Université de Genève - Faculté de psychologie et des sciences de l'éducation - Sciences de l'éducation

 

LIFE

Laboratoire de recherche

Innovation-Formation-Éducation

 

Séminaire de recherche LIFE 2002-2003

L'ORGANISATION DU TRAVAIL SCOLAIRE


Notes de synthèse du séminaire du 9 avril 2003

 

Quand l'objet de recherche s'enlise
entre opacité et moralité : recadrages

 

 Danielle Bonneton


Une discussion sur les notes de synthèse de Lorraine Savoie-Zajc du 17 mars : Efficacité, opacité et description de pratiques ou un souci de jalonner le chemin parcouru et Esquisse de réflexion à propos du séminaire Life du 19 mars d'Alain Muller implique à la fois une confrontation au recadrage provisoire de Lorraine Savoie-Zajc et des explicitations sur les alertes du mémo d'Alain Muller.

Peut-être est-il nécessaire de mettre en perspective, à ce stade de l'élaboration de l'objet, une (re)définition et une stabilisation des orientations pour la poursuite du séminaire de recherche ?

Efficacité : ou se défaire d'une définition trop étroite ?

Recadrage fécond : la conception de Lorraine fait état de retours réflexifs divers sur les apports des uns et des autres; s'il est suggéré de donner une définition plus large de l'efficacité, c'est bien que l'effort s'évertue à quitter la normativité, celle qui juge à l'aune des produits et de la mesure. Les efficacités telles qu'elles s'appréhendent dans les milieux syndicaux par exemple au Québec sont plurielles. Ces derniers donnent une définition autour de critères pour le moins originaux parce qu'ils se réfèrent à l'activité plutôt qu'au seul produit.

La question de savoir qui juge de l'efficacité est sans doute centrale, même si les réponses sont plurielles ; on peut en effet juger de l'efficacité en articulant des dimensions personnelles et professionnelles et en faisant varier les critères. Par exemple le burn out des professionnels pourrait être un indicateur pour un type d'acteurs alors que la production-produit pourrait en intéresser un autre.

Si pour chaque but se définit un objectif, il est légitime de cibler le fait de l'aboutissement et de l'efficience en regard d'indicateurs. Mais les buts sont diversifiés et ne servent pas forcément les objectifs institutionnels et le travail prescrit.

Le chemin parcouru dans le séminaire semble coupler organisation scolaire et efficacité ; ce lien récurrent dont le sens est peut-être trop étroit ; l'efficacité n'est pas seulement rendement et le décliner autrement que sur un mode normatif pourrait être une avancée.

La posture de recherche : entre moralité et intelligibilité, entre explication et compréhension

Lorsque l'objet de recherche s'enlise, cela convie à travailler la question épistémologique et à questionner la démarche heuristique du chercheur. Il n'est de question féconde, à ce stade, que celle de la production de savoir et de la clarification du rapport du chercheur avec son objet de recherche, de l'objectivation et de la distanciation en partie maîtrisée. L'objectivation et la thématisation en regard de la posture d'implication du chercheur est centrale en ce sens qu'elle permet d'expliciter les biais, les tensions et les niveaux d'implication : parler l'implication plutôt que de se retrancher derrière une méthodologie qui prétendrait décrire la réalité de l'organisation du travail sans en interroger les présupposés théoriques, épistémologiques et éthiques ainsi que les instruments d'appréhension et de description du réel.

La réaffirmation que :

La posture éthique et déontologique du chercheur présuppose

L'opacité est bien constitutive à la fois du réel et de l'objet : elle est double en ce sens qu'elle concerne sur un premier plan, la résistance du réel face à la volonté du chercheur de théoriser. Sur un second plan, l'opacité pour l'acteur lui-même face à ses actions et à l'organisation de son travail. Pour des raisons théoriques, l'action n'est pas d'emblée limpide, formalisée, théorisée. Elle résiste en partie à l'objectivation spontanée puisqu'elle se suffit à elle-même dans un mode opératoire implicite.

