Laboratoire de recherche
Innovation-Formation-Éducation
L'ORGANISATION DU TRAVAIL SCOLAIRE
Andreea Capitanescu
Commentaires et réactions
à la synthèse
du séminaire
du 29 mai 2002
rédigée par Michèle
Bolsterli
Plusieurs interrogations et réflexions ont traversé notre débat suite à la lecture de la synthèse de M.B. du 29 mai 2002. La réflexion sur les mémos n'est donc pas close et ne vient que de s'ouvrir. A partir d'octobre 2002, dans le cadre du Séminaire LIFE sur l'Organisation du travail scolaire, nous poursuivrons le travail de recherche à l'appui des autres études de cas sur l'organisation du travail scolaire écrits par : Michèle Bolsterli, Olivier Maulini, Danièle Périsset-Bagnoud.
Voici les quelques pistes de réflexion que nous avons explorées à partir de la synthèse de M.B. :
Une première hypothèse
Selon certains, une hypothèse de réflexion a été dégagée en ces termes : l'organisation du travail, soit plus précisément le métier d'enseignant est plus structuré par les modalités, les savoirs et les savoirs-faire de l'individu bien avant que par les objectifs que l'on pourrait se fixer.
La profession d'enseignant serait donc plus guidée " autour du faire " que du " pourquoi faire ", cela découlant de sa structure même et sa culture. Autrement dit, l'action quotidienne serait pilotée plus par la conformité aux modalités que par la conformité aux finalités. Cette seule orientation de l'action par les modalités est contestée soit par les enseignants, soit par les travailleurs en éducation.
Il nous reste encore à définir ce qu'on entend communément par buts, objectifs que l'on se donne, que l'on a effectivement.
Si l'on regarde alors les réformes passées et en cours, des discours de ce type ont troublé le jeu : les réformes en éducation ne portent pas vraiment sur des finalités mais surtout sur des nouvelles structurations de l'espace, du temps, des moyens, des filières, en somme des modalités ; car si l'on observe de plus près comment les acteurs rentrent dans les réformes scolaires, nous pourrions remarquer que l'on aborde d'abord les nouveaux dispositifs à percevoir. Mais même si la porte d'entrée dans les réformes pour les acteurs est principalement composée des dispositifs, les objectifs en tout cas déclarés existent. Ce qui nous intéresse c'est plutôt ce que l'acteur en fait des déclarations. Les objectifs d'apprentissages ont toujours existé, existent encore mais qu'en font réellement les acteurs ? Est-ce que les objectifs, les buts, les finalités conditionnent l'organisation du travail de l'enseignant ? Quel est le statut de l'action ? Que pense l'acteur ? Qu'a-t-il comme but, comme valeurs, comment se prend-il ?
De même, dire que les enseignants sont pilotés plus par les savoirs, les savoirs-faire sans avoir clairement défini des buts ou des objectifs peut être perçu comme une violence que l'on fait aux acteurs. Il faut aller voir au plus près des pratiques, de ce que les acteurs pensent, de ce qu'ils en font ; en bref, aller à la chasse des gestes du métier.
Si l'on part des objectifs, qu'est-ce qui se structure, quels sont les objectifs, quelles valeurs soutiennent l'action.
Une deuxième hypothèse
Une autre hypothèse complétant la réflexion : le travailleur travaille mais n'a pas toujours en tête ou ne pense pas constamment aux missions globales de l'organisation. Dans le registre des objectifs, il y aurait d'une part les objectifs du travailleur et d'autre part les objectifs de l'organisation. Est-ce que ces objectifs s'opposent-ils ? Se complètent-ils ? Se nient-ils mutuellement ? Se classeraient-ils dans des registres différents ? Comme par exemple : l'un du côté seulement du " bien être du travailleur ", de " sa survie " dans le métier ? Et l'autre du côté de la productivité ? Qu'est-ce que le travailleur ici l'enseignant poursuit ? S'agit-il là de la production, de la recherche ? Produit-il en se défaisant des buts globaux de l'organisation ?
En utilisant les métaphores et les concepts issus du champ économique, pourrions-nous mieux expliquer et comprendre ce qu'il se joue au niveau du travail de l'enseignant ? L'enseignant vu comme un organisateur et producteur de savoirs ? Comme un organisateur du travail des élèves ? Qu'est-ce qui est préorganisé, préorganisant et préstructurant dans le travail des enseignants et des élèves ?
