L’acte de naissance de la Genève internationale
Haïlé Sélassier, empereur d’Abyssinie (Éthiopie actuelle) à la tribune de la Société des Nations, le 30 juin 1936. Quelques mois auparavant, la SDN essuie son échec le plus célèbre, lorsque Mussolini ordonne l’invasion du pays africain. Photo: Keystone
La Société des Nations (SDN) tient sa première assemblée le 15 novembre 1920 à Genève. Créée sous l’impulsion du politicien français Léon Bourgeois et surtout du président américain Woodrow Wilson, elle est l’un des principaux instruments institués au lendemain de la Première Guerre mondiale, en vue d’éviter un nouveau conflit aussi sanglant. L’Europe est alors un champ de ruines, aussi bien matériellement que moralement. Durant le conflit, la violence, le nombre de victimes et l’usage d’armes inédites comme l’aviation et les gaz toxiques ont atteint un niveau sans précédent.
L’idée de mettre en place un organisme international susceptible de maintenir la paix, émise dès la fin du XIXe siècle notamment par le Bureau international de la Paix établi à Berne, devient alors une priorité pour les chefs d’État des pays vainqueurs, et surtout aux yeux du président américain. L’idée maîtresse de la SDN, soutenue par Wilson, est le principe de sécurité collective fondée sur la résolution des conflits par la négociation. La diplomatie secrète entre États est en effet tenue comme l’une des causes de la Première Guerre mondiale.
La création de la SDN a lieu sous l’égide d’une «internationale des universitaires»
Lorsqu’il s’agit de choisir le lieu du siège de l’organisation, trois villes entrent en lice: Bruxelles, La Haye et Genève. En avril 1919, les participants à la Conférence de paix de Paris finissent par retenir la ville du bout du lac, scellant ainsi la vocation internationale de Genève. Un homme joue un rôle clé dans cette décision. Né à New York en 1883, professeur d’histoire économique à l’Université de Genève, William Rappard a l’avantage d’avoir tissé, lors de son séjour à l’Université Harvard comme professeur assistant en 1911 et 1912, de nombreux contacts personnels avec des futurs membres de l’administration du président Wilson, lui-même un ancien étudiant puis président de l’Université de Princeton. Ces contacts lui permettent d’avoir, en 1917, un premier entretien personnel avec le chef d’État américain auprès duquel il soutient la position de neutralité de la Suisse.
La création de la SDN a lieu sous l’égide d’une «internationale des universitaires», observe le professeur de la Faculté de droit Victor Monnier, qui a travaillé sur cette période charnière pour Genève. Plusieurs facteurs ont contribué, selon lui, à faire pencher la balance en faveur de Genève. Parmi eux, la neutralité suisse apparaît décisive, même si elle a fait l’objet de critiques de la part des belligérants. Il s’agit en effet que la future organisation n’apparaisse pas comme un outil au service exclusif des vainqueurs. Par rapport à la Belgique et à la Hollande, la Suisse a aussi l’avantage d’être un pays multiconfessionnel.
Issu d’une famille très protestante, le président Wilson ne voit pas d’un mauvais œil l’établissement dans la «Rome protestante» de son principal testament en matière de politique étrangère.
Genève abrite par ailleurs le siège du Comité international de la Croix-Rouge, présidé par le conseiller fédéral genevois Gustave Ador, qui saura habilement jouer de ses contacts au plus haut niveau pour plaider la cause de son canton au côté de William Rappard. Genève a aussi acquis une réputation en matière d’arbitrage international, puisque l’Arrêt Alabama, élaboré au bout du lac, constitue le premier acte de médiation internationale de l’histoire. Enfin, le facteur religieux joue également un rôle, plus personnel, auprès du président Wilson. Ce dernier est issu d’une famille très protestante, son père est pasteur d’une église presbytérienne en Virginie, et il ne voit donc pas d’un mauvais œil l’établissement dans la «Rome protestante» de son principal testament en matière de politique étrangère.
Le 28 avril 1919, le Conseil d’Etat reçoit deux télégrammes lui annonçant la bonne nouvelle. Une fois n’est pas coutume, Genève exprime son allégresse, avec force salves de canon et sonneries des cloches. Avec la crise des années 1930 puis la déclaration de la Seconde Guerre mondiale, la SDN finira par être considérée comme un échec, même si aujourd’hui l’historiographie se montre moins sévère à son égard. Toujours est-il que son importance pour l’histoire de Genève justifie amplement l’investissement aujourd’hui consenti pour numériser ses archives. —