorganisation de la gestion actuelle du travail. Après les premières situations créées, les équipes ont éprouvé le désir d'une organisation qui puisse reconduire régulièrement, au cours d'un même cycle d'apprentissage, les mêmes situations d'apprentissage afin de pouvoir y inscrire les élèves de tout un cycle selon les besoins estimés (expériences de Vieusseux et d'Ami-Argand). Cette manière de réfléchir de manière plus économique était nouvelle dans les écoles suivies. Le travail sur l'approche modulaire telle que l'a esquissée Philippe Perrenoud (1997a) fut un tremplin pour des idées neuves. Cette organisation modulaire semblait pouvoir cohabiter avec une organisation en groupes de base (anciens groupes classes) que l'on ne veut pas supprimer dans l'école genevoise parce la coutume est bien ancrée, mais aussi parce que le groupe-classe parait favoriser le développement d'une dynamique intellectuelle collective qui actuellement convient à tous.

 

b) Vers une organisation en groupes de base et modules

Chaque enseignant est co-responsable de la gestion des parcours de formation de la totalité des élèves faisant partie du cycle (quatre ans). Il est responsable de la gestion d'un groupe de base qu'il peut animer plusieurs années (voire tout le cycle). Il décide, avec ses collègues, de la composition de l'ensemble des groupes de base et de la répartition des enfants dans les modules.

Des séries de modules construits en commun autour des objectifs-obstacles sont régulièrement mises en place durant l'ensemble du cycle. 

 

Ex. 4 premiers mois d'un cycle de 4 ans

 

S1

 

S2

 

S3

 

S4

 

S5

 

S6

 

S7

 

S8

 

S9

 

S10

 

S11

 

S12

 

S13

 

S14

 

S15

 

S16

 

GB

 

GB

 

GB + mod math mamath.

 

math

 

GB

 

GB

 

Module langue

sciences

 

GB

 

GB + mod math.

 

math

 

GB

 

Module sciences

sciences

 

GB

 

GBl* mid

langues

.

mathe

 

GB

 

Mod

Math

Mod science

 

 

Exemple d'un horaire possible sur la semaine 3 (S3)

 

Horaires

 

Lundi

 

Mardi

 

Jeudi

 

Vendredi

 

8H-11H45

 

Gr. de base

 

Gr. de base

 

Gr. de base

 

Gr. de base

 

11h45.13H30

 

Pause de midi

 

Pause de midi

 

Pause de midi

 

Pause de midi

 

13H30 -16H

 

Module

 

Module

 

Module

 

Module

Les modules et groupe de base peuvent se répartir différemment sur les matinées et les après-midi ou se regrouper sur deux jours complets (ou plus) par semaine entière. Les temps de modules durent souvent trois semaines .Les cycles de modules sont organisés soit par disciplines soit se partagent deux disciplines ou sont interdisciplinaires. Les périodes de fins de cycles comprennent des modules comportant plusieurs disciplines permettant une individualisation encore plus grande des parcours. Entre chaque série de modules, une ou deux semaines (ou plus) sont réservées au groupe de base. Dans le but de préparer la série suivante mais aussi pour que les enfants puissent vivre par exemple des projets collectifs en groupe de base-

 

La gestion des modules

Les modules sont des lieux de construction de savoirs, savoir-faire, attitudes, ingrédients composant des compétences incontournables du cycle et réclamant un apprentissage intensif. Ils sont réfléchis en terme d'objectifs-obstacles. Ils proposent souvent des situations d'apprentissage axées sur la construction des significations sociales intrinsèques des savoirs (travail sur la structure des savoirs, des disciplines, des codes, des problématiques ; rencontre avec l'histoire des savoir, etc.).

