Ces liens «invisibles» qui permettent aux citadins de supporter leurs voisins
Nos villes manquent de lien social. Celui-ci mériterait d’être renforcé pour bien vivre ensemble. C’est un discours souvent entendu, notamment à l’occasion d’initiatives telles que la Fête des voisins, une manifestation participative qui invite les citadins à se réunir le temps d’une soirée. Or, on sait également que, malgré l’anonymat, on vit bien en ville. Pour Maxime Felder, assistant au Département de sociologie de l’UNIGE, c’est la preuve que la cohésion d’une communauté urbaine repose sur un tissu plus complexe, «qu’il n’y a pas un lien social, mais une multitude de liens sociaux». Un constat qu’il a pu faire en menant l’enquête à Genève. Il présente ses résultats le jeudi 26 octobre, à Uni Mail.
La ville, cet espace dans lequel se côtoient des gens qui, pour la plupart, ne se connaissent pas, est un terrain d’étude privilégié pour les sociologues. Ces derniers ont notamment montré que les individus résidant près les uns des autres ne développent pas nécessairement des liens étroits. Au contraire, on observe que la proximité physique appelle à maintenir une certaine distance sociale. La cohésion, qui permet aux citadins de coexister, ne reposerait donc pas seulement sur des liens «forts» (se considérer comme proche ou comme ami), ni sur des liens «faibles» (discuter, échanger des services, partager des activités). Une partie du mystère de la cohésion en ville se trouverait, pour Maxime Felder, au cœur des immeubles: «Supporter les gens qui vivent de manière durable à côté de nous sans qu’on les ait choisis est un effort plus important que d’accepter ceux que l’on fréquente dans l’espace public.»
Jusqu’à peu, le rôle des liens sociaux les plus faibles était ignoré des recherches. Or ce sont eux qui créent le tissu de voisinage
Le chercheur s’est intéressé aux relations sociales établies entre voisins en menant des enquêtes qualitatives auprès des résidents de quatre immeubles genevois. Il a demandé aux habitants ce que chacun savait de ses voisins et a mesuré toutes les catégories de liens existantes, de façon à obtenir une vision complète du réseau de relations.
Ses résultats montrent que les individus sont interconnectés par un réseau dense de liens «invisibles», en opposition aux liens forts et faibles qui sont observables. Ils relèvent de la familiarité tels que: connaître le sexe, la langue ou la catégorie d’âge d’un ménage voisin, se reconnaître, se saluer ou discuter occasionnellement. «Jusqu’à peu, le rôle des liens sociaux les plus faibles était ignoré des recherches. Or ce sont eux qui créent le tissu de voisinage», commente Maxime Felder. Se sentir appartenir à un endroit passe par exemple par la reconnaissance des gens qui nous entourent. À l’échelle individuelle, il est ainsi plus important d’avoir un aperçu de son environnement, que celui-ci soit lisible et prévisible, plutôt que de tisser des liens forts avec ses voisins. Le chercheur conclut: «L’idée du voisinage idéal n’existe pas et n’est pas désirée. Les citadins préfèrent maintenir des relations neutres, de type latent: entretenir la cordialité et savoir que l’on peut compter sur ses voisins en cas de besoin.» —
Jeudi 26 octobre
12h30 - Liens invisibles et réseaux de familiarité: une analyse des relations de voisinage
Uni Mail, salle 4393