Campus n°118

Martin Rees

Martin Rees

Martin Rees, astronome britannique de renom, était de passage à Genève cet été. Ses spécialités : la naissance, la vie et le destin de l’univers, ou du multivers. Entretien

Il est baron, pair à vie de la Chambre des Lords du Royaume-Uni. Mais Martin Rees est bien plus que cela. Astronome, ancien président de la Royal Society, il compte parmi les meilleurs spécialistes des trous noirs, des quasars, des âges sombres de l’Univers et de la structure cosmologique à grande échelle. Il est l’auteur de plus de 500 articles scientifiques et de plusieurs livres dont certains à l’adresse du grand public. C’est à ce titre qu’il a été invité par l’Université de Genève à donner une conférence lors de la Semaine européenne d’astronomie et de sciences spatiales qui s’est tenue en juillet au bout du lac sous l’intitulé From Mars to the Multiverse (de Mars au multivers).

Qu’est-ce qu’un multivers ?

Martin Rees : Au cours des siècles, nous avons sans cesse été confrontés à l’évidence que la réalité était plus étendue que prévu. Au départ, nous pensions qu’il n’existait que notre système solaire et que les étoiles du firmament formaient une voûte céleste nous surplombant. Nous avons ensuite réalisé que ces étoiles sont en fait d’autres soleils. Dans les années 1920, nous avons compris que notre propre galaxie, la Voie lactée, qui comporte des milliards d’étoiles, n’en était qu’une parmi des milliards d’autres et que tout cet ensemble est né d’un Big Bang originel dont nous pensons qu’il est survenu il y a 14 milliards d’années. Plus récemment, grâce aux découvertes de Michel Mayor et Didier Queloz, nous savons également que d’autres planètes tournent autour d’autres étoiles, ce qui rend le ciel nocturne encore plus intéressant. Mais les choses ne s’arrêtent pas là. Aujourd’hui, certains astronomes spéculent qu’il n’y aurait pas eu un seul mais un grand nombre de Big Bang, chacun d’entre eux donnant naissance à des domaines spatiaux-temporels non connectés au nôtre. C’est ça, le multivers.

Y a-t-il une quelconque observation qui soutient ce scénario ?

Il existe une théorie, appelée l’inflation éternelle, qui suggère l’existence de multiples Big Bang qui seraient tous apparus en même temps. Cette théorie n’est évidemment pas prouvée car elle est basée sur de la physique très incertaine. Cela dit, nous parlons d’un moment de l’Univers où l’énergie est beaucoup plus élevée que ce qui peut être reproduit dans le collisionneur LHC du CERN. C’est dans ces conditions que la physique devient incertaine et qu’il peut être pertinent de parler d’Univers multiples.

A quoi pourraient ressembler ces Univers parallèles ?

C’est la grande question : s’ils existent, ces Univers sont-ils gouvernés par les mêmes lois que le nôtre? Certains scientifiques suggèrent que non, que la constante gravitationnelle pourrait avoir d’autres valeurs, les particules d’autres masses, etc. Du coup, il en découle que la majorité d’entre eux seraient stériles. Car pour que des atomes puis des étoiles stables et des planètes se forment, il faut des particules, une chimie complexe, de nombreux éléments et bien d’autres conditions qui pourraient ne pas être remplies si les lois fondamentales de la nature changeaient. Mais tout cela est très spéculatif.

Savons-nous ce qu’il y avait avant le Big Bang ?

Non. Mais nous ignorons tout autant s’il est possible de définir un « avant » et un « après » dans les tout premiers instants de l’Univers. Car il faudrait pour cela que le temps, à ce moment, n’ait qu’une dimension et s’écoule dans une seule direction. C’est loin d’être certain. Il est parfaitement imaginable que la vision d’un espace à quatre dimensions (les trois axes plus le temps) doive être abandonnée lorsqu’on veut décrire les tout premiers instants après le Big Bang. Peut-être qu’il existait alors davantage de dimensions et que le temps était une notion bien plus compliquée.