Le chercheur ainsi est confronté d'une part à la résistance du réel et d'autre part à ses propres déterminismes psychologiques internes en tentant de se construire un schéma heuristique dans une dualité de postures, diversément assumée, de l'angoisse à la méthode (Devereux).

 

L'organisation du travail : un objet auto-socio construit ?

Mais organiser le monde n'est pas encore l'expliquer à l'aune des épistémologies, des filtres et des jugements. La prudence et la patience d'une démarche ethnographique en prenant en compte les dimensions notamment décrites par L. Savoie-Zajc (angle symbolique, empirique, historique, esthétique, éthique) est sans doute ce qui rassemble, en tout cas provisoirement, les chercheurs autour de l'organisation du travail. Les concepts gestaltistes des avant plans et arrières plans en fonction de la saisie de structures sous-jacentes et des manifestations concrètes ajoutent à l'appréhension de l'objet dans son interaction féconde entre sous-systèmes. La ligne d'objectivation visée est donc la complexité.

Et quelles seraient alors les apports des sciences contributives (sociologie, économie, ergonomie, anthropologie) à l'objet ? On voit qu'un cadre conceptuel s'esquisse, mais loin d'être stabilisé, il gagnerait probablement à se formaliser par un écrit.

La question de qui définit l'objet est donc centrale : serait-ce dire, par rapport à une approche ethnographique et compréhensive que c'est l'acteur seul qui le définit ? Que les concepts émergeraient de l'organisation de son discours et de sa conception du monde, de son rapport au travail et à l'objet ? De ce point de vue, un regard ethnographique peut montrer à la fois des pluralismes et logiques d'acteurs finalisées en fonction de buts en quelque sorte et en partie détournés. Le rapport entre fins et moyens apparaît dans des logiques singulières et appelle à une lecture non normative de la réalité. N'en déplaise au chercheur, la logique de l'acteur a ses impondérables et se départir d'un jugement moral sur les faits et leurs interprétations est donc une posture a priori nécessaire.

Dans la perspective de percer l'opacité, le piège guette celui qui cherche à rendre compte des seules logiques individuelles sans interroger les logiques collectives dans lesquelles elles s'inscrivent. Le mythe de l'intérieur ou le mythe plus profond de l'intime tel que le définit Bachelard en questionnant l'impression de profondeur qui ne serait en fait que de la superficialité. Mieux vaudrait saisir l'intimité attribuée aux objets, et replacer ainsi l'acteur dans la relation à l 'objet.

Le monde est "social" et les jeux de construction du réel lui sont constitutifs. Les mondes sociaux des acteurs sont sans cesse redéfinis dans une logique historique, évolutive et collective. Le croisement de ces rapports est donc indispensable à la compréhension; différents niveaux de focus sont complémentaires et interdépendants. Le paradigme est ainsi socio-constructiviste et il est convié par rapport aux questions socialement élaborées, construites et partagées.

Un nécessaire retour réflexif sur des alertes à visée heuristique telles que l'on signifiées Alain Muller a le mérite de se repositionner, de redéfinir les paliers et les couches de la réalité qui s'offrent à soi ainsi que les instruments humains pour les lire et les interpréter.

Comment encore rendre compte du changement, de l'évolution des pratiques, des conditions des ruptures ? Comment saisir le rapport statégique des acteurs au système et comment penser ce rapport dans l'évolution du travail en regard des prescriptions ? Comment comprendre les postures qui sont le produit du système, comment comprendre le système et les différents effets qu'il génère sur les conduites ? Comment saisir et interpréter les discours contradictoires et paradoxaux du système et le rapport des acteurs qu'il convient de ne pas pathologiser ? Autant de questions ouvertes, travaillées notamment par la sociologie des organisations et les chercheurs en innovation.

Dans l'élaboration progressive du séminaire s'esquissent des boucles de régulation dans la construction de l'objet de recherche et engagent à se demander comment poursuivre.


 

Bachelard, G. (1996) La formation de l'esprit scientifique, Paris, Vrin.


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