Université de Genève
Faculté de psychologie et des sciences de
l'éducation
Novembre 2001 [ 1 ]
1. Préoccupation de bas étage ou compétence de haut niveau ?
1.1. Du côté de la recherche : boîte noire ou boîte de Pandore ?1.2. Du côté de la formation : l'objet de tous et de personne
2. La transposition didactique a une histoire
2.1. Une étude de cas : " Leuk-le-lièvre "2.2. Transposition et scolarisation des savoirs
2.3. La mécanique de l'enseignement : pédagogie et technologies
3. La planification redistribuée
3.1. Désordres et réorganisation dans l'institution3.2. Structures objectives, structures subjectives et travail enseignant
3.3. De la technologie à l'ingénierie : (re)distribution des compétences
>> Références bibliographiques.
[Mes enseignants] sont les cerveaux les plus solides de la capitale. Aucun deux na une seule idée personnelle et si le cas venait à se présenter, je chasserais aussitôt ladite pensée ou son penseur. Ce sont des imbéciles tout à fait inoffensifs, ils nenseignent que ce quil y a dans les programmes.
Le Directeur de lécole (Ferdyduke, Witold Gombrowicz, 1937)
Le métier d'enseignant est un métier complexe. La diversité des élèves et des situations pédagogiques obligent souvent le maître à des ajustements opérés dans l'urgence (Perrenoud, 1996). Mais la pratique n'est pas limitée au " feu de l'action ". Elle est aussi pensée a priori et a posteriori, elle est projetée, organisée, planifiée. L'espace de la classe et de l'école est aménagé. Le temps court (journée, semaine) et le temps long (année, cycle) sont ponctués, rythmés, structurés. Lenseignant qui va agir projette son action, mais aussi les réactions des élèves auxquelles il devra à son tour réagir. Il dessine des plans plus ou moins détaillés qui lui serviront de repères pour entamer le travail et pour lajuster en cours de route.
Ce travail seffectue partiellement en présence des élèves, au gré des événements qui entraînent des décisions ponctuelles. Mais il sétend en aval et en amont de la pratique in vivo. Sur son vélo, dans le métro, sous sa douche, à son bureau, devant son ordinateur, à table, durant ses soirées, ses week-ends et ses vacances, linstituteur exerce (aussi) son métier, il mobilise (aussi) des compétences, il organise et il planifie (aussi) les apprentissages de ses élèves.
On sait bien que linstitution scolaire a sa part dans ce travail de planification, et quelle édite des programmes, des plans détudes, des moyens denseignement, des dispositions réglementaires et des consignes dévaluation qui structurent une bonne partie du curriculum. Mais on sait aussi que les enseignants ont ou prennent des libertés, et quils ne font pas tous le même usage des ressources et des contraintes institutionnelles. Cest parce que cette marge de manuvre a toujours existé, et que les innovations curriculaires postulent des enseignants créatifs (Weiss, 1997, 1999) que la question se pose plus que jamais : comment les maîtres et les maîtresses assument-ils linterface entre le curriculum qui leur est formellement prescrit, et le curriculum dans lequel ils inscrivent réellement leurs élèves (Perrenoud, 1994) ? Comment sy prennent-ils pour organiser et planifier le travail des élèves et, en même temps, leur propre travail ?
Nous pourrions répondre en nous intéressant tout de suite aux pratiques les plus novatrices et/ou les plus " recommandables " du point de vue de la recherche en éducation. Des équipes pédagogiques et des enseignants plus isolés ont en effet relevé le défi de la créativité, et ont imaginé des manières intéressantes dorganiser et de planifier le travail. Mais nous avons fait cet exercice dans dautres publications (Vellas, 2000 ; Maulini & Vellas, 2001), et nous adopterons ici une autre posture. Si le travail dorganisation et de planification peut faire lobjet de suggestions, on ne peut pourtant pas ly réduire. Et cest précisément parce que les enseignants prennent une part de plus en plus active dans ce travail, quil est nécessaire de mieux comprendre comment ils opèrent, conformément ou non aux injonctions de la " noosphère ". Ce qui va donc nous intéresser ici, ce ne sont pas les " bonnes " ou les " mauvaises " pratiques de planification, mais les bonnes ou les mauvaises raisons de sintéresser à ces pratiques.
Lorganisation et la planification du travail scolaires ne sont pas des problèmes nouveaux. Ce qui est nouveau, cest la division du travail dorganisation et du travail de planification. Nous jugeons que les enseignants doivent, de plus en plus et de mieux en mieux, supporter des charges et résoudre des dilemmes jadis assumés par linstitution. Nous pensons que cette nouvelle répartition débouche sur de nouveaux enjeux, enjeux pédagogiques mais aussi scientifiques. Nous estimons en effet que le déplacement des responsabilités exige, de la part des enseignants, un travail de planification de plus en plus complexe, et nous pensons que ce travail, avant dêtre prescrit, mérite dêtre mieux connu. Comment, à larticulation du curriculum formel et du curriculum réel, les enseignants sapproprient-ils les intentions programmatiques avant de les incarner en situation ? Quel travail effectuent-ils ? Comment pensent-ils et comment décident-ils ? Quelles ressources et quels outils utilisent-ils ? Quelles compétences mobilisent-ils ? Il y a là des questions qui sinscrivent dans un domaine de recherche à développer : létude du travail et de la pensée professionnelle des enseignants (Tardif & Lessard, 1999 ; Perrenoud, 2001a).
Nous essaierons de défendre ce point de vue en reprenant ce raisonnement dans lautre sens. Nous montrerons dabord que le travail de planification est une partie importante du travail dorganisation, mais quil est mal connu parce que ni la recherche ni la formation des enseignants nen ont fait jusquici un enjeu principal (1. Préoccupation de bas étage ou compétence de haut niveau ?). Nous ferons ensuite le détour par les pratiques et les techniques anciennes, pour y chercher les premières traces de ce " chaînon manquant " de la transposition didactique (2. La transposition didactique a une histoire). Et nous terminerons en identifiant quelques uns des enjeux contemporains, à la charnière du travail enseignant et de la division du travail dans lenseignement (3. La planification redistribuée).
Quelles que soient ses facultés d'improvisation, l'enseignant doit effectuer des choix en matière d'organisation de lespace et du temps scolaires. Ces choix ne sont pas anodins : ils sont tributaires de contraintes institutionnelles, mais ils sont aussi solidaires d'une conception personnelle de l'apprentissage, du savoir, de la transposition didactique, de l'ordre, du pouvoir, etc. Ils ont donc un impact considérable sur le climat de la classe, la dynamique des interactions, la participation des élèves, leur mobilisation dans les activités. A ce titre, ils sont en lien direct avec deux des soucis majeurs des (jeunes) enseignants : la " discipline " et la " motivation " du groupe-classe.
