Université de Genève - Faculté de psychologie et des sciences de l'éducation - Sciences de l'éducation

 

LIFE

Laboratoire de recherche

Innovation-Formation-Éducation

 

Séminaire de recherche LIFE 2001-2002

L'ORGANISATION DU TRAVAIL SCOLAIRE


Notes de synthèse du séminaire du 19 décembre 2001

Danielle Bonneton

Texte en discussion :

Olivier Maulini et Etiennette Vellas
Organisation du travail scolaire et formation des maîtres I :
La planification du travail : nouveaux enjeux


Adresse du site de l'unité de consolidation différenciée consacrée à la planification du travail scolaire : http://unige.ch/fapse/SSE/teachers/maulini/planification1.htm


En préambule quelques précisions données par les auteurs quant au statut du texte cité ci-dessus et discuté dans le cadre du séminaire de recherche : il s'agit d'un premier texte, suivi d'un second, complémentaire, qui vient d'être achevé et dont le versant sera plus prospectif.

Par rapport au champ du séminaire de recherche, il convient de préciser son statut, son objet et de le contextualiser. Dans le cadre de la licence mention Enseignement, les auteurs ont en charge un séminaire de consolidation différenciée sur la planification du travail scolaire, que les étudiants en sciences de l'éducation peuvent suivre en dernière année de leur parcours de formation. La question de l'organisation du travail scolaire, de sa conception, de sa planification ainsi que la perspective de la première classe et de sa gestion préoccupe légitimement les étudiants.

Quand la formation a pour enjeu d'être au plus près du travail réel

C'est principalement en raison de la demande des étudiants et de l'absence de traitement direct de cette problématique dans la formation initiale des enseignants que cette unité de formation a été mise sur pied. Elle est de forme compacte sur quatre jours et permet un travail à flux tendu; le dispositif se présente ainsi : après avoir entendu divers exposés sur des présentations d'organisation du travail par des enseignants expérimentés, les étudiants travaillent pendant une semaine à planifier en groupe une organisation de travail par cycles qu'ils présentent à la fin de l'unité de formation dans un mini colloque ainsi que sur le site internet. En bref, une conception qui s'enracine dans une méthodologie du projet. Les enseignants universitaires restant essentiellement des personnes ressources, favorisant les discussions, le questionnement, les relances, facilitant aussi le processus et la production.

Les auteurs relèvent la difficulté potentielle qu'ont les enseignants titulaires de classes à faire ce travail de présentation de la planification de leur travail scolaire; il est difficile par conséquent de diversifier les présentations tant le public qui se prête à ce genre d'exercice est rare. Sont posés des problèmes d'objectivation et d'explicitation de la pratique et de distanciation, qui mettent en jeu des raisonnements sur des manières de faire, jusque-là bien souvent implicites; elles touchent aux registres de la subjectivité au travail, de l'implication, de l'identité professionnelle; autant de facettes qui renvoient à l'habitus professionnel et l'inconscient pratique et à des dimensions anthropologiques de la pratique.

Cette centration sur la tâche demandée - expliciter son organisation et sa planification du travail scolaire - est difficile à tenir et peut dévier de son objectif "pragmatique" comme un point de fuite sur les valeurs et les finalités. Ces dernières ont pleinement leur légitimité dans la pratique pédagogique mais le focus sur le travail tel qu'il se pense et se réalise est un réel enjeu d'objectivation et d'explicitation : cette difficulté a largement à voir avec la difficulté de saisie de l'objet et le statut de l'action.

Du côté des étudiants, la tâche demandée n'est pas plus simple : une planification simulée collectivement pour être au plus près du travail réel, tel est en quelque sorte le paradoxe d'une formation qui se pense en phase avec les réalités du terrain. La simulation s'approche de la réalité du terrain, mais ne peut s'y substituer. La première classe ou le premier cycle d'enseignement-apprentissage est une réalité à laquelle la formation ne peut préparer que jusqu'à un certain point.

Il faut noter, même si la modestie des formateurs devait en souffrir, que cette formation est très appréciée des étudiants; elle les met certes en situation déstabilisante, en situation de tâtonnement pour créer des cycles; elle engage à travailler les plans d'études, les objectifs, les structures et les dispositifs, jusqu'aux esquisses d'activités que les étudiants ont a présenter, à discuter, à argumenter. Mais elle est aussi signifiante quant à l'investissement subjectif dans la formation et aux perspectives de l'insertion professionnelle future, et pertinente par rapport aux outils appréhendés (outils méthodologiques et travail sur le travail prescrit) pour exercer la future profession.

De ce point de vue, le texte est en rapport avec l'expérience des auteurs, à la fois enseignants et chercheurs en formation initiale. L'entrée par la formation contribue heureusement ainsi à la problématique du séminaire de recherche.

