Éric Eigenmann, © 2003
Dpt de Français moderne – Université de Genève
Mieux que par la présence physique d'un second personnage, c'est par celle que manifeste ou représente l'énoncé lui-même qu'on distingue le plus clairement le monologue et le soliloque, dont les dictionnnaires et manuels spécialisés donnent des définitions contradictoires. On conviendra – dans le sillage de Jacques Schérer (1983) et d'Anne-Françoise Benhamou (Corvin, 1995) – que le monologue désigne le discours tenu par un personnage seul ou qui s'exprime comme tel, s'adressant à lui-même ou à un absent, lequel peut être une personne (divine ou humaine, voire animale) ou une personnification (un sentiment, une vertu: mon cœur
, mon devoir
, éventuellement une chose). Tout monologue est ainsi plus ou moins dialogué, car l'on parle toujours à quelqu'un, ne serait-ce qu' à soi-même.
On suivra Anne Ubersfeld, en revanche, pour limiter le soliloque à un discours abolissant tout destinataire
et douter par conséquent qu'il n'existe jamais de vrai soliloque au théâtre
(1996, p. 22). Certains monologues s'en approchent cependant depuis la seconde moitié du XXe siècle, telle la logorrhée de Lucky dans En attendant Godot de Samuel Beckett.
Monologues et soliloques remplissent de manière privilégiée une fonction épique, dans les scènes d'exposition notamment, une fonction délibératrice, lorsqu'ils œuvrent par exemple à la formulation et à la résolution d'un dilemme, et une fonction lyrique (parfois invocatoire), qui les apparente à un monologue intérieur extériorisé
(Larthomas, 1980, p. 372).
Notons, afin de ne pas confondre monologue et tirade [II.3.1], que la longueur ne constitue pas pour le premier un critère pertinent. Aussi prolixe qu'il puisse être devant un confident quasi muet, un héros classique continue d'entretenir avec lui un dialogue (voir faux dialogue [II.4.2]). Et à l'inverse, même relativement brèves, certaines interventions de héros romantiques, si l'on peut qualifier ainsi les personnages de Musset par exemple, doivent être classées comme monologues.
Edition: Ambroise Barras, 2003-2004