Journal n°142

Le niveau du Pacifique reconstitué sur six mille ans. Au centimètre près

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Une équipe de chercheurs a réussi à reconstituer, au centimètre près, les variations du niveau de l’océan Pacifique dans la région de la Polynésie française au cours des six mille dernières années. Basée sur l’analyse de coraux fossiles appelés micro-atolls et parue le 18 janvier dans la revue Nature communications, l’étude permet une compréhension plus détaillée des effets locaux que peuvent entraîner des changements climatiques à l’échelle globale. Une meilleure connaissance du passé récent, estiment les auteurs dont fait partie Elias Samankassou, maître d’enseignement et de recherche au Département des sciences de la Terre (Faculté des sciences), est en effet essentielle pour prédire les conséquences des activités humaines sur le climat et, en particulier, sur les systèmes insulaires, les plus vulnérables face à une probable montée des eaux dans le siècle à venir.

Les micro-atolls sont des colonies coralliennes en forme de disque – de quelques centimètres à plusieurs mètres de diamètre – dont seul le pourtour est vivant. Ils se développent latéralement durant des dizaines ou des centaines d’années tandis que leur croissance verticale est limitée par l’exposition à l’air lors des marées les plus basses.

Valeurs plus précises
Ces organismes, de la variété des Porites, enregistrent dans leur structure, année après année, les variations du niveau de l’eau. Ils ont l’avantage de donner des valeurs plus précises que les récifs coralliens utilisés jusqu’à présent et qui se développent à des profondeurs variant entre 0 et 20 mètres.

Elias Samankassou et ses collègues se sont rendus sur 12 îles de Polynésie française au cours de quatre campagnes menées entre 2012 et 2015. Ils y ont effectué des relevés précis au GPS et des prélèvements d’échantillons qu’ils ont datés en comparant l’abondance de deux éléments radioactifs, l’uranium et le thorium.

Il en ressort qu’il y a six millénaires, le niveau de l’océan était proche de celui d’aujourd’hui. Il a alors progressivement grimpé jusqu’à atteindre un pic de 90 cm entre 3900 et 3600 ans avant le présent. Cette augmentation s’explique par la fonte des glaces des calottes polaires  lors de la période de réchauffement.

Entre 5370 et 5120 ans avant le présent, le niveau de l’océan a brutalement chuté de plusieurs décimètres, probablement en raison d’une baisse sensible du rayonnement solaire

Ensuite, le niveau est lentement redescendu pour atteindre, il y a 1200 ans, la cote de +10 cm. Cette évolution inverse témoigne d’une baisse de la contribution de la fonte des glaces et une domination croissante d’autres phénomènes, rassemblés sous le nom de rebond postglaciaire ou ajustement isostatique. En d’autres termes, le surplus d’eau provenant de la fonte des glaces produit une surcharge sur le fond marin qui réagit localement à la recherche d’un nouvel équilibre. À cela s’ajoute le phénomène global de «siphonnement océanique», qui correspond à l’effondrement de certaines parties de la plaque océanique, là aussi sous l’effet du poids de l’eau supplémentaire. L’un et l’autre effets, qui se développent sur des millénaires, conduisent à cette baisse progressive du niveau de l’océan.

La courbe met aussi en évidence des changements plus rapides. Ainsi, entre 5370 et 5120 ans avant le présent, le niveau de l’océan a brutalement chuté de plusieurs décimètres, probablement en raison d’une baisse sensible du rayonnement solaire (d’autres études ont obtenu des résultats similaires pour la même période).

Entre 5100 et 5000 ans avant le présent, c’est l’inverse qui se produit. Les eaux montent de 20 à 43 centimètres à la vitesse de 1,2 à 2,5 millimètres par an. Selon les auteurs, ce phénomène serait dû à des pertes massives de calotte glaciaire antarctique sous l’effet d’un changement dans les courants marins dans l’hémisphère Sud à cette époque.

Stabilité remarquable
D’autres périodes, en revanche, sont caractérisées par une stabilité remarquable sur des périodes aussi longues que trois cents ans, ce qui se traduit par des micro-atolls de grande taille.

Les scientifiques ont aussi développé un modèle informatique visant à reproduire les changements observés. Il en ressort notamment que si l’on soustrait l’ajustement isostatique, la «hauteur» – ou l’épaisseur – de l’océan Pacifique en Polynésie française a augmenté en réalité de 1,5 à 2,5 mètres au cours des six derniers millénaires, principalement en raison de la fonte des glaces de l’Antarctique.

Le réchauffement global en cours depuis la révolution industrielle provoquera une augmentation du niveau de la mer entre 0,5 et 1,5 mètre avant la fin du XXIe siècle

Toutes les îles du Pacifique ne sont pas égales face à la montée des eaux. Le rebond postglaciaire, résultat de forces exercées dans le manteau terrestre, en pousse certaines vers le haut, mais en épargne d’autres, selon la géologie de chaque région. Ce phénomène n’est pas nouveau en soi mais l’étude qui vient de paraître a pu le confirmer avec une grande précision.

Les experts internationaux du climat s’accordent à dire que le réchauffement global en cours depuis la révolution industrielle provoquera une augmentation du niveau de la mer entre 0,5 et 1,5 mètre avant la fin du XXIe siècle. Les auteurs de l’article estiment que l’étude des Porites en Polynésie française représente un excellent outil pour tenter de prédire la réponse des régions côtières à un tel bouleversement. —