Un premier commentaire des auteurs mentionne l'absence de traitement et de prise au sérieux de cette question de la planification du travail scolaire dans le champ scientifique et l'enjeu est bien d'en faire une réelle question de recherche. Plutôt que de considérer que les questions des étudiants relèveraient du seul registre psychologique, des angoisses des enseignants débutants, il serait pertinent de relever les défis scientifiques des objets que les formations professionnalisantes importent dans les universités et les questions qu'elles posent à la formation et à la recherche. Cette question est bien sûr diversement appréciée dans le milieu scientifique.

Par rapport à la problématique du séminaire, il faut signaler que le texte, au plan de sa conception, est parti de l'expérience de plusieurs années de travail avec les étudiants; au plan théorique et conceptuel, il s'intéresse surtout à la planification du travail comme une sous-question de l'organisation du travail scolaire.

Curriculum et pratiques : une histoire de décalages

Constat est fait que la culture professionnelle enseignante est encore massivement dans l'implicite, même si par ailleurs, le travail en équipe se développe. La connaissance incarnée des programmes n'est pas le fait d'un hasard : lorsque l'on se demande pourquoi un enseignant met l'imparfait au plan de travail de la semaine; il y a, on s'en doute, des logiques cachées, des savoirs d'expérience et d'action, des savoirs incorporés, qui ne se donnent pas à voir d'emblée. L'absence de partage et de pensée collective, d'interrogation et de (re)construction relative des programmes au sens d'une appropriation du curriculum et de la transposition didactique reste dans l'implicite : sortir de l'implicite et travailler sur l'habitus professionnel relève bien d'un enjeu de formation.

Indépendamment des transformations curriculaires et des enjeux de formation, l'école est-elle toujours prisonnière de la forme scolaire ? Un simple retour historique et local, à propos de l'évolution des plans d'études à Genève et de leurs passages et reconstructions en divers plans d'études romands (régionaux), nous convie à apprécier les transformations curriculaires et à en questionner les effets sur les pratiques. Les plans d'études, et surtout les manuels scolaires ont été, jusque très récemment, largement éloquents, incitatifs et prescriptifs de la manière dont on pouvait et l'on peut encore faire le programme au jour le jour, en déroulant le texte du savoir. L'emboîtement des séquences, la chronologie et la temporalité s'enracinent dans une vision au quotidien et sur une l'année scolaire et l'on considère dans l'après-coup, le retard pris sur le programme, retard que l'on peut combler. La logique est linéaire, hiérarchisée et compensatrice. Appréciation bien schématique, certes, mais que Leuk-le-Lièvre (un manuel africain de 1954 assorti  d'une méthode d'apprentissage de la lecture) illustre magnifiquement. Les feuilletons du manuel servent d'ailleurs de prétexte à une succession d'exercices de lecture, d'élocution, de grammaire, de vocabulaire et d'orthographe, comme le soulignent Maulini & Vellas.

Des théories socioconstructivistes de la classe au système ?

De Leuk-le-lièvre aux cycles d'apprentissage, l'école évolue entre deux paradigmes : à un autre pôle, en effet, on assiste à un changement de paradigme, où le rapport aux programmes et aux objectifs (objectifs noyaux et de fin de cycles) réclame une appropriation active et une (re)construction individuelle et collective des professionnels; on se retrouve dans une logique socioconstructiviste, interactive et systémique au sens ou les objectifs terminaux sont travaillés en termes de boucles de régulation et où le principe de l'observation et l'évaluation formatives et formatrices dominent.

Ä un pôle, une logique en escalier, à un autre une logique circulaire. Tout se passe comme si aujourd'hui le système scolaire s'inscrivait en direct dans la logique des théories de l'apprentissage ; une volonté tout à fait louable et intéressante, mais qui omettrait de donner en kit les clefs de lecture théoriques et méthodologiques nécessaires à une transformation significative des pratiques enseignantes.

Ainsi on peut observer un relatif dysfonctionnement dans des pratiques qui se cherchent et coexistent dans les têtes et dans les pratiques deux logiques contradictoires : une logique annuelle et une logique de cycles de quatre ans. Les enseignants sont contraints de penser les séquences didactiques en termes en fonction de logiques et de moyens d'enseignement en décalage avec la réalité du travail prescrit. Même si le problème des décalages entre travail prescrit et pratiques n'est pas nouveau, il augmente, dans une large part, la souffrance au travail et les situations aberrantes dans lesquelles se trouvent les enseignants : confusion entre planification et évaluation, par exemple, la planification visée pour la construction du cycle et l'évaluation pour le bulletin scolaire de la prochaine période. Tensions planification-certification mais aussi tension entre représentations et pratiques des enseignants.

D'aucuns, parmi les accompagnateurs de projets ou les formateurs d'enseignants ou les enseignants eux-mêmes, dénoncent l'absence de repères théoriques, les niveaux de ruptures, l'absence d'accompagnement et/ou de pilotage des réformes dans différents lieux : les enseignants se voient renvoyés à leur propre créativité, inventivité face à des déclarations d'intentions et à des prescriptions qu'ils n'ont, la plupart du temps, pas les moyens de s'approprier. L'école apprend elle aussi, les enseignants apprennent en partie un nouveau métier, ce qui engage à mettre en place des dispositifs de pilotage du système, de suivi et d'accompagnement des écoles, des formations et des mises en réseaux pour construire et élaborer collectivement de nouveaux savoirs.