Ce nest pas le moindre des paradoxes : si cette problématique préoccupe les futurs enseignants, elle est marginale dans la plupart des plans de formation et la recherche en sciences de léducation. La question est moins de sen plaindre ou de sen féliciter, que davancer quelques hypothèses explicatives qui permettront de contextualiser notre propos. Les quatre premières hypothèses nous mèneront du terrain aux experts, et montreront pourquoi et comment la recherche entretient un rapport particulier aux pratiques dorganisation et de planification. Nous nous déplacerons ensuite de la recherche vers la formation, là où dautres obstacles peuvent apparaître, mais où le désir de les dépasser peut aussi devenir plus vif. Si luniversité veut former de futurs professionnels, elle peut le faire à partir des savoirs existants, mais elle peut aussi sinspirer des préoccupations du terrain pour construire de nouvelles questions et initier de nouvelles recherches. Nous verrons que lorganisation et la planification du travail scolaires sont un bon exemple de ces objets émergents.
La recherche nignore évidemment pas lexistence des programmes scolaires. La sociologie du curriculum et la didactique ont contribué à la compréhension et à la conceptualisation des processus de transposition et de scolarisation des savoirs et des pratiques. Et elles ont souligné limportance de lenseignant dans la chaîne menant des intentions de linstitution (curriculum formel) aux apprentissages des élèves (curriculum réel). Mais si lon admet que le maître joue un rôle essentiel dans la chaîne, sa part de travail reste encore à explorer. Ses manières de faire et ses manières de penser sont au fond dune boîte noire à peine entrouverte. Comment lexpliquer ? Nous pouvons avancer quatre hypothèses au moins.
Disons pour commencer que la rigidité des anciens programmes scolaires et certaines dérives technicistes de la pédagogie par objectifs ont peut-être transformé lorganisation et la planification pédagogiques en objets tabous, en pratiques douteuses, presque honteuses. Dans lun des rares textes de synthèse disponibles, Marguerite Altet (1993) sinspire de Tochon (1989) pour se demander sil nest pas paradoxal de prévoir et de planifier une situation pédagogique. Linteraction didactique impliquant limprévu et ladaptation permanente aux événements, comment pourrait-on lanticiper sans la dénaturer ? La magie de la rencontre, du bricolage et de linvention didactiques saccommoderaient fort mal dune structuration initiale forcément austère, préférant lordre à la créativité, la sécurité à la liberté, lenfermement à louverture. La pente menant du travail anticipé au travail figé étant décidément trop raide, le principe de précaution commanderait une seule stratégie : limprovisation. Fixer des étapes qui senchaînent les unes aux autres, ce serait prendre le risque daligner les leçons et les activités comme des noix sur un bâton, et subordonner la logique de lapprentissage à celle de lenseignement. Comment ne pas avoir mauvaise conscience au moment où la pédagogie différenciée propose de mettre les élèves " au centre " ?
Les conceptions contemporaines du savoir et de lapprentissage viennent confirmer - deuxième hypothèse &endash; le besoin de souplesse. On sait dabord que la connaissance se présente moins sous la forme dun texte rectiligne que de réseaux et de trames conceptuelles. On sait aussi que lesprit humain nest pas une bande magnétique enregistrant un flot continu dinformations. Le travail de transmission doit bien se dérouler dans le temps, sur un axe linéaire, mais il doit déboucher sur une construction en deux, trois ou " n " dimensions. Matrices conceptuelles, réseaux sémantiques, arbres de connaissance, déséquilibres cognitifs, boucles de régulation : autant dinvitations à la pensée et à laction systémiques. Lapprentissage étant lobjet dune multitude de ruptures, de traversées, dallers-retours et de pas de côté, la prudence commanderait là encore dassumer la complexité plutôt que de la réduire au moyen dun scénario figé et artificiel.
Troisièmement, le travail des enseignants nest intéressant que lorsquil est appréhendé à son juste niveau. Certains gestes sont essentiels, et dautres sont triviaux. Le noyau dur de laction pédagogique, ce nest pas le moment où le maître efface le tableau noir ou taille ses crayons, mais celui où il interagit avec ses élèves en leur donnant des consignes, en leur posant des questions, en leur proposant des solutions. Même si elle admet que le temps long conditionne le temps court, la recherche en éducation étudie dabord des situations ponctuelles. Les didactiques sintéressent aux séquences du même nom ; les approches transversales aux situations éducatives complexes. Le travail de préparation qui vient en amont demeure souvent dans lombre, et pas seulement parce quil seffectue hors temps et (parfois) hors espace scolaire. Car il ny a, au bout du compte, que deux solutions. Soit le maître sen tient rigoureusement aux textes, instructions et moyens denseignement officiels, auquel cas son propre travail de préparation est simple et évident, aussi décisif que la taille des crayons. Soit, il sen éloigne, auquel cas il perd en crédit ce quil gagne en complexité. Comment demander à la recherche de sintéresser au travail des enseignants si ce travail consiste à saffranchir des plans détudes et des manuels que les experts ont eux-mêmes conçus ou inspirés ?
On sait que les chercheurs siègent dans les groupes chargés de produire et de diffuser les ressources documentaires à destination des maîtres. On sait aussi quils conduisent des études portant à la fois sur ces produits et sur le processus de fabrication. Mais ces analyses, aussi pertinentes quelles soient, sopèrent souvent à distance des pratiques enseignantes, bien en amont de la planification " en acte ". Analyser les derniers maillons de la transposition didactique, cest donc prendre le risque de confronter les intentions des concepteurs aux pratiques des utilisateurs. Cette quatrième hypothèse est un peu provocatrice, mais elle montre bien lenjeu de ce qui pourrait devenir un nouvel objet et un nouveau projet de recherche : mieux comprendre la manière dont les enseignants organisent et planifient le travail scolaire, cest mieux comprendre leur rapport aux textes officiels, aux conseils des spécialistes et aux injonctions de lautorité. Cest donc, nécessairement, interroger la fiction sur laquelle continuent de reposer bien des tentatives dinnovation : la transformation de lécole via la modification des plans détudes et des dispositions réglementaires.
Produire de bonnes idées, des textes clairs et cohérents, des programmes détudes étayés par les travaux scientifiques les plus pointus est souvent considéré comme la condition nécessaire et suffisante pour entraîner ladhésion du corps enseignant. Rationalité scientifique et rationalité bureaucratique convergent alors pour justifier une vision descendante du changement dont Hameline (1986, p.120) a par exemple dénoncé les nuisances :
De vastes plans de rénovations didactiques ( ) ont été ( ) présentés aux enseignants comme les vérités de référence dune pédagogie enfin adaptée à son objet. Mais la troupe ne suit pas toujours. A la révérence aux anciens clercs qui régentaient par mandat dune autorité traditionnelle reconnue, tend à se substituer la révérence aux nouveaux clercs. Ces derniers, appuyant leur prestige sur le caractère scientifique des recherches pédagogiques entreprises, régentent à leur tour le peuple enseignant, non sans parfois quelque suffisance imitée des clercs qui les ont précédés. La réticence silencieuse et larvée que provoquait le cléricalisme conservateur des premiers risque bien de se réveiller face aux opérations de rénovation impulsées technocratiquement den haut par les seconds.
