Université de Genève - Faculté de psychologie et des sciences de l'éducation - Sciences de l'éducation

 

LIFE

Laboratoire de recherche

Innovation-Formation-Éducation

 

Séminaire de recherche LIFE 2002-2003

L'ORGANISATION DU TRAVAIL SCOLAIRE


Notes de synthèse du séminaire du 4 juin 2003

Michèle Bolsterli

Le séminaire a été organisé en deux parties : une discussion collective à partir d'une intervention orale de Walo Hutmacher " Vision heuristique de la régulation de l'activité enseignante " et une discussion sur la suite à donner au séminaire.

 

Première partie
Essai d'analyse des mécanismes et des logiques de régulation de l'activité professionnelle

Walo Hutmacher, pour ouvrir un débat autour de la notion de régulation, a choisi de le faire par le biais de la " forêt  plutôt que par celui des arbres ". Sa première démarche a été la recherche des diverses significations de ce concept (dictionnaire des synonymes et encyclopédie Universalis). Il en est ressorti des termes comme notamment mise en ordre, standardisation, normalisation, etc, ainsi que le poids mis sur la biologie et en amont, sur celui de la théorie des systèmes et de la cybernétique.

La définition qu'il propose lui-même est formulée ainsi :

la régulation est l'ensemble des dispositifs formels et informels, culturels, subjectifs, qui orientent l'action.

En partant de la question de comment on obtient certaines régulations ainsi que des synchronisations, il a d'abord cherché quelles pouvaient être les sources de la régularité et de la stabilité constatées dans le système scolaire ; il en donne comme exemples l'ordre temporel qui règne malgré tout à peu près régulièrement dans les établissements (chaque matin d'école, enseignants et élèves se rencontrent…) et la prévision possible des effectifs d'élèves (grâce au peu de fluctuation). Pour ce faire, il a élaboré un classement des mécanismes pouvant être à l'origine de cette régularité et les a mis en relation avec les acteurs en jeu ; un document en présentant une formalisation a été distribué et commenté.

1. Les mécanismes de régulation de l'activité enseignante

Plutôt que de résumer cette classification qui sera à disposition sur le site de LIFE, des exemples concrets vont tenter d'illustrer certains des paramètres pointés par Walo Hutmacher.

1.1 Parmi ceux relevant de la socialisation

Les représentations que chacun a de l'école sont une des bases sur lesquelles va se construire le parcours de formation professionnelle. L'histoire personnelle est très présente dans la reproduction d'un ensemble d'attitudes et de ce qui se passe normalement dans une situation scolaire. L'expérience propre de scolarisation commençant à un âge très précoce, donc avec une capacité de distance critique très faible, elle laisse des traces conscientes et inconscientes sur lesquelles il n'est pas si facile de travailler.

Les formations actuelles d'enseignants tentent de prendre en compte ces représentations, de les questionner, de les faire émerger et éventuellement de les modifier. La démarche biographique notamment propose un tel retour, mais on peut se demander si elle ne court pas parfois le risque d'en cristalliser certains aspects.

 

La dimension des habitus de l'enseignant est souvent occultée, d'autant plus que les habitus sont difficiles à modifier. L'expérience acquise par la formation d'abord puis par la pratique est un ensemble de compétences souvent de haut niveau, mais elle s'accompagne aussi de gestes professionnels de tous les instants, parfois difficiles à verbaliser, souvent peu conscientisés et inévitablement reproduits sans plus y réfléchir. Les enseignants accueillant des stagiaires sont davantage amenés à mettre en mots certains d'entre eux, car les étudiants les interrogent, leur demandent pourquoi ils font ceci ou cela et les obligent ainsi à faire émerger les habitus qui sont les leurs.

1.2 Parmi ceux relevant des normes, directives, prescriptions de..

Les modalités situationnelles imposent ou suscitent des fonctionnements, des organisations et des planifications. La plupart d'entre elles ne sont pas modifiables et entraînent des contraintes. Par exemple, la conception actuelle des aménagements de la classe n'est pas toujours adaptée aux dispositifs de travail que voudraient mettre en place les enseignants. Tout récemment, une future titulaire de 1ère enfantine s'interrogeait notamment sur l'adéquation des tables (à la place de pupitres) qui sont prévues pour ce degré ; elle ne les trouvait plus adaptées aux nouveaux objectifs d'apprentissage et envisageait de les remplacer par un pupitre pour deux élèves.

Les modalités contextuelles représentent un fond formel important. Le contexte s'impose toujours, avec plus ou moins de force, en terme d'attentes. Tout établissement scolaire est influencé par son environnement, par les spécificités de ses acteurs et par la culture commune ou non de l'équipe enseignante.

Les orientations et les pratiques sont liées aux mouvements pédagogiques du moment. L'action des enseignants s'avèrerait donc plus ou moins directement influencée par les idées en cours, mais lesquelles sont prépondérantes : celles du débat public ? celles de la recherche ? celles de la noosphère ? celles de l'institution ?

Toute innovation, aujourd'hui, est censée reposer sur des bases théoriques, mais cela n'empêche pas les opposants d'en réfuter les fondements. Cependant, de tout débat pédagogique peut ressortir le pire comme le meilleur. Même si la rénovation de l'école primaire genevoise n'est pas encore généralisée, elle a eu des incidences partout et oriente plus ou moins fortement les pratiques actuelles. Y a-t-il encore des écoles qui n'ont pas tenté des décloisonnements ou qui ne sont pas entrées dans l'évaluation formative ?

