Éric Eigenmann, © 2003
Dpt de Français moderne – Université de Genève
L'adresse délimite également l'aparté, sorte de monologue bref dans lequel le locuteur se retire provisoirement du dialogue pour introduire une réflexion à part, pour lui-même, perceptible cependant par un ou plusieurs tiers: un autre personnage parfois, le lecteur/spectateur toujours. Si l'aparté reste en principe le plus bref possible, afin de ne pas interrompre l'échange en cours, rien n'empêche pourtant de le prolonger: Jean Tardieu le fait dans Oswald et Zénaïde ou Les Apartés, pièce qui inverse les proportions habituelles au point de réduire la communication directe entre les personnages à quelques mots.
D'un public témoin à un public pris à témoin, voire élevé au rang d'interlocuteur principal comme dans les prologues et épilogues ou dans les songs brechtiens, il n'y a qu'un pas: on peut qualifier de faux apartés les adresses au public, qui comme leur nom l'indique privilégient ouvertement la communication extradiégétique et les effets qui lui sont liés. Quoique le lecteur/spectateur ainsi interpellé appartienne à la fiction comme le narrataire d'un récit romanesque, une telle adresse joue par métalepse [La voix narrative, VII.1] de l'ambiguïté entre cette figure textuelle et le lecteur/spectateur. Ambiguïté d'autant plus forte à la représentation qu'elle en a une autre pour corollaire: où s'arrête le comédien, où commence le personnage? Prologues et épilogues, justement, thématisent parfois le passage de l'un à l'autre, dans les deux sens, tels des sas de décompression entre réalité et fiction.
Edition: Ambroise Barras, 2003-2004