Les effets obtenus par ces " plans de rénovations impulsés den haut " sont en général très inférieurs aux effets escomptés, mais un observateur cynique y verra autant davantages que dinconvénients. Les maîtres incompris ont beau jeu de dénoncer la naïveté des spécialistes, trop isolés dans leur " tour divoire " pour avancer des propositions " utilisables sur le terrain ". Et ils sattirent les foudres de ceux qui leur reprochent de résister aux innovations les plus raisonnées et les plus raisonnables. Si les pratiques de planification didactique sont mal connues, cest peut-être que tout le monde y trouve finalement son compte. Pourquoi ouvrir la boîte noire si cest une boîte de Pandore ?
Sil fallait résumer, on pourrait donc expliquer la discrétion de la recherche à partir de quatre points de vue. Primo, les élèves : comment tenir compte de leur diversité et de leurs initiatives si lon enferme lenseignement dans des plans trop rigides ? Secundo, les objectifs dapprentissage : comment construire des trames conceptuelles et des compétences-noyaux sur un seul axe temporel ? Tertio, le travail du maître : pourquoi sintéresser à la préparation si lessentiel se joue dans linteraction ? Quarto, le travail des chercheurs eux-mêmes : comment simpliquer à la fois dans lélaboration des textes officiels (programmes, manuels, etc.) et dans les recherches qui en montrent les limites ? Les préventions forment donc un imbroglio scientifique et politique particulièrement difficile à dénouer. Il faut pourtant y ajouter dautres obstacles, en provenance de la formation.
Pour lenseignant généraliste, la planification est un enjeu pédagogique : elle se situe à lintersection des approches disciplinaires (enseignement du français, des mathématiques, de lhistoire, de la musique, etc.) et transversales (gestion de la classe, discipline, évaluation, etc.). Chacune des disciplines scolaires possède certes sa propre logique et ses propres contraintes (entrée didactique). Mais lenseignant primaire doit les faire cohabiter, ou même les associer, dans une gestion de classe à visée inter-, pluri- ou transdisciplinaire (entrée transversale). Or, comme souvent, appartenir à tout le monde, cest nappartenir à personne.
Lorsque le curriculum de formation opère une franche dichotomie entre approches transversales et approches didactiques, il court le risque de laisser la problématique de la planification dans une espèce de " zone tampon " ne relevant daucune juridiction. Les spécialistes des disciplines peuvent y voir une compétence typiquement transversale, et réciproquement. Si personne ne prend le risque dempiéter sur les prérogatives du voisin, les gestes professionnels décisifs, ceux qui sont précisément au carrefour des différentes approches scientifiques, seront laissés en friche par excès de politesse ou par gain de paix. Le problème sera dautant moins identifié que les deux parties peuvent le renvoyer à un troisième groupe dacteurs : les formateurs de terrain. Si un objet est si difficile à manier à luniversité, nest-ce pas la preuve quil relève avant tout des spécialistes de la pratique : les professionnels eux-mêmes ?
Largument est séduisant. Luniversité ne sachant et ne pouvant pas tout faire, pourquoi ne pas reconnaître leur expertise aux " gens du terrain " en leur déléguant certaines facettes de la formation ? Mais lobjection est double. Premièrement, larticulation théorie-pratique implique une division du travail qui nest pas une division des objets travaillés, mais une coopération autour dobjets communs. De la leçon dallemand à la surveillance des récréations, toutes les situations professionnelles peuvent être abordées à la fois à luniversité et sur le terrain, dans une alternance qui peut croiser les logiques plutôt que les juxtaposer. Deuxièmement, les enseignants expérimentés nont pas forcément les moyens quon leur soupçonne. Un stage de quelques semaines oblige létudiant à simmerger dans un groupe délèves et dans un système pédagogique qui était là avant lui, et qui sera encore là après son départ. Il va " gérer " la classe en sappropriant une organisation " déjà là ", en prolongeant des activités déjà entamées, en abordant telle ou telle partie dun programme déjà planifié. Il pourra voir et éventuellement comprendre une organisation existante. Il se demandera avec dautant plus dinquiétude comment sy prendre pour la faire à son tour exister.
Le formateur de terrain ne peut-il pas le lui expliquer ? Ne peut-il pas montrer comment il a procédé, comment il a pensé et comment il a travaillé pour créer un ordre plutôt que le chaos ? Cest bien ici le nud du débat. Comment transmettre une compétence professionnelle dautant plus essentielle quelle est invisible ? Premier obstacle : lurgence. Le stage est court, chaque minute amène un problème à résoudre et les thèmes qui peuvent attendre attendront. Deuxièmement, lhumilité. Une compétence que personne na valorisée est considérée par lenseignant comme une " manière de faire ", une habileté de peu de valeur, difficile à justifier et difficile à conseiller. Troisièmement, loubli. Lorganisation dune classe ne naît pas du jour au lendemain, elle est le résultat dune longue expérience qui est si bien sédimentée, si bien cachée dans les plis de lhabitus et de linconscient pratique quelle devient inaccessible pour le sujet lui-même. Pourquoi travailler telle notion avant telle autre ? Comment décider de passer dun chapitre au suivant ? Quels détours et quels raccourcis emprunter ? Quand attendre, et quand avancer ? Autant de questions auxquelles le maître répond de facto tous les jours. Mais autant de questions qui laissent létudiant démuni tant que la pensée de lexpert nest pas explicitée.
Inaccessible aux chercheurs (qui le connaissent mal) et aux praticiens (qui le connaissent trop bien), le travail dorganisation et de planification est une espèce de " patate chaude " qui passe ainsi de main en main jusquà ce que les étudiants tirent eux-mêmes la sonnette dalarme. Est-ce langoisse des commencements ? Ou est-ce un signe de lucidité ? Les deux peut-être. Toujours est-il que les novices revendiquent une formation spécifique dès linstant où ils comprennent que la vie dune classe ou dun cycle ne se résume jamais à une succession de séquences didactiques. Organiser lenseignement, les apprentissages et leur progression, voilà un souci de débutant auquel ni les chercheurs, ni les enseignants expérimentés ne parviennent véritablement à répondre. Cest peut-être quil ny a rien à en dire. Mais cest peut-être aussi que les mots nous manquent, et que nous pourrions les inventer à condition dengager scientifiques et praticiens dans une recherche commune. Notre hypothèse, cest que la planification nest pas un enjeu trivial, une " préoccupation de bas étage " réservée aux praticiens, mais une compétence de haut niveau qui mobilise des conceptions, des savoirs, des manières de faire et de raisonner, des instruments et des technologies plus ou moins sophistiquées. Nous aimerions éprouver cette hypothèse en remontant aux sources dune telle compétence. Comment les maîtres de nos maîtres ont-ils pensé, à leur époque, lorganisation et la planification du travail scolaire ? Comment ont-ils institué les premiers chaînons de transposition didactique ? Tentons de construire un modèle épuré de la planification du travail, et nous verrons ensuite comment se distribue et se redistribue le travail de planification.