Et se mélangent aujourd'hui différents enjeux liés à la gestion du système, au degré de professionnalisation, au statut évolutif de la profession, au degré de prescription des programmes et probablement aux acteurs à différents niveaux du système, à gérer le travail, les programmes, le personnel et la division du travail, l'école. On ne peut pas penser l'école sans en avoir une vision systémique et complexe des enjeux qui la traversent. L'organisation du travail scolaire n'en n'est pas absente.

Le métier d'enseignant : ouvrier ou architecte ?

Pourquoi le système, dans le mouvement de professionnalisation et d'autonomie des établissements, réclamé d'ailleurs par les syndicats, pousse-t-il l'ouvrier sur le devant de la scène en le rebaptisant architecte : ballotté entre deux logiques, l'enseignant oscille par rapport aux responsabilités qui lui sont attribuées. Cette question, à peine esquissée, est à reprendre en sélectionnant avec plus de rigueur les niveaux d'analyses.

Tout cela n'est pas sans lien avec l'image du métier, son statut, son degré de professionnalisation : entre professionnel et exécutant, entre prolétarisation et professionnalisation comme le décrivent les sociologues, la professionnalité évolue pour se hisser au rang des professions libérales. Mais à quel prix ? Et l'on pourrait aussi se demander d'un point de ce point de vue pourquoi le système délègue-t-il en partie aux enseignants la responsabilité - les responsabilités - théoriques, politiques, stratégiques et pédagogiques ? Que pourrait cacher la décentralisation du système ? Plus simplement dit : pourquoi l'ouvrier devient-il architecte ? A qui cela profite-t-il ?

On assiste aujourd'hui au constat de la charge théorique et cognitive que l'on fait peser sur les enseignants qui ont à organiser l'organisation dans le cas de l'organisation du travail par cycles d'apprentissage. En mettant le cap sur les compétences, l'enseignant se doit de travailler et c'est la finalisation, à l'apprentissage des élèves, de tous les élèves, dans une perspective de démocratisation. Conjuguer les compétences d'apprécier les interactions cognitives entre enfants, entre l'enfant et la tâche, relancer les enfants, réguler les dispositifs mais les aussi les construire dans des dispositifs et des systèmes de régulations larges, souples, récurrents : les objectifs d'apprentissage pour les cycles prescrivent par exemple le travail d'un objectif de fin de cycle en moyenne deux fois par cycle, laissant par là à la fois souplesse et contrainte, régulation potentielle des dispositifs dans des groupes de besoin, inter cycles etc. Tout un faufilage, un bricolage, une trame complexe à construire. Au niveau des enseignants, les injonctions paradoxales, comme le signalent les auteurs, telles que soyez créatifs ou encore vous êtes compétents, ne fournissent pas les dispositifs de suivi et d'accompagnement, d'étayage et d'analyse de pratiques que réclame ce changement de paradigme et de travail.

Des compétences et des savoirs, un nécessaire balisage
de la planification du travail scolaire

De ce point de vue, la formation initiale et continue se confrontent à la construction de compétences professionnelles de haut niveau pour penser, concevoir, réguler l'organisation et la planification du travail scolaire. Les compétences didactiques sont également au cœur du métier et l'enseignant devrait pouvoir disposer de connaissances à la fois pointues et diversifiées, comme d'une théorie du sujet apprenant, et pouvoir à la fois observer, comprendre et en partie interpréter les dynamiques opératoires du sujet producteur de texte, si l'on prend l'exemple de la production de textes; à la fois des éléments sur les logiques et les dynamiques de production, sur les modèles de production, sur les théories de l'apprentissage ou sur un modèle du sujet producteur de texte.

La question du rapport au savoir et de la connaissance didactique s'interpénètrent comme l'illustre une praticienne, qui de son point de vue, dit avoir besoin d'une sorte de check list dans sa tête pour voir fonctionner les élèves, mais aussi de disposer de savoirs théoriques et de savoirs d'expériences pour lire les comportements et les procédures des élèves en situation d'apprentissage. Une entrée par la complexité des situations et des enfants est donc une condition nécessaire, si l'on fait le deuil d'un potentiel et illusoire diagnostic préalable.

Indépendamment des enjeux et de la complexité des situations d'innovation et de réformes, l'école devrait pouvoir construire et disposer de réponses stables à l'organisation du temps et du travail scolaire. Une planification, en forme d'emboîtements, de poupées russes, sur quatre à huit ans avec une large prospection dans l'avenir est maintenant nécessaire. Il y a de bonnes raisons, pragmatiques, stratégiques et théoriques, de concevoir et de baliser des itinéraires, de disposer d'une feuille de route, avec des étapes, des étages, des pré requis. Et de bonnes raisons théoriques de travailler sur des tâches complexes, en visant d'emblée les compétences à construire. Personne ne plaide pour l'improvisation dans la construction des savoirs.


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