Comment l'on visibilise ce que l'enseignant produit ? Mais que produit l'enseignant au juste ? Quels sont les signes extérieurs de production ? Comment en rendre compte ? Comment assure-t-il la communication extérieure ?
Dans une pédagogie plus traditionnelle du type " papier-crayon ", visibiliser la production c'est montrer les fiches, les exercices que les élèves font, etc. Dans les pédagogies alternatives, progressistes, actives, nouvelles, constructivistes, les signes extérieurs du travail intellectuel des élèves sont plus difficiles à percevoir à l'il nu. Comment en rendre compte quand l'enseignant travaille sur l'objectif, par exemple : développer l'esprit critique, objectif quasi traditionnel dans les pédagogies nouvelles ?
" Rendement ", " efficacité " : qu'est-ce que cela signifie pour l'enseignant ? Des mots qui font peur, qui viennent parfois imposer des normes au travail de l'enseignant, des injonctions du type : " l'enseignant doit être efficace ", " pense-t-il au rendement ? ", " à ce qu'il est en train de produire ", " produit-il de la réussite, de l'échec " ? Comment l'acteur définit sa propre efficacité ou son propre rendement avant que de l'extérieur l'on tente continuellement à lui imposer des normes ? Quel est le rapport de l'acteur à l'efficacité, au rendement ? Comment se construit son rapport à l'efficacité, au rendement ? Qu'est-ce qu'il entend par là ?
Comment travailler dans la recherche sur ces concepts avec les acteurs concernés, c'est-à-dire les enseignants sans qu'un phénomène défensif corporatiste apparaisse et bloque la réflexion et le débat ; défenses qui se retrouverait aussi du côté des chercheurs. Comment ne pas créer des nouveaux tabous et comment lever les tabous ensemble praticiens et chercheurs ? Quel serait le langage adéquat à utiliser sans diluer tout le sens opérateur de ces concepts et sans faire violence aux acteurs ? La profession d'enseignant placée sous le regard constant et menaçant du public et a développé des mécanismes défensifs en tentant de moins s'exposer.
Le métier d'enseignant est une semi-profession : certains le voient comme un exécutant répondant au prescrit rien qu'au prescrit soit un prolétaire héritier et obligé du taylorisme, et d'autres le placent quelque part entre la figure de l'exécutant et celle du professionnel disposant d'une autonomie large d'action et de décision, d'une grande marge de manuvre comme un professionnel post-tayloriste à part entière. Cette semi-professionnalisation reste encore ambiguë : un métier artisanal, solitaire, " seul maître à bord ", à l'abri des regards extérieurs sauf ceux des élèves.
De nombreuses comparaisons ont traversé notre réflexion avec les métiers de la santé dans lesquels les travailleurs sont plus exposés aux patients et encadrés par des personnes avec des compétences reconnues.
Dans l'étude des analyses de cas (cf.mémos sur l'organisation du travail) soutenues par des commentaires, nous percevons les logiques des individus, leurs explications, leurs buts, leurs intentions, leurs valeurs dans l'action qu'ils veulent mener. Nous avons un éclairage plus pointu sur l'action du sujet.
Walo Hutmacher s'engage à l'écriture d'un texte jusqu'en décembre 2002.
Nous avons suivi un exposé de Richard Etienne sur les chefs d'établissement en France. De nombreuses contextualisations et définitions sur l'établissement et sur le chef d'établissement se trouvent dans le livre : Etienne, R. (2000) Les réseaux d'établissements. Enjeux à venir, Paris, ESF.
Le texte complet est accessible :
Etienne, R. (2002) Les réseaux d'établissements : utiles, gérables, vivables ?, Montpellier, Université Paul Valéry [version rtf].
Pour contextualiser rapidement, seul l'enseignement secondaire possède des chefs d'établissement, bien que ce métier apparaît à d'autres ordres d'enseignement dans le mouvement actuel de décentralisation du système éducatif.
Richard Etienne entreprend actuellement une recherche sur le métier de chef d'établissement. Le chercheur possède de nombreuses données en ce qui concerne : les objectifs du chef d'établissement , les référentiels de compétences, les missions à remplir, les dispositifs d'évaluation des chefs d'établissement mais encore trop peu d'apports sur le métier de chef d'établissement dans sa pratique au quotidien.