Chaque module représente un certain nombre de situations d'apprentissage. Chaque série de trois semaines propose des modules organisés chacun à partir d'un objectif-obtacle ou un noyau d'objectifs-obstacles. .Les modules peuvent être dédoublés lors d'une même série. Ils sont reproduits au gré des besoins (un même module peut apparaître une dizaine fois au cours des quatre ans que représente pour un élève un cycle d'apprentissage alors qu'un autre peut être animé moins régulièrement faute de besoin. Les modules peuvent être de longueurs variables (deux, trois ou quatre semaines, mais les séries de modules commencent et s'achèvent ensemble. (Ex. un élève est inscrit, pour une même période, dans un module de six semaines, alors qu'un autre peut suivre deux modules de trois semaines ou trois de deux semaines)

 

L'animation dans les modules régulées par les objectifs-obstacles

Si monter un module n'est pas chose aisée, animer les cascades de situations qui s'imbriquent pour que les démarches d'apprentissage aient lieux ne l'est guère plus.

Si l'organisation des situations à été prévues en fonction d'un objectif-obstacle central et commun, l'animation de l'enseignant est au service de la rencontre avec les obstacles réels des élèves plus ou moins proches des obstacles supposés être rencontrés.

Il s'agit d'abord de faire en sorte que les enfants entrent dans la tâche. D'où l'importance à la foi d'un défi lancé au groupe et d'une première mise à la tâche presque toujours individuelle pour qu'elle permette l'engagement. L'enseignant anime ensuite les différentes étapes (situations problèmes, problèmes ouverts) en organisant les interactions et les informations utiles à l'avancée de la construction de l'objet culturel en question. Il s'agit alors, pour lui, de gérer une micro-individualisation des parcours de formation à l'intérieur du module. De permettre à chacun, dans l'intimité de sa propre recherche de tisser des liens entre ses trouvailles, son action, sa pensée et celles des autres à propos de l'objet à construire pour dépasser l'obstacle rencontré. Ce qui exige de l'enseignant, outre une bonne connaissance de l'objet culturel en question et des enfants, une exacerbation de tous ses sens et de sa réflexion pour que dans le feu de l'action, il saisisse les richesses, les erreurs capables de faire avancer l'intelligence du groupe, sources de connaissances pour chacun, provoquant les ruptures le franchissement des obstacles individuels.

Tout ceci se déroule ne l'oublions pas dans un climat de création. Donc empreint inévitablement de peurs face à l'inconnu, de blocages, de conflits de pouvoir, de résistances aux anciennes connaissances mais aussi de joies, de folies, de rires, de grandeurs et d'enthousiasme. C'est le lot inévitable et attendu de toute situation d'apprentissage qui prend l'obstacle au sérieux dans l'organisation de son travail.

 

 

L'organisation des groupes de base

Le groupe de base, de composition stable, regroupe environ vingt-cinq élèves qui se retrouvent chaque jour, dans un même lieu, avec le même enseignant.

En analysant les obstacles à faire franchir, ceux-ci se différencient : Certains exigent une véritable construction des savoirs, d'autres nécessitent une simple consolidation, de l'exercice, une intégration, la mobilisation simultanée de plusieurs ingrédients. Ce repérage invite à analyser la gestion actuelle des apprentissages dans l'école pour cibler les objectifs honorés de manière efficace par des situations d'apprentissage mises actuellement en place.

 Les groupes de base sont alors réservés aux franchissements d'obstacles différents de ceux mis en place dans les modules.

Les groupes de base sont considérés comme des lieux :

- proposant des apprentissages qui concernent des obstacles qui exigent une certaine durée pour les franchir (ex. les obstacles qui sont à franchir pour parvenir à une lecture rapide, à la maîtrise du graphisme, de l'ordinateur) ou au contraire des obstacles levés par de simples entraînements, consolidations, remédiassions ou constructions rapides.

De plus les groupes de base :

Le groupe de base fonctionne ainsi assez souvent avec une organisation en plan de travail, en ateliers, en réunions.

 

c) Une organisation du travail en équipe

La gestion collective des situations d'apprentissage montées en fonction d'objectif-obstacles permet d'établir le choix des modules en fonction des besoins des élèves estimés. Les modules peuvent ainsi, lors d'une période modulaire, grâce au travail en équipe, être dédoublés, voire triplés si nécessaire. Ils doivent, dans ce but, pouvoir être animés par l'ensemble des enseignants. Une animation multiple qui permet une régulation des situations proposées très importante.