1.3 Parmi ceux relevant de l'évaluation

Une des questions qui se pose là est de savoir si l'évaluation porte sur la réalisation des buts et la conformité de l'action par rapport à ces buts ou sur la conformité aux modalités prescrites. Toute évaluation étant étroitement liée notamment aux intentions de départ, à ses auteurs, aux destinataires des résultats, elle va avoir des effets différents selon chacune de ces variables. Dans le cas d'épreuves communes par exemple, qui veut-on évaluer ? la population d'élèves, les enseignants, les établissements, les programmes, etc ?

2. Grille d'analyse des deux grandes logiques de régulation de l'activité professionnelle.

Les deux modes " type " choisis par Walo Hutmacher (régulation bureaucratique et régulation professionnelle) ne se trouvent pas à l'état ypur ; ils sont un critère de lecture de la réalité.

La première logique est celle dite bureaucratique, non pas sous l'angle péjoratif, mais en considérant la bureaucratie comme " petite sœur de la démocratie ", comme un progrès dans l'évolution de la société occidentale, dans le sens d'une protection contre l'arbitraire. L'organisation bureaucratique donne des ordres valables pour tous ; elle produit une capacité d'actions structurées ainsi que des règles générales édictées à partir d'un cas particulier (exemple de l'obligation d'organiser des réunions de parents).

Pour beaucoup, le mode bureaucratique est avantageux, car il évite de s'atteler aux buts poursuivis, il permet de se contenter de n'être que des agents.

L'organisation syndicale de la proyfession va souvent se préoccuper davantage du bien-être des enseignants plutôt que de mettre la priorité sur l'élève. Son rôle dans la régulation vise avant tout le contrôle des conditions matérielles de travail et de rémunération.

La deuxième logique (régulation professionnelle) s'avère exister et fonctionner très différemment selon les professionsy. En médecine, en droit, en journalisme, on observe des mécanismes qui régulent bien davantage que dans l'enseignement : pourquoi ? Selon les professions, l'éthique, le respect des codes de déontologie, la possibilité donnée aux " clients " de se retourner contre le professionnel varient beaucoup. La cohésion du corps professionnel va aussi avoir un effet sur cette possibilité : un procès intenté contre un médecin a peu de chances d'aboutir alors que celui contre un journaliste (voire un enseignant ?) n'obtiendra pas aussi fréquemment un résultat en faveur du professionnel.

Dans le monde enseignant, a-t-on vraiment affaire à une profession ou à une "semi-profession", selon la définition anglo-saxonne ? ySi l'on observe la hiérarchie de ce milieu, on s'aperçoit qu'elle n'est ni une hiérarchie scientifique ni une hiérarchie de compétences. Ne serait-ce pas notamment là que le bât blesse ? L'obsession paritaire des enseignants et l'égalitarisme à tout prix ne conduisent-ils pas finalement à cette situation ? En outre, le fait que la hiérarchie soit constituée d'anciens enseignants lui empêche d'être reconnue par la base ; des managers venus d'ailleurs, avec les compétences ad hoc, pourraient peut-être s'avérer meilleurs (dixit Walo !)

Débat 

Marie-Thérèse Bogensberger se retrouve tout à fait dans ce modèle qui fait sens pour elle en regard de ce qu'elle constate et entend dans les écoles. Il lui donne une clé de lecture de plusieurs réactions d'enseignants face au système.

A propos de la grille d'analyse proposée, Monica Gather Thurler verrait une troisième colonne de régulation adocratique (à l'aide pour l'orthographe de ce mot !!!), intégrant la prise en compte des sensibilités des acteurs.

Olivier Maulini ajouterait, lui, un 14ème critère incluant la dimension du travail collectif des enseignants.

Philippe Perrenoud en resterait aux deux logiques et aux 13 critères proposés mais complexifierait l'instrument en situant la réalité sur une échelle allant de la régulation bureaucratique à la régulation professionnelle, afin de montrer l'intensité de la régulation. Il lui importe de rester à l'intérieur du système et de rechercher les incidences sur l'organisation du travail.

 

Deuxième partie
Quid de la poursuite du séminaire ?

Sans avoir à prendre une décision aujourd'hui, la question qui se pose est de savoir comment envisager la suite le séminaire ?

Deux propositions se dessinent :

La première serait de poursuivre sur le thème et d'approfondir les concepts qui ont émergé.

La seconde serait de suspendre pendant un an l'objet traité et de travailler sur la question du pilotage partagé, en essayant de saisir les concepts qui permettraient de mieux comprendre ce qui se passe dans l'actualité de notre contexte et de quelques autres.

Les participants, dans leurs réponses, se montrent très partagés. Tout d'abord, les feedbacks qui sont donnés s'avèrent très positifs quant au travail effectué jusqu'à maintenant. L'impression d'avoir avancé semble partagée. Les tendances pour la suite sont aussi bien de continuer sur le même objet que de s'atteler au problème du pilotage. Certains verraient bien de naviguer entre les deux ; d'autres soulèvent le risque, dans le cas d'un choix autour du pilotage, de rester sur le conjoncturel et le contextuel en s'attaquant à un ciblage sur une problématique genevoise.

Mireille Snoeckx relève que la notion de pouvoir est revenue à plusieurs reprises dans le séminaire et qu'on ne l'a pas vraiment prise en compte comme lecture de la réalité. Ne pourrait-on pas la retenir explicitement comme critère en essayant de pointer les forces qui organisent, en entrant sur le versant expérientiel et en analysant des cas particuliers ?

Olivier Maulini suggère de boucler sur l'organisation du travail en s'obligeant à publier un ouvrage collectif.

A la lumière des diverses propositions faites, le laboratoire LIFE se réunira pour envisager la suite à donner. Cet automne, un descriptif du thème de recherche retenu et un agenda seront envoyés aux participants.

 


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