Remonter dans le temps de la transmission culturelle permet de constater que les problèmes liés à la transposition didactique sont nés du souci dalléger des savoirs jugés trop " gros " pour être transmis tels quels (Chevallard, 1986, p.33). Tant que le contenu de l'enseignement a été présenté aux apprenants dans sa globalité, sans être calibré, l'organisation du travail et la planification de la transmission ont été réduits au minimum. Comme l'enfant qui apprend les danses traditionnelles en les dansant avec sa communauté, l'enfant a appris longtemps à déchiffrer en lisant la même bible que l'érudit. Ce système d'enseignement mêlait indistinctement le novice qui amorçait par là ses études, et l'étudiant âgé qui, ayant parcouru une fois déjà le cycle des savoirs enseignés, recommençait le parcours avec des intérêts plus ou moins nouveaux. L'objet de savoir (la danse, la bible), n'était alors pas découpé pour l'apprenant. Celui-ci se greffait ou s'accrochait, comme il le pouvait, à cette uvre sacrée présentée de manière cyclique, dans sa globalité. Il pouvait, après une longue absence, revenir en tout temps suivre le même cycle denseignement pour y entreprendre un nouveau parcours (Ariès, 1973).
Ce mode d'étude, privilégié jusqu'au Moyen Age, est apparu de moins en moins efficient compte tenu des exigences de formation à un public de plus en plus large. Jugée peu économe en temps, trop répétitive et trop imprécise, cette manière de faire a été abandonnée petit à petit dans nos sociétés occidentales, au profit dune coutume didactique nouvelle et dun découpage systématique du temps. Dans lécole moderne, ce que lenseignant propose aux élèves doit pouvoir être appris immédiatement et mesuré sans faille. Plus question de venir rejoindre, à sa convenance ou selon son intérêt, le cycle d'apprentissage en boucle. Cette transformation des exigences temporelles a entraîné une organisation rigoureuse des contenus et de leur progression, et les critiques qui vont avec.
Cette rigueur rationalisante a été dénoncée parce quelle suppose une décontextualisation des savoirs, un oubli de leur histoire, des questions, des problèmes et des circonstances qui les ont fait naître et évoluer jusqu'à leur inscription dans les programmes. Mais pour Chevallard (1985, p.45), la transposition didactique nest ni bonne ni mauvaise. Elle est inhérente au projet didactique, cest-à-dire au projet denseigner une pratique ou un savoir déterminé à des élèves supposés en tirer profit. Lenjeu nest donc pas de revendiquer ou de refuser la mise en texte, mais de cultiver la " vigilance épistémologique " (ibid., p.41) qui permet de vérifier, en tout temps, ladéquation des objets enseignés au projet pédagogique qui doit les justifier. Cest précisément ce type de vigilance qui entraîne de nombreux systèmes éducatifs à repenser aujourd'hui, dune part les objectifs généraux de lenseignement, dautre part leur organisation curriculaire, et enfin le degré de liberté et de responsabilité à confier, dans ce domaine, aux enseignants. Voyons comment nous sommes passés, au cours des dernières décennies, dune logique à une autre. Et faisons, pour cela, un détour par la décolonisation.
Lorsquils veut promouvoir et faciliter lenseignement du français dans les écoles dAfrique noire, Léopold Sédar Senghor élabore un manuel en même temps quune méthode (Senghor & Sadji, 1953). Cest-à-dire quil fond dans un seul ouvrage, simple à manipuler, à produire et à diffuser, les activités destinées aux élèves et les recommandations didactiques utiles au maître. " La belle histoire de Leuk-le-lièvre " nest pas un simple récit, mais un " cours élémentaire " de langue française, un feuilleton littéraire servant de support et de prétexte à une succession dexercices de lecture, délocution, de vocabulaire, dorthographe, de grammaire, de conjugaison.
Loutil pédagogique est livré, dune certaine façon, " clés en main ". Il est composé de 84 textes de lecture, qui sont autant dépisodes des aventures de Leuk-le-lièvre. Dans la préface qui lui est destinée, lenseignant apprend que chacun des épisodes, présenté sur une double page, doit servir pour deux journées de classe, soit quatre séances de lecture. Ces " séquences didactiques " (si lon admet lanachronisme) doivent respecter un canevas récurrent. La première journée est consacrée à lentraînement de la prononciation et à la découverte du texte. La seconde à une relecture dite courante et à des exercices oraux ou écrits. Tous les huit jours, le chapitre se termine par une récitation qui permet dévaluer lécriture en même temps que lorthographe des élèves.
Une telle structuration des savoirs et du travail scolaires nest pas marginale. En pleine décolonisation, Senghor et, avec lui, les systèmes éducatifs africains adoptent une stratégie valable dans beaucoup dautres domaines : ils sinspirent des modèles européens, en essayant de les adapter à leurs propres besoins. En loccurrence, le " transfert de technologie " aboutit à la production dun manuel qui met en scène un héros indigène, mais dans un scénario didactique bien connu des instituteurs de la métropole : le " texte du savoir " est rédigé par lautorité centrale ; les " acteurs " bénéficient, au moins formellement, dune faible liberté dinterprétation ; ils sont les serviteurs zélés de linstitution, ses relais, ses porte-voix chargés de propager le catéchisme républicain (Ozouf, 1973). Les questions essentielles, les choix les plus délicats, les compétences les plus pointues ne relèvent pas de la base, mais du sommet de lorganisation. Exemple : la progression dans les apprentissages est vue comme le passage du simple au complexe, du particulier au général. Cet enjeu didactique est en quelque sorte délégué au scénario du manuel, donc aux scénaristes qui, dans la noosphère ou la technosphère, pensent pour lensemble du système. Létude du vocabulaire, pour ne citer quelle, se modifie insensiblement de chapitre en chapitre. Lélève ne sen est peut-être pas aperçu, et le maître non plus, mais les explications sont devenues [progressivement] plus générales. Cest le passage dun texte à lautre qui établit cette subtile gradation.
Dans la préface de " Leuk-le-lièvre ", lenseignant reçoit moins des suggestions que des directives. On lui reconnaît certes une part de libre-arbitre et de responsabilité lorsquon admet que le Maître est seul juge de lopportunité daccorder à la lecture plus ou moins de temps quaux exercices ou quil peut prendre linitiative de certains exercices annexes (mimique, dessin, etc.) (p.5). Mais ces deux concessions mettent en évidence la logique descendante qui prévaut pour lessentiel. Le contenu des récits, la progression dans le livre, la structuration des exercices, la succession des séquences, lorganisation du temps, la hiérarchisation des savoirs, la fréquence de lévaluation, tout échappe au contrôle de lenseignant. Bien entendu, ce dernier peut faire léconomie, même si cela ne lui est pas conseillé, de tel ou tel exercice. Mais il est soumis à deux contraintes majeures. Dabord, la consigne et le contrôle institutionnels sont clairs : à raison dune séquence tous les deux jours, la classe devra avoir étudié lensemble du manuel à la fin de lannée. Ensuite, la formule du feuilleton découle peut-être dun souci officiel de ne pas confronter les élèves à un récit en pièces détachées (p.4), mais on peut faire lhypothèse quelle dissuade officieusement le maître daborder les séquences dans le désordre.
A sa façon, " Leuk-le-lièvre " réalise à lui seul la triple ambition de Comenius. Dans son esquisse dune " école pansophique ", une école de sagesse où lon cesserait de jouer à la culture pour soccuper des choses essentielles à la vie humaine, le philosophe morave ne se contente pas de disserter sur léducation telle quelle est et telle quelle pourrait être. Il propose un modèle pédagogique et une organisation scolaire qui doivent sappuyer, de manière cohérente, sur trois moyens complémentaires : premièrement, des livres élémentaires, accessibles au plus grand nombre et facilitant laccès aux livres dhommes et aux livres divins ; deuxièmement, des guides compétents, des savants capables dallumer les lumières de la connaissance ; troisièmement, une méthode universelle, facile et agréable, conçue et mise en uvre de manière absolument claire, levant un à un les obstacles posés en travers de lapprentissage.