Une telle organisation réclame de pouvoir rompre avec une certaine égalité coutumière de la charge en nombre d'élèves. Certains module doivent pouvoir accueillir plus d'élèves que d'autres. Les enseignants des trois écoles observées n'ont montré aucune résistance à cet aspect des choses. Peut-être parce les propositions de regroupement émanaient d'eux. Mais aussi parce que cette répartition correspond finalement à une logique d'apprentissage visible.

 

Des maîtres spécialistes intégrés dans les modules

Les maîtres spécialistes d'une discipline ont été intégrés dans le travail en modules.

 

Une gestion commune de l'espace et du matériel.

Chaque groupe de base a un local qui est son port d'attache. Chaque classe est divisée en différentes zones qui sont toutes à gérer de manières différentes : ateliers permanents, ateliers hebdomadaires, espace où les enfants travaillent avec leur plan de semaine, coin réunions et jeux. L'organisation de ces zones est placée sous la gestion des conseils de classe et d'école qui généralement nomme un responsable par zone au niveau des rangements. Chaque salle est utilisée aussi pour les modules, par conséquent par tous les enfants et les enseignants travaillant dans le même cycle. Les rangements de l'espace et du matériel sont donc très importants et le mobilier gagne a être solide et léger : l'articulation groupe de base et modules dans un même lieu réclame de nombreux déménagements.

Pour les enseignants ayant eu l'habitude de fonctionner seul dans leurs propres locaux, cette organisation de l'espace et du matériel est un des côtés astreignants de l'organisation. L'espace scolaire a d'ailleurs tendance dans une optique modulaire à s'agrandir (les couloirs sont plus facilement occupés) et des locaux supplémentaires sont évidemment à envisager. Il serait intéressant de penser plus à fond l'organisation de l'espace scolaire dans une optique modulaire.

 

La gestion du temps

La gestion du temps du groupe de base se trouve sous la responsabilité de chaque enseignante et de ses élèves alors que celle des modules est sous le contrôle de l'équipe d'enseignants qui négocie et décide des périodes de modules, de leurs successions et articulations, de leurs durées. Le flux des élèves d'un module à l'autre ne peut être prévu longtemps à l'avance : l'individualisation des parcours que cette organisation cherche à mettre en place exige de conserver cette souplesse.

Dans les modules, le temps des diverses étapes est planifié par les enseignants qui ont préparé collectivement la démarche. Le tempo des démarches est minutieusement prévu aussi : outre les étapes exigées par la construction des savoirs sont réfléchis les étapes de centration et décentrations ; les temps d'affinement et de synthèses ; les moments de respiration et de tensions.

 

La gestion de la progression

La régulation des parcours s'inscrit dans une "gestion à flux tendu" c'est à dire que "les régulations se font en fonction des objectifs-obstacles à court et long terme, dans une tension entre le temps qui passe et les obstacles plus ou moins inattendus qui déjouent la programmation la plus réaliste".(Perrenoud, 1997).

La clarification des objectifs-obstacles et le travail en modules (plusieurs regards) permet d'envisager une observation formative de l'avancée des élèves favorisant des prises d'information plus riches. Chaque enfant possède un Journal de bord qui témoigne de son avancée dans son parcours par rapport aux objectifs-ostacles ciblés. Il contient aussi les inscriptions aux modules, un porte-document contenant les plans de travail hebdomadaires et des documents tests. Cet outil visibilise les acquis, le cheminement effectué et à effectuer. Il est utilisé par les enseignants pour l'orientation des élèves vers les dispositifs (dans les modules ou dans les groupes de base) les mieux adaptés à leurs parcours. Ce carnet de bord permet aussi aux élèves de faire l'apprentissage d'une observation formatrice de l'organisation de leur parcours. Il est enfin un moyen d'informations pour les parents à ce propos.

 

Conclusion

Penser en terme d'objectif-obstacle c'est mettre l'organisation du travail scolaire au service d'une réforme permanente de l'esprit. Nous avons vu que cette manière de penser la formation a une influence directe sur l'organisation du travail. Vice-versa, l' organisation en modules semble pouvoir mieux servir une formation pensée en terme d'objectifs-obstacles. En effet les situations proposées aux enfants sont, par l'organisation du travail en équipe, mieux pensées et mieux servies. Elles sont aussi plus "rentables" puisque mises à leur service plusieurs fois par an.

