Notre Master en Sociologie

Les drogues sont-elles dangereuses ? Passer du produit au contexte

4 mai 2016



Séance 6 image NEW.jpg
Source : International Drug Policy Reform Conference, page Facebook

Les drogues sont-elles dangereuses ? Passer du produit au contexte

Le sujet de cette séance du cycle de conférence « Les drogues dans tous leurs états » tournait autour de la question contestée des dangers liés à la consommation de drogues. Sandro Cattacin, professeur ordinaire au département de sociologie de l’Université de Genève, a présenté les résultats du rapport de la commission fédérale sur les drogues, sorti en 2015, que Dagmar Domenig, directrice de la fondation Arcadis, et lui-même ont été chargés d’élaborer. A l’image de ce qui s’est fait dans d’autres pays en Europe, ce rapport avait pour tâche de s’interroger sur la question de la dangerosité des drogues. Le rapport en question se distinguait néanmoins au niveau de sa méthodologie, qui consistait en une méta-analyse des différentes études qui ont été réalisées en Suisse sur ces questions.

En guise d’introduction, le conférencier a tenu à replacer l’arrivée de ce rapport dans le contexte historique Suisse, afin de comprendre les raisons de l’émergence d’un questionnement sur la dangerosité des drogues. Selon lui, plusieurs éléments survenus ces dernières décennies ont contribué à opérer un changement dans la réflexion en matière de dangerosité des drogues. L’exemple le plus parlant est celui des scènes ouvertes et visibles de consommation d’héroïne qui ont profondément marqué les esprits. Une prise de conscience vit ainsi le jour, mobilisant différents spécialistes ainsi que des forces politiques, afin de mettre sur pied le fameux modèle des quatre piliers en matière de drogues, qui, en rencontrant un certain succès, mit par ailleurs fin à cette problématique. Ces éléments comme d’autres participèrent à réorienter la réflexion sur les drogues, en la faisant passer d’un regard restreint sur le produit à un regard élargi au contexte social de consommation. Mais, en dehors des évidences de cet exemple parlant, la nécessité d’adopter un tel regard pour l’ensemble des drogues ne s’est que peu retrouvée au niveau des politiques de santé suisses. Ce rapport avait ainsi pour message de mettre fin à la chasse aux produits et de relever les défis que représente l’adoption d’une vision globale en matière de consommation de stupéfiants.

Comment donc les différentes études réalisées en Suisse se sont emparées de la question de la dangerosité des drogues ? Quatre types d’études portant sur l’estimation de la dangerosité des drogues peuvent être distingués. Le premier type regroupe les études d’experts. Celles-ci mettent en avant les risques de la consommation de drogues pour l’individu ainsi que pour l’ordre social et distinguent généralement plusieurs niveaux de dangerosité. Le manque de cohérence de la distinction entre produit légal et illégal par-rapport à ces catégories de dangerosité est également souligné. Un deuxième type de rapport reflètent les évaluations de la dangerosité des drogues, cette fois-ci directement par les usagers eux-mêmes. Ces études peuvent être comparées à des discours de protestation de la part des consommateurs visant à faire entendre leur voix. Plusieurs similarités avec le discours des experts peuvent être relevées, bien que ces études rajoutent encore d’autres éléments, tels que la poly-consommation et la sociabilité de la consommation. Un troisième type de rapport s’attache quant à lui à décrire le mode de consommation plutôt que la dangerosité des drogues en elle-même. Ces études s’intéressent ainsi à la question de l’insertion sociale de la consommation. Elles constatent une conscientisation totale des dangers des drogues par les consommateurs, et contribuent à les ériger davantage en tant qu’acteurs. Finalement, le quatrième type de rapport représente les différentes études épidémiologiques, ou de santé publique, qui s’intéressent à la fois aux individus et à la société, en cherchant à mesurer les conséquences médicales de l’addiction aux drogues sur la mortalité et la morbidité dans la population.

En comparant ces différents rapports, Sandro Cattacin a souligné plusieurs aspects intéressants. D’une part, il existe relativement peu de différences au niveau du listage des substances en fonction de leur dangerosité. En effet, l’alcool et le tabac sont les produits que l’on retrouve généralement au premier rang, dont la consommation font pourtant souvent partie de notre quotidien. D’autre part, une similitude peut être observée dans la manière de parler des drogues, qui tend à accorder une certaine importance au contexte social de la consommation, ainsi que sur la sociabilité et la ritualisation de cette pratique. Sandro Cattacin conclut alors sur l’importance de prendre acte que le lien entre consommation et dangerosité est médié par un ensemble de variables, qu’il convient de prendre en compte si l’on veut pouvoir dire qu’une consommation est problématique ou non.

La discussion a été assurée par Anne François, médecin adjointe au service de premiers recours aux Hôpitaux Universitaires de Genève, et ancienne médecin consultante pour la salle de consommation de drogues Quai 9 à Genève. La clinicienne a commencé par manifester son enthousiasme pour le rapport, tout en soulignant ses mérites. L’engagement d’un sociologue et d’une anthropologue font preuve du fait, selon elle, que la commission fédérale pour les questions liées aux drogues (CFLD) a reconnu qu’il n’existe pas de réponse juste ou fausse dès qu’il est question de la dangerosité des produits. Une des difficultés à mesurer cette dangerosité tient selon elle au large spectre de la notion d’addiction. De plus, les substances addictives devraient impérativement être analysées en intégrant également les bénéfices qu’elles procurent aux consommateurs. C’est la raison pour laquelle elle plaide pour une éducation à la drogue.

La difficile estimation de la dangerosité de même que les autres effets de la consommation de drogues, tels que la performance, le soulagement et le plaisir, parfois irremplaçables pour les individus, brouillent ainsi nos perceptions des drogues et suscitent de nombreuses questions au niveau des politiques de santé, comme les nombreuses questions du public lors de la conférence l’ont fait remarqué. Devrait-on alors créer une politique de drogues selon l’ancienne citation de Paracelse « c’est la dose qui fait le poison » ?

Par Martina von Arx (étudiante du Master en sociologie, Unige)



  Blog du forum de recherche sociologique