Les chefs d'établissement sont un corps à part, reconnus institutionnellement, issus du milieu de l'enseignement, souvent considérés par leur ex-collègues, enseignants, comme des " traîtres ". Selon le chercheur, personne n'est capable de dire en quoi consiste le travail quotidien du chef d'établissement et la recherche engagée sera axée sur sa pratique en particulier.
En nous reliant à la problématique de recherche du Séminaire LIFE, à savoir l'organisation du travail scolaire, des questionnement ont surgi :
Si l'on considère que l'enseignant organise le travail des élèves, alors peut-on déduire que le chef d'établissement organise le travail de l'enseignant ?
Le chef d'établissement est " le maître du temps et de l'espace ", c'est-à-dire celui qui va répartir les salles, les services (les classes des élèves) et le temps. Le chef d'établissement n'intervient pas dans le domaine pédagogique. Une fois la salle de classe fermée, la pédagogie appartient à l'enseignant et épisodiquement à l'inspecteur de l'Académie. Selon Richard Etienne, personne n'organise le travail des chefs d'établissement, ce qui est encore à creuser dans la recherche à entreprendre.
Comment le chef d'établissement travaille ? Quels moyens d'influence a-t-il ? Quelle coopération développe-t-il au sein de l'établissement et avec d'autres établissements ? S'agit-il là d'un genre en évolution ? Sont-ils des responsables de l'organisation scolaire ?
Le métier d'enseignant c'est un métier du type " cellulaire ", avec une idéologie paritaire de longue date, selon laquelle tout le monde a les mêmes droits et les mêmes obligations et surtout personne ne regarde ce que l'autre fait, en bref, une défense de chasses gardées ; de fait, culturellement, ce nouveau métier sera regardé par les enseignants d'une manière soupçonneuse.
Dans les établissements, nous sommes donc en présence d'une séparation entre l'administratif et la pédagogie. Lorsque l'on fait des projets dans l'école, l'emploi du temps sera bricolé en fonction de cela et dans cette nouvelle configuration, quelle sera alors le pouvoir du chef d'établissement ? Le chef d'établissement possède une réelle l'autonomie pour agir ? A-t-il un pouvoir implicite ou non ? Comment se défait-il des contraintes ? Quelle est la marge du manuvre qu'il se donne ? Quel est son style ? Quel management de l'établissement ? Que se passe-t-il quand son style d'administrer ou de manager l'établissement entre en conflit avec l'organisation du travail de l'enseignant ?
Pour l'enseignant, la séparation administration et pédagogie n'est que très fluide. Nous voyons aussi que la profession prend du pouvoir, que les enseignants se donnent du pouvoir, s'habilitent d'une certaine marge de manuvre, bien que n'étant pas donnée une fois pour toutes, ces derniers changent les forces de pouvoir en présence. Comment cela se négocie-t-il ?
La comparaison avec les métiers de la santé ou avec le fonctionnement hiérarchique dans hôpital revient encore et insiste sur la spécificité du métier d'enseignant. Quelle évolutions subit-il ou se propose-t-il : vers plus de professionnalisation ? Vers plus d'autonomie professionnelle ? Quel sorte de contrôle ?
A l'hôpital, il existe une double hiérarchie : une hiérarchie administrative et une hiérarchie professionnelle. A l'école, il y a une hiérarchie mais une idéologie paritaire qui élimine le contrôle professionnel, car il n'y a pas une reconnaissance des compétences indépendamment des personnes.
Quelle autonomie de l'établissement ? Partielle, totale ? Et quelles nouvelles compétences en jeu des chefs d'établissement ? Comment les pays qui ont adopté une autonomie des établissements s'en sortent ? (Suède, Danemark, etc., cf. recherches de l'OCDE) Quels enjeux à venir pour les nouveaux métiers de l'éducation (coordinateur (GE) ou coordonateur (FR)) dans la décentralisation des systèmes éducatifs ? Comment le pouvoir sera un peu plus partagé et négocié au sein des établissements scolaires ? La recherche sur les chefs d'établissement de Richard Etienne tentera d'embrasser un espace éducatif plus international (France, Belgique, Suisse Romande, Québec, etc.).
Le prochain Séminaire LIFE " Organisation du travail scolaire " a lieu le 30 octobre 2002.
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