Cest cette dernière intention qui fonde, pour lessentiel, le projet pédagogique développé dans la " Grande Didactique " : organiser les savoirs humains de façon tellement logique et harmonieuse que leur appropriation par les élèves devienne une simple formalité. On pourrait sourire, à une époque où les chercheurs et les enseignants privilégient les objectifs-obstacles, la résolution de problèmes et les conflits sociocognitifs, dune utopie éducative qui prétendait épargner tout tâtonnement aussi bien au maître quà lélève. Ce serait sous-estimer le caractère novateur, voire iconoclaste, dune pensée orientée, un siècle avant les Lumières, vers ce quon appellerait aujourdhui la démocratisation des études. Ce serait surtout ignorer deux phénomènes qui traversent les pratiques contemporaines : 1. La persistance dune logique de " déproblématisation " des savoirs, passant du simple au complexe dans une progression systématique, palier par palier, prérequis par prérequis. 2. La tension constitutive de toute stratégie didactique qui, même lorsquelle privilégie les activités porteuses de sens, les situations complexes et les compétences de haut niveau, est condamnée à les aménager afin de les rendre accessibles aux élèves.
Lorsquelle se saisit dun savoir ou dune pratique sociale, linstitution scolaire lui fait subir une série de transformations dont Comenius eut lintuition, et dont le manuel de Senghor fournit un archétype. Un savoir ou une pratique enseignables sont, dans nos écoles en tout cas, un savoir ou une pratique dûment transposés. Ce qui signifie quils sont à la fois : découpés dans un continuum de savoirs et de pratiques ; détachés des personnes et des groupes humains qui les produisent et les incarnent ; (ré)organisés de manière à faciliter leur transmission aux élèves. Ce triple processus de désyncrétisation (par délimitation dun champ particulier), de dépersonnalisation (par objectivation du savoir) et de programmation (par découpage et mise en texte) est caractéristique de la tradition scolaire de standardisation, de disciplinarisation, bref de bureaucratisation ou de scolarisation des savoirs (Verret, 1975, p.146-147 ; Bain, 1994).
La logique bureaucratique nest pas propre à la transposition didactique. Pour être exact, il faut plutôt inverser le raisonnement, et rapporter la problématique du traitement et de la transmission des savoirs au projet et au fonctionnement de lensemble du système scolaire. Si lécole a adopté mais aussi revendiqué une rationalité bureaucratique, cest au nom de lefficacité, mais aussi de la justice et de limpartialité démocratiques. La construction pyramidale devait garantir lhomogénéité et la stabilité du système, son adhésion aux thèses et au projets de lautorité politique, son indépendance vis-à-vis des coutumes et des attentes régionales ou locales. En matière dorganisation et de diffusion des savoirs, les conceptions de lapprentissage venaient en renfort de cet ordre républicain. Les connaissances utiles à tous devaient être identifiées puis organisées par des experts (savants et/ou inspecteurs des écoles), introduites dans des programmes détudes et des manuels scolaires, puis diffusées dans chaque école afin dêtre enseignées. Les savoirs étant présentés unité par unité, pièce par pièce. Ils pouvaient se transmettre lun après lautre, dabord des autorités aux maîtres, puis des maîtres aux élèves. Au bout de la chaîne, des épreuves standardisées permettaient dévaluer et de certifier les apprentisages de chaque élève.
La chaîne qui va du savoir savant (ou de la pratique sociale) au savoir (ou à la pratique) finalement appris par lélève comporte trois maillons principaux. Premièrement, la transposition du savoir savant au savoir à enseigner, cest-à-dire lélaboration, le plus souvent par des experts, de prescriptions curriculaires : plans détudes, programmes, outils méthodologiques. Deuxièmement, la transposition du savoir à enseigner au savoir effectivement enseigné par le maître, dans la pratique quotidienne. Troisièmement, le passage de ce qui est enseigné à ce qui est appris, des initiatives du maître à lexpérience des élèves.
Dans le modèle bureaucratique, le premier chaînon prend le pas sur les deux autres. Cest dabord parce que le passage du savoir enseigné au savoir appris (troisième chaînon) paraît peu problématique que les prérogatives du maître (deuxième chaînon) sont réduites au strict minimum. Puisque les élèves apprendront dautant mieux quon leur présentera les savoirs de façon claire et cohérente, on fait porter l'essentiel de leffort sur lélaboration, au sommet de la pyramide, de programmes et de directives aisément assimilables et exécutables par les instituteurs. Le curriculum prescrit par les autorités est un curriculum formel qui sassume comme tel. Ce modèle de transmission ne nie pas que les maîtres, lorsquils enseignent, interprètent et transforment lintention institutionnelle. Autrement dit, il ne nie pas quun écart puisse exister entre le curriculum formalisé et le curriculum réalisé (Perrenoud, 1994). Mais ce constat induit une stratégie qui a sa logique : tout faire pour réduire cet écart.
Conséquence : le second chaînon, celui qui permet lincarnation du projet scolaire dans les gestes de lenseignant, le passage des intentions aux actes, est placé, tant que faire se peut, sous surveillance administrative. Le passage du curriculum formel au curriculum réel est, dune certaine manière, lui aussi formalisé, standardisé, bureaucratisé. Espace et temps de formation sont minutieusement structurés. Lespace est organisé de manière à faciliter les regroupements et les déplacements (classes, pupitres, couloirs), à distinguer les élèves par leur âge et par leur sexe (degrés, locaux et préaux pour filles et garçons), à les hiérarchiser en fonction de leurs résultats scolaires (bancs dhonneur ou dinfamie), à instituer lautorité du maître (estrade et férule). Cette organisation de l'espace permet aussi le quadrillage du temps. Chaque discipline occupe une alvéole dans la répartition quotidienne ou hebdomadaire, et sitôt qu'un plan d'éducation dépasse le niveau des principes et des programmes généraux, il s'exprime dans un horaire (Starobinski, 1983, p.107 ; Foucault, 1975).
On pourrait citer beaucoup dexemples mais la logique générale reste la même. Au moment où elle invente lenseignement de masse, lécole institue des formes de travail qui répondent aux besoins de lépoque, et qui vont perdurer. Elle développe ce quon peut appeler une " technologie " dont le ministère est le concepteur, et dont les enseignants sont les utilisateurs. Comme la montré lexemple de Leuk-le-lièvre, cette technologie est dun usage assez simple, facile à produire et à diffuser. Elle est composée de quelques instruments qui nont pas disparu des écoles, mais qui se sont aujourdhui diversifiés et complexifiés :
Cette technologie est à limage de lorgue de barbarie (Maulini, 2000). Chaque cellule de la grille-horaire dessine une boîte qui produit le texte du savoir lorsquon y tourne les pages du manuel, à la manière dont lorgue produit sa musique au passage du carton perforé. Le principe organisateur, cest la grille-horaire qui découpe le temps. Le principe planificateur, cest le manuel (et ses instructions) qui déroule " mécaniquement " la discipline à lintérieur de chacun des compartiments. Le maître est à la fois le tourneur de manivelle et linstrument qui émet et qui amplifie le son. Et il peut jouer sa partition sans connaître ni la musique, ni la mécanique.
