Cinéma

call to action 2021-10-04
Le projet

En 2016, pour célébrer le bicentenaire du roman de Mary Shelley, le Ciné-club universitaire de Genève mettait à l'honneur Frankenstein grâce à une programmation qui oscillait entre films «pré-frankensteiniens», œuvres d'inspiration, grands classiques et série B.

Le Ciné-club s'est aussi intéressé à sa première représentation cinématographique, datant de 1910 et sobrement intitulée Frankenstein (J. Searle Dawley, USA). Se retrouvant face à des copies de mauvaise qualité, le Ciné-club s'est alors attelé à la lourde tâche de restaurer cette œuvre unique, tombée dans le domaine public. Pour cela, l'un de ses membres les plus actifs, Julien Dumoulin s'est dédié durant plusieurs mois à cet immense travail, avec plus de 100h au compteur, entre notamment le travail de l'image et la finalisation du projet.

La restauration

À l’heure où internet offre des possibilités inégalées dans les domaines de l’archivage, de la diffusion et de la protection des œuvres, il peut paraître paradoxal d’affirmer que la toile est parfois - souvent - la cause d’une dégradation de notre patrimoine. Dans le cas du cinéma, les œuvres qui, tombées dans le domaine public, sont proposées en libre accès, portent la marque de ce manque d’égards vis à vis de leur intégrité. La faute n’en incombe pas seulement à internet, dernière étape de la traversée des films anciens à travers les aléas de l’Histoire, mais à l’heure de la vidéo haute définition, la numérisation au rabais est un préjudice supplémentaire infligé à des produits souvent incomplets, fragiles et menacés de disparition.

Ainsi en est-il de Frankenstein, réalisé par J. Searle Dawley pour les studios Edison en 1910. La vidéo qui nous parvient aujourd’hui est proposée sur internet dans une multitude de versions, déjà réappropriées par de nombreux internautes. La plus ancienne semble tirée d’un DVD américain publié en 2010, proposant déjà une version restaurée du film! La version proposée est apparemment issue de la copie d’une pellicule 35mm, comme en témoignent les filigranes incrustés dans l’image. Résumons donc: le film de 1910 a tout d’abord été copié sur pellicule dans les années 70 pour le sauvegarder. Cette pellicule a été numérisée et un DVD est sorti en 2010, dont sont issues les versions proposées sur internet aujourd’hui. Or, chacune de ces étapes est un dommage supplémentaire infligé à l’original. Tout d’abord, la pellicule (copie ou originale) porte les séquelles du temps: tâches, poussières, réactions chimiques… L’image présente une ondulation, qui peut avoir été provoquée par l’humidité qui aurait déformé la pellicule elle-même, mais d’autres causes comme une mauvaise copie ou une trop grande compression de l’image peuvent aussi en être la raison. Le film copié en 1970 n’était pas encore dans le domaine public, ce qui explique l’incrustation de plusieurs filigranes reprenant le logo de la firme d’Edison sur plusieurs coins du cadre. Le passage sur DVD a aussi eu un impact délétère pour le film, qui s’est vu réduit à une définition de 480 pixels de haut pour 640 pixels de large pour le format d’image américain qui utilise la norme NTSC (un format encore plus petit que le PAL européen qui propose une image de 576 de haut pour 720 pixels de large). À cela s’ajoute la conformation du film pour la fréquence d’image NTSC. Le film de 1910, tourné en pellicule à une fréquence de 16 à 18 images secondes, est ainsi passé à 29,97 images seconde, l’outil d’interpolation le plus simple pour “créer” les images manquantes et permettre au produit final de conserver sa durée initiale consistant à doubler certaines images. Et donc à presque multiplier par deux les défauts de ces dernières. La compression supplémentaire induite par la numérisation de cette version pour le web termine d’abîmer la vidéo.

À partir de ce constat, la moitié du travail de restauration ne se limite qu’à tenter de défaire ces dernières étapes pour retrouver un fichier qui soit au plus proche de la version de 1910: suppression des images doublons, agrandissement de l’image pour permettre un travail détaillé. Le film est ensuite “nettoyé”, les passages les plus détériorés sont corrigés image par image. Les séquences sont stabilisées (les tremblements sont issus de la lecture de la pellicule originale qui présentait aussi des sautes d’images) et les filigranes sont gommés pour retrouver l’image de 1910. Le travail de nettoyage et d’étalonnage approfondi commence alors pour “stabiliser” le film au niveau colorimétrique (adoucir les différences d’image qui font apparaître des passages plus clairs ou plus sombres d’une image à l’autre). Les poussières et les rayures les plus discrètes sont enlevées image par image dans une dernière étape. L’ensemble est ensuite étalonné d’une manière classique, pour essayer de retrouver une meilleure définition d’image et un meilleur contraste.

Chaque étape de la restauration soulève bien évidemment des problématiques historiques: quel aspect donner aux nouveaux cartons? À quelle fréquence faut-il lire le film? Quel défaut à l’image relève de la technique de l’époque ou d’une détérioration ultérieure? D’autres films des studios Edison nous sont parvenus, et nous informent sur le style du studio ainsi que sur la qualité de la technique de cette époque, nous permettant de bénéficier de référents fiables pour guider notre travail. Il en ressort que bon nombre de films du tout début du XXème siècle proposaient une définition d’image impeccable qui ne peut que nous faire regretter la perte de détails de la version de 1910, détails irrécupérables en l’état sans une nouvelle numérisation haute qualité de la pellicule originale.


Pourtant, le film, longtemps considéré comme perdu, est maintenant visible dans son intégralité et s’est même offert une nouvelle jeunesse, avec une image restaurée, des cartons actualisés et une bande sonore originale. Ne boudons pas notre plaisir.

Par Julien Dumoulin, membre du comité du Ciné-club universitaire

 

La bande-son

Il s'agit d'un film muet, qui n'a pas eu le privilège de se voir doté d'une bande-son à l'époque de sa réalisation. C'est pourquoi le Ciné-club a fait appel aux services du compositeur confirmé Nicolas Hafner, qui a imaginé une partie sonore inédite et l'a interprétée sur le magnifique orgue de cinéma du Collège Claparède.

Restauration, exemple 1 Restauration, exemple 2 Restauration, exemple 3 Restauration, exemple 4 Nicolas Hafner, avec la la copie restaurée sous les yeux. Au plus près de l'interprétation. Au premier plan, le technicien son, Christian Guggenbühl. M. Hafner, aux commandes de l'orgue de cinéma de Claparède.