Dans la ligne de la pensée bachelardienne, le terme d'objectif-obstacle exige encore des enseignants une attention passionnée à la formation des concepts et des conceptions. Parce que les enseignants sont très seuls pour organiser le travail scolaire à partir des objectifs-obstacles.

Cette entrée poussant à s'intéresser aux concepts est-elle aujourd'hui la bonne quand les "programmes d'objectifs" sont libellés en terme de compétences? J'aurais tendance aujourd'hui à répondre oui. D'une part parce qu'elle oblige à ne point négliger les concepts qui valent le coup et qui, s'ils sont bien construits, se transforment dans l'action en compétence. D'autre part, parce que se préoccuper en tant qu'enseignant des objectifs-obstacles semble ne pas pouvoir être une préoccupation sérieuse en dehors de mises en situation socio-contructivistes qui, elles-mêmes, sont porteuses de la construction de compétences transversales essentielles mise au programme des écoles primaires aujourd'hui. Pour tester mon hypothèse je prendrai ici le programme de formation de l'éducation pré. scolaire et de l'enseignement primaire du Canada qui cible neuf compétences essentielles regroupées en quatre ordres :

Les compétences d'ordre intellectuel : exploiter l'information, résoudre des problèmes (nous pouvons insister de plus sur poser les problème, problématiser), avoir un jugement critique, mettre en œuvre sa pensée créatrice..

Les compétences d'ordre méthodologiques : se donner des méthodes de travail, exploiter les technologies de la formation et de la communication.

Les compétences d'ordre personnels et social : structurer son identité, coopérer.

La compétence de l'ordre de la communication : communiquer de façon appropriée.

Toutes ces compétences risquent de s'exercer dans les situations créées pour permettre aux enfants de se confronter à des obstacles conceptuels de hauts niveaux.

De quelques difficultés repérées.

 

a) La perception de l'obstacle.

L'idée d'obstacle se heurte au sens commun pédagogique. L'enseignant le voit encore souvent comme une sorte d'ignorance alors qu'il est une connaissance positive qui fonctionne comme outil avant de devenir obstacle pour agir et penser. Le sens commun place aussi souvent l'obstacle comme étant devant soi, face à soi, comme un obstacle extérieur. Or, l'obstacle dans l'apprentissage est intérieur. Il n'est pas à voir comme tare particulière quand il se manifeste comme erreur pour l'enseignant, mais à reconnaître comme normal.

b) L'appréhension par l'institution de l'idée d'objectif-obstacle est encore brouillonnante.

Les institutions scolaires et la noosphère n'ont pas pris, à l'heure actuelle, l'objectif-obstacle comme objectif premier (à vérifier néanmoins!). Probablement parce qu'elles se heurtent, elles aussi au sens commun de l'obstacle et de la rupture.

Les enseignants ou équipe d'enseignants sont aussi freinées aujourd'hui dans cette approche par un distracteur de taille : la définition d'un programme scolaire libellé en termes d'objectifs et contenus à atteindre en un an qui hantent au moins les mémoires si ce n'est les classeurs de référence. L'organisation traditionnelle du travail de l'enseignant fait alors écran à toute conception plus globale et complexe de la culture scolaire pouvant faire naître le besoin d'une autre organisation du travail.

Devoir organiser leur travail à partir d'objectifs-obstacles quand les libellés des curricula sont rédigés à partir d'une autre logique ne simplifie pas le travail des enseignants. Qu'ils soient d'ailleurs présentés sous la forme d' objectifs-noyaux, de matrices disciplinaires ou compétences-clés.

La tâche de repérage des objectifs-obstacles dépend ainsi aujourd'hui plus d'une passsion personnelle des enseignants ou de groupe militant (comme le Gfen par exemple) pour l'aventure humaine que d'une organisation rationnelle du travail scolaire. On ne peut ainsi mesurer aujourd'hui que les espoirs envisagés par des programmes scolaires conçus à partir d'objectifs-obstacles.

Ces espoirs-hypothèses sont les suivants :

Organiser le travail scolaire à partir et autour d' objectifs-obstacles peut :

Etat au 27 novembre à 15h30!

 

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