Il serait injuste de réduire les pratiques anciennes à un triptyque aussi sommaire. Le travail denseignement ne sest jamais résumé à la lecture du manuel, et il sest développé en sappuyant à la fois sur des instruments et sur les personnes qui en faisaient usage. Mais ce quil faut aussi dire, cest que ce développement a modifié les équilibres, et que lexpertise qui sincarnait dans des grilles, des manuels et des instructions imposées par lautorité est de plus en plus souvent déléguée &endash; au moins en principe &endash; aux enseignants eux-mêmes. En principe, et dans la plupart des cas, évidemment. Car dès que lécart se creuse entre les ambitions de linstitution et les compétences des enseignants, on le comble logiquement à laide des technologies dantan. Lenseignement précoce de lallemand, par exemple, sappuie en Suisse Romande sur une méthodologie et des instruments didactiques (manuels, cahiers, cassettes, jeux, leçons et exercices, etc.) qui, comme Leuk-le-lièvre, soutiennent le travail du maître, et le contraignent en même temps.
Lorganisation et la planification du travail scolaire sont soumises à des injonctions de moins en moins restrictives, qui ajoutent aux prérogatives et aux responsabilités des enseignants. Construire et planifier des dispositifs et des séquences didactiques, gérer la progression des apprentissages, établir des bilans périodiques de compétences et prendre des décisions de progression : telles sont quelques unes des nouvelles compétences (Perrenoud, 1999a) de lenseignant organisateur et planificateur. Cette organisation et cette planification du travail nont jamais cessé doccuper lécole. Ce qui a changé, ce nest pas loccupation en soit, mais la répartition des charges. Lorganisation et la planification du travail sont de plus en plus tributaires des compétences professionnelles de lenseignant. Elles sont de plus en plus tributaires de son travail et de ses compétences dorganisation et de planification.
Il y a des nostalgiques de Leuk-le-lièvre. Une institution verticale et homogène, un socle bien identifié de savoirs fondamentaux, le même livre et la même méthode pour tous, lascèse de la répétition et de lexercice : cest tout un monde, une culture, une conception de la raison et de la justice qui sincarnent dans cette technologie pédagogique. Mais le monde a changé, et lécole avec lui. Le paradoxe, cest que Leuk-le-lièvre est à la fois responsable et victime de ce changement. Le savoir sélargit, les publics se diversifient, lécole se complexifie. Cest aux technologies dhier que nous devons nos connaissances et nos ambitions daujourdhui. Mais cest avec les technologies daujourdhui que se préparent lécole et le monde de demain.
La réorganisation du travail scolaire est explosive, parce qu'elle touche à lidentité professionnelle des enseignants, et à toute lhistoire de linstitution. On sait quil est " pédagogiquement correct ", actuellement, de " faire interagir les élèves ", de " décloisonner " et de " coopérer " entre collègues. Mais si ces changements sont dabord des signes extérieurs de respectabilité, et sils ne puisent pas leur signification dans la construction raisonnée dune école plus juste et plus efficace, ils seront vite rangés au rayon des utopies dun jour dont nous revenons avant même dy être allés.
Il est important, pour éviter ces confusions, de distinguer clairement les enjeux. Nous aimerions le faire rapidement, en rappelant dabord pourquoi et comment certains " désordres " peuvent expliquer des tentatives de réorganisation, et comment ces tentatives renvoient, non pas à un démembrement hasardeux de linstitution, mais à une évolution profonde et significative du métier denseignant. Nous montrerons ensuite que les structures scolaires observables ne sont que la pointe de liceberg, et que cest dans la pensée et les pratiques des maîtres que sorganise et se planifie dabord lécole de demain. Et nous terminerons en identifiant quelques enjeux importants de cette pensée et de cette pratique de la planification : signification et transmission des savoirs, professionnalisation et formation des enseignants, développement de lorganisation.
Les mouvements pédagogiques et les travaux de recherche en éducation ont questionné tour à tour les structures, les programmes, les méthodes, les pratiques des enseignants. Ils ont forcément butté, à un moment où à une autre, sur lorganisation du travail à lécole, et par lécole. Lutter contre léchec scolaire, aujourdhui, cest non seulement imaginer de nouvelles stratégies didactiques, mais cest aussi penser et repenser les fondamentaux de la " forme scolaire " (Vincent, Lahire & Thin, 1994 ; Monjo, 1998 ; Vincent, 1999). Dans un texte récent consacré aux espaces-temps de formation, Perrenoud (2001b) analyse ce quil appelle les limites de lorganisation tayloriste du travail scolaire. De Leuk-le-lièvre à aujourdhui, beaucoup de choses ont changé ou, plus exactement, pourraient changer. Lorsque Perrenoud propose six axes de transformation, cest moins pour dresser un constat que pour dessiner des perspectives émergentes qui supposent évidemment une tension entre tradition et innovation :
2. Des étapes annuelles aux cycles dapprentissage pluriannuels.
3. De la classe immuable aux groupes flexibles.
4. Du zapping de la grille horaire aux modules intensifs.
5. Des cloisons disciplinaires aux projets pluridisciplinaires.
6. Des exercices classiques au travail par problèmes et projets.
Nous avons déjà évoqué certains de ces enjeux au début du texte. On peut affirmer que le travail de planification renvoie dune manière ou dune autre à chacun deux, et que le maître est sans doute davantage sollicité sur la droite que sur la gauche de chaque axe. Face au " désordre ", lécole se réorganise, et en se réorganisant, elle attribue aux enseignants une bonne partie du travail dorganisation.
Premier exemple : le passage des programmes aux objectifs dapprentissage. Les savoirs et les compétences sont organisés en réseaux et en cercles concentriques qui doivent éviter leur fragmentation, ce qui modifie le statut des disciplines scolaires, mais surtout lorganisation du travail, de lenseignement et de lapprentissage dans les disciplines elles-mêmes. Là où il fallait " faire le programme ", il faut aujourdhui " atteindre lobjectif ", ce qui pose deux questions nouvelles : 1. Quel est lobjectif en question ? 2. Comment faire pour progresser jusquà lui ? Le but est unique, mais les chemins sont multiples, et personne ne dit vraiment à lenseignant par où il doit passer avec ses élèves.
Deuxième exemple : le passage des degrés annuels aux cycles pluriannuels. Les échéances se sont décalées, elles offrent de la souplesse dans la gestion des parcours, mais elles posent de nouvelles questions et demandent de nouvelles compétences. On peut en effet décréter la suppression du redoublement, mais cela ne résout pas le problème de la diversité et de la prise en compte des différences dans lorganisation et les rythmes de travail. Refaire une année était certes une mesure de régulation assez sommaire, mais il reste précisément à en inventer de plus subtiles et de plus efficaces.