Nous dirigeons-nous vers un Big Crunch, l’inverse du Big Bang où tout l’Univers s’effond­rerait sous son propre poids ?

Nous ne le savons pas non plus. Mais le meilleur pari actuellement est de miser sur le fait que nous n’en prenons pas le chemin. Car il s’avère que l’Univers n’est pas seulement en train de croître, mais il le fait à un taux qui s’accélère. Par conséquent, la prédiction la plus plausible, c’est qu’il s’étendra pour toujours. Il se refroidira et sera de plus en plus vide. Les étoiles s’éteindront et les atomes eux-mêmes finiront par se désintégrer. Bien sûr, ce scénario pourrait être faux si un changement imprévisible devait survenir. Mais je parierais plutôt sur une expansion infinie.

Nous ne finirons donc pas engloutis dans un trou noir ?

Non, l’expansion de l’Univers est plus rapide que le taux d’accrétion des trous noirs. Et ces derniers ne survivront pas non plus sur le très long terme. Bien avant qu’ils aient pu tout avaler, ils disparaîtront par évaporation. L’état final de l’Univers sera du rayonnement pur, avec peut-être quelques particules.

Revenons en arrière. Une grande partie de vos travaux ont porté sur les premières galaxies. Comment se sont-elles formées ?

Après le Big Bang, l’Univers se refroidit au fur et à mesure qu’il s’étend. Lorsqu’il atteint l’âge de 200 millions d’années, il est assez froid pour que les premières étoiles se forment. Ce phénomène peut avoir lieu car l’Univers primitif n’est pas parfaitement homogène. Il comporte de petites irrégularités dont l’amplitude a crû au cours de l’expansion. La force de gravitation a ensuite concentré les zones de densité plus élevée et la matière s’est finalement regroupée pour finalement constituer des étoiles qui se mettent à briller. Et c’est alors que l’Univers, jusque-là plongé dans l’obscurité totale, s’allume. Les premières étoiles se groupent dans des ensembles qui, de fusion en fusion, finissent par former des galaxies qui se distribuent elles-mêmes en amas et super-amas. Ce scénario est soutenu par des simulations informatiques qui sont parties des irrégularités originelles et ont abouti, sous l’effet des forces de gravitation, à un paysage cosmologique qui ressemble à celui que l’on observe aujourd’hui. Ces fluctuations n’ont pas été introduites de manière arbitraire. Elles ont bel et bien été observées, notamment par le satellite Planck qui a dressé une carte du fond diffus cosmologique. Et cette carte montre des zones sensiblement plus froides que d’autres.

A quoi ressemblent les premières étoiles ?

Elles sont plus grandes et brûlent leur combustible plus rapidement que celles d’aujourd’hui. Elles ne vivent probablement pas longtemps, quelques millions d’années seulement alors que le Soleil a une espérance de vie de quelque 10 milliards d’années, par exemple. Les réactions de fusion thermonucléaire qui se déroulent dans le cœur de ces premières étoiles permettent de convertir l’hydrogène et l’hélium, fabriqués après le Big Bang, en éléments plus lourds comme le silicium, le fer, le carbone, l’oxygène, etc. Cela signifie que les premières générations d’étoiles ne peuvent pas posséder de planètes puisque les éléments qui les constituent n’existent pas encore. En explosant, elles contaminent cependant l’Univers avec les ingrédients nécessaires au développement de systèmes solaires. Le nôtre et nous avec sommes constitués d’atomes synthétisés par des milliers d’autres étoiles.

Dans votre livre, « Our last Hour », vous réfléchissez au futur non pas de l’Univers mais de l’humanité. Vous voyez deux destins possibles : l’extinction ou l’expansion. Que voulez-vous dire ?