Troisième exemple : le passage de la classe aux groupes flexibles. Si la régulation nest plus assumée par le redoublement, on peut donc faire " comme si " les élèves étaient aussi homogènes quavant, ou inventer dautres solutions. Les groupes de besoin, de niveau, de projet, de tâche, etc. peuvent regrouper provisoirement certains élèves, et se recomposer à échéance plus ou moins régulière. Là encore, un travail qui revenait jadis à linstitution est en partie assumé par les enseignants et/ou les équipes denseignants.
On pourrait prolonger la démonstration sur les trois derniers axes, mais sarrêter ici suffit pour insister sur le point crucial. Les transformations de lorganisation et de la planification du travail renvoient à deux enjeux complémentaires mais qui doivent être distingués : la collectivisation du travail dune part ; ce travail lui-même dautre part. Lorganisation des cycles et des établissements exige de nouvelles collaborations entre enseignants, ce qui fait un problème en soi (Perrenoud, 1997 ; Groupe de pilotage de la rénovation, 1999 ; Gather Thurler, 2000 ; Tardif, 2000). Mais ce qui change également, cest, " à collaboration constante ", la nature et la difficulté du travail exigé. Cest ce travail, plus ou moins redistribué, qui va désormais nous intéresser.
On peut lire chacun des six axes proposés par Perrenoud sur au moins deux plans : celui de la classe (et du maître), et celui de létablissement (et de léquipe enseignante). Si le troisième axe interroge lexistence de la classe elle-même, cest parce que les établissements scolaires qui veulent lutter contre léchec scolaire finissent toujours par tenter des regroupements nouveaux qui permettront de faciliter ou dintensifier un travail particulier. Mais il faut bien admettre, dabord que la classe résiste (Tardif & Lessard, 2000 ; Meirieu, 2001), ensuite que la distinction classe-établissement est elle-même relative.
Une école de montagne regroupant une quinzaine denfants peut être placée sous la conduite dun seul enseignant, et se présenter sous la forme dun " groupe-classe " réuni dans un " local-classe ", mais elle sorganisera différemment suivant la manière dont le maître répond aux questions posées par Perrenoud. Considérer certains sous-groupes dune " classe à degrés multiples " (les " petits ", les " grands ", les " 3e primaire ", etc.) comme des groupes homogènes et immuables, voilà une façon de conserver, dans un micro-espace, les standards de la taylorisation. Dans ce cas, lenseignant travaille bien dans une seule classe, mais il en a plusieurs en tête. Et pour chacune delles, un programme, une grille horaire et des activités différenciés.
Reproduire, ad privatim, une division des cohortes, des espaces et du temps dont dautres enseignants se dépêchent de saffranchir, est-ce sorganiser intelligemment ou se contraindre inutilement ? Peu importe la réponse. Ce que confirme la question, cest que lenjeu se situe non seulement dans les structures " objectives " de linstitution, mais aussi, et peut-être avant tout, dans les structures " subjectives " de notre habitus. Le programme, le degré, la classe, la grille horaire, la discipline, lexercice : ce nest pas par accident que ce quadrillage sest imprimé dans nos esprits. Il était fait pour cela. On connaît donc la boucle, et la difficulté den sortir : comment (re)penser lorganisation et la planification du travail scolaire, alors que cest à lécole, et dans les formes de lécole, que nous avons appris à travailler et à penser ?
Quil soit seul à la montagne, ou engagé dans la gestion collective dun cycle, le maître est toujours face aux mêmes dilemmes. Comment découper et aménager les espaces ? Comment structurer le temps long et le temps court ? Comment alterner et comment articuler les disciplines entre elles ? Comment planifier lenseignement, les activités, les apprentissages ? Et dailleurs, que faut-il planifier ? Des séquences didactiques ? Des activités pédagogiques ? Des objectifs dapprentissage ? Un peu de tout, dans lun de ces mélanges cuméniques dont on fait les bonnes soupes ? On voit bien que Leuk-le-lièvre répondait à toutes ces questions, ou quil évitait simplement quelles se posent. Mais on voit aussi que ces enjeux concernent désormais tous les enseignants, parce quils revendiquent la liberté de sen saisir (hypothèse optimiste), et/ou parce que linstitution veut sen défaire, et quelle leur en délègue habilement la responsabilité (hypothèse cynique). Entre autonomie locale et service public (Derouet & Dutercq, 1997), on connaît les ambivalences des organisations. Lorsquun problème est trop complexe et trop sensible pour être arbitré au niveau national, pourquoi ne pas le transférer vers les maîtres et les établissements ? Il serait absurde den faire une règle générale, mais il faut admettre que des exemples existent, et que les enseignants entretiennent lambiguïté en adoptant eux-mêmes une double attitude. Tantôt se plaignant dune autorité pyramidale ne déléguant aucun pouvoir, tantôt préférant la plainte inverse : que cesse la délégation systématique des responsabilités.
Ce nest pas par hasard que nous revenons ainsi à notre ligne de départ. Du point de vue de la planification de lenseignement, on peut faire deux lectures parallèles de la redistribution. Ce que lécole de Leuk-le-lièvre assumait en son centre, elle le délègue en grande partie, désormais, à sa périphérie. Première hypothèse : lenjeu est trivial, il passe après des préoccupations autrement plus compliquées et autrement plus importantes comme les séquences didactiques, les livrets dévaluation ou linformation aux parents. Et comme les experts ne peuvent pas tout faire, ils insistent là où la standardisation est prioritaire. Deuxième hypothèse : lenjeu est au contraire trop sérieux et trop complexe pour être traité au sommet de la pyramide, puisque lessentiel est que les élèves atteignent des objectifs-noyaux, et que les maîtres sont les mieux placés pour inventer et ajuster régulièrement les planifications pertinentes. Il nest pas sûr, évidemment, quil faille choisir entre ces deux hypothèses, et il est bien possible, comme souvent dans les affaires publiques, que le modus vivendi soit le résultat de lalliance objective des tenants de la prolétarisation (" puisque cest simple, les enseignants nont quà le faire ") et de la professionnalisation (" puisque cest complexe, il faut que les enseignants le fassent "). Nous savons, quant à nous, quelle option nous avons choisie, et cest dans la perspective de la professionnalisation et des nouvelles compétences des enseignants que nous observons et que nous évaluons les enjeux de la planification.
Son statut nest pas forcément très clair, mais la planification du travail scolaire a fait et fait encore lobjet dun transfert de compétences. On peut considérer Leuk-le-lièvre comme larchétype dune technologie pédagogique conçue et élaborée par des spécialistes, et diffusée ensuite auprès des maîtres pour quils en fassent bon usage. On pourrait dire que cette technologie a évolué, mais il serait plus correct de dire quelle cède progressivement la place à une ingénierie du travail scolaire dont les enseignants sont, individuellement ou collectivement, les maîtres duvre. Lenseignant créatif que postulent les nouveaux programmes scolaires (Weiss), cest un enseignant suffisamment ingénieux pour construire, dans un contexte donné, une organisation et une planification qui peuvent certes sappuyer sur des outils et des technologies produits par dautres, mais qui ne peuvent pas sy réduire.
Enseigner, aujourdhui, ce nest pas " faire " devant les élèves ce que dautres ont décidé que nous ferions, cest mobiliser des ressources de différentes provenances pour créer les conditions (Meirieu, 1996, p.69ss) favorables aux apprentissages. Ces conditions relèvent évidemment de linteraction maître-élève, des techniques didactiques et des ruses pédagogiques qui sont " mises en pratique " dans linstant. Mais elles relèvent aussi dune organisation plus ou moins permanente et dune planification plus ou moins systématique des activités denseignement-apprentissage. Ce travail est, de plus en plus, celui des maîtres eux-mêmes, et sil est " bricolé " comme le sont toutes les pratiques pédagogiques, il peut lêtre de façon plus ou moins raisonnée. Dans ce domaine comme dans dautres, les gestes, les techniques, les instruments, la pensée professionnelle des enseignants peuvent se perfectionner sils sont travaillés de manière réflexive, dans larticulation théorie-pratique. Mais ils ne seront travaillés de cette façon que si les chercheurs et les professionnels eux-mêmes considèrent quil y a, dans ce domaine, quelque chose à comprendre et à théoriser :
Il manque à lécole un investissement collectif et une recherche de grande amplitude sur lingénierie de formation et la construction curriculaire. Les efforts sont investis massivement dans les didactiques ou la lutte contre la violence, plutôt que dans la conception du travail enseignant. Insistons-y, une ingénierie ne se limite pas à un habile bricolage, elle mobilise des savoirs de référence, des principes de base, souvent des technologies. (Perrenoud, 2001b)
Mettre le cap sur des compétences et des connaissances noyaux, connaître quelques repères et quelques balises intermédiaires, naviguer à vue et corriger la trajectoire au gré des besoins, évaluer et différencier les interventions en fonction des apprentissages des élèves (CIIP, 2000) : tel est aujourdhui, à en croire les textes officiels, le métier nouveau du navigateur enseignant. On peut dire que la barre est placée très haut, et quelle ressemble parfois à une épée de Damoclès.
Première menace, et premier enjeu : les apprentissages des élèves. Comment sassurer que les nouvelles conditions-cadres déboucheront sur des pratiques locales plus souples, plus interactives, plus significatives, et, en fin de compte, profitables pour la majorité des élèves, à commencer par ceux qui ne marchaient pas automatiquement sur les traces de Leuk-le-lièvre ?
Deuxième enjeu : le travail des maîtres. Comment soutenir et stimuler les professionnels dans leur travail dorganisation et de planification, sans les " rendre fous " par des injonctions paradoxales (" soyez créatifs "), ni les exposer à la précarité et à langoisse de linnovation décrétée (" vous êtes compétents ").
Troisième enjeu : le développement de lécole. Comment penser la division du travail entre les enseignants et tous ceux qui leur veulent du bien ? Comment assumer lambivalence qui nous fait réclamer, les jours pairs, davantage de liberté pour organiser notre travail " au mieux " (Vellas, 2001), et les jours impairs, davantage de consignes et de marches à suivre pour ne pas réinventer la roue, et ne pas nous exposer inutilement aux critiques des parents ?
Réorganisation du savoir, du temps, de l'espace et des groupes ; planification des activités et des modalités de contrôle ; partages des tâches entre adultes, et entre adultes et enfants : tout pourrait se revoir. La taylorisation du travail touche à ses limites, ce qui provoque des conflits de pouvoir et des besoins de reconnaissance nouveaux. Membres de la direction, inspecteurs, formateurs, enseignants de toutes catégories, élèves et leurs parents, intervenants divers, spécialistes, chacun comprend que son travail est ou va être repensé, remis en cause et le plus souvent, sans savoir quelle forme il va prendre. Les points de repère disparaissent, et les nouveaux sont à construire. Cet entre-deux provoque un climat d'incertitude dont les enseignants se plaignent parfois, mais dont ils peuvent aussi tirer profit.
Ce que nous pouvons constater là où nous travaillons, dans la formation initiale et continue des enseignants primaires genevois, cest que les trois enjeux des apprentissages (des élèves), de la professionnalisation (des maîtres) et du développement (de lécole) sont imbriqués les uns dans les autres, et que les enseignants débutants ne sont finalement que les révélateurs dune hésitation qui traverse toute linstitution. Le transfert de compétences entre la noosphère et les enseignants semble irréversible, et il rompt avec les traditions bien installées qui donnaient son assise à lécole, et qui lont peut-être aidée à " digérer " des réformes qui ont tout modifié, hormis lessentiel. Mais aujourdhui, ce nest plus la décoration intérieure qui est en cause. Ce que les enseignants sont obligés de revisiter et, par endroits, de réinventer, cest le concept architectural tout entier.
Quy a-t-il de plus iconoclaste, finalement, que de questionner lorganisation de lorganisation ? Les enseignants qui innovent dans ce domaine sont forcément aux marges de linstitution, puisquils se posent les questions dont lécole est la réponse. Nous verrons dans un second texte comment ces enseignants opèrent pour dépasser ce paradoxe, et comment ils inventent, localement (et parfois : secrètement), de nouvelles formes de travail : les nouvelles formes - déscolarisées &endash; du travail scolaire. Ce que confirmera ce second texte, cest que lenjeu nest pas de choisir entre la tradition et linnovation, mais de renouveler la première à laide de la seconde. Qui prétendra " rénover " Leuk-le-lièvre en lui assenant le coup du lapin ?
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[1] Ce texte est la première partie d'une recherche exploratoire réalisée dans le cadre de l'unité de formation Curriculum, plan d'études, programme, objectifs-noyaux. Comment organiser et planifier le travail scolaire ? de la licence en sciences de l'éducation de l'Université de Genève, mention Enseignement. Il s'articule avec un autre texte consacré aux pratiques émergentes de planification (Le travail de planification: pratiques nouvelles). Les questions, les données et les analyses réunies dans ce travail doivent énormément aux étudiants, aux formateurs de terrain et aux formateurs de l'Université impliqués dans cette formation et, du même coup, dans la conceptualisation d'un domaine peu théorisé jusqu'ici: l'appropriation, la (ré)organisation et la (re)planification du travail scolaire par les enseignants généralistes, à l'interface du curriculum formel et du curriculum réel. Nous remercions tout particulièrement: les étudiants des trois premières volées de la licence mention Enseignement, nos collègues Philippe Perrenoud, Monica Gather Thurler, Michèle Bolsterli, Danielle Bonneton et Andreea Capitanescu, les formateurs de terrain Jean-Marc Hohl, Gabrielle Huguenin, Catherine Kugler, Carole Marti, Georges Pasquier, Jean-Marc Richard, Françoise Savoy, Frédérique Wandfluh. C'est parce que nous partageons les mêmes préoccupations et les mêmes intentions que cette recherche ne peut être que collective. On en trouvera d'autres traces dans la bibliographie (Richard & Pasquier, 1992 ; Richard, 1998 ; Wandfluh & Perrenoud, 1999 ; Perrenoud, 1997, 1999b, 2001b,c ; Maulini, 1999 ; Vellas 2000 ; LIFE 2001) et sur le site Internet du laboratoire LIFE et de son séminaire de recherche " L'organisation du travail scolaire ".
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