Il est peu probable que l’espèce humaine disparaisse. Je pense plutôt qu’un désastre pourrait provoquer la chute de notre civilisation. Il pourrait s’agir d’une guerre nucléaire, bien sûr, mais ce qui m’inquiète le plus, aujourd’hui, c’est un mauvais usage des biotechnologies. Il est très difficile de fabriquer une bombe à hydrogène. En revanche, la technologie nécessaire à manipuler des virus et des bactéries est moins sophistiquée et potentiellement accessible à des millions de gens. C’est ce qui la rend dangereuse. Il suffit d’une personne malintentionnée.

Vous écrivez que le XXIe siècle serait notre dernier siècle…

En réalité, je ne suis pas aussi pessimiste. Nous suivrons une voie cahoteuse au travers du siècle avec des hauts et des bas. Je ne nie pas que les nouvelles technologies peuvent s’avérer très puissantes et apporter des bénéfices à la civilisation. Dans mon livre, je mets l’accent sur les nouveaux risques qu’elles représentent et qui s’ajoutent aux risques plus classiques liés à la consommation excessive, l’épuisement des ressources naturelles et les changements climatiques, etc.

Que faire, dès lors ?

Cela représente un des plus importants défis politiques que l’humanité ait à affronter. On peut imaginer mettre en place des régulations pour diminuer ces risques mais encore faut-il les mettre en pratique. Il y a tellement de pays, chacun avec sa propre réglementation. Sans parler des pressions commerciales. C’est un peu comme vouloir contrôler la drogue. Cela fait des décennies que l’on essaie mais cela ne fonctionne pas.

Est-ce que l’expansion de l’humanité est une solution à ces problèmes ?

Non. Je ne pense pas que le fait de fuir la Terre puisse régler ces problèmes. Ce n’est pas facile de partir de notre planète. Il n’existe aucun endroit dans le système solaire qui soit aussi confortable que notre pôle Sud. Cela dit, dans un ou deux siècles, de petits groupes de personnes vivront dans l’espace. Peut-être sur Mars. Ces explorateurs excentriques, comme il en existe déjà, accepteront de courir des risques très élevés et seront admirés pour cela. Ils pourraient d’ailleurs aussi représenter le point de départ d’une nouvelle évolution. En utilisant des technologies du futur, ils pourraient modifier leur descendance pour qu’elle puisse s’adapter aux nouvelles conditions de vie. Cette population pourrait ainsi devenir une autre espèce, sur le long terme. Une espèce organique ou, pourquoi pas, biomécanique. En effet, qui sait ce que nous réserve l’avenir des ordinateurs et de l’intelligence artificielle?

Croyez-vous en la vie extraterrestre ?

On ne sait pas si elle existe. On ignore même ce qui a permis, sur Terre, la transition entre une chimie complexe et le premier organisme ayant un métabolisme et capable de se reproduire. Nous ne savons donc pas davantage si l’apparition de la vie est quelque chose de rare ou de fréquent dans l’Univers. Mais cela vaut la peine de chercher.

Vous avez été nommé Lord à vie. Est-ce un honneur ?

Non, ce n’est pas si spécial. Je fais partie, en effet, de la chambre haute du Parlement britannique. Je le dois, je suppose, au fait que j’ai participé à la vie publique. J’ai dirigé la Royal Society durant cinq ans, par exemple, et j’ai été impliqué dans différents événements politiques. Le système britannique compte des politiciens à temps partiel et j’en suis un.

Bio express

Nom : Martin Rees

Naissance : 23 juin 1942

Nationalité : britannique

Formation : Obtient son doctorat à l’Université de Cambridge, sous la direction du physicien Dennis Sciama, l’un des pères de la cosmologie moderne. Il occupe ensuite différents postes de chercheurs au Royaume-Uni et aux Etats-Unis.

Parcours : Professeur à l’Université du Sussex puis, en 1973, à l’Université de Cambridge. Membre de la Royal Society en 1992 puis président de l’institution entre 2005 et 2010. Nommé pair à vie à la Chambre des Lords en 2005, sous le titre de Baron Rees of Ludlow, sans étiquette politique.

Distinctions : Prix Balzan (1989), Albert Einstein World Award of Science (2003), le Crafoord Prize (2005) et bien d’autres.