Université de Genève - Faculté de psychologie et des sciences de l'éducation - Sciences de l'éducation

 

LIFE

Laboratoire de recherche

Innovation-Formation-Éducation

 

Séminaire de recherche LIFE 2001-2002

L'ORGANISATION DU TRAVAIL SCOLAIRE


Notes de synthèse du séminaire du 6 février 2002

Andreea Capitanescu

Texte en discussion :

Danièle Périsset Bagnoud
Du débat sur les compétences à l'application du concept dans le terrain,
une question centrale pour les nouvelles formations d'enseignant-es


Le débat a largement porté sur la question de la construction des curricula scolaires en termes de compétences. L'auteur du texte, avec une vision d'historienne, se pose constamment la question de la recevabilité ou de l'interprétation de ces nouveaux curricula par les premiers acteurs concernés, c'est-à-dire les enseignants. Plusieurs axes de réflexion ont traversé notre débat.

 

L'innovation : "on adopte rapidement que ce qui est visible"

Les quelques exemples ou explications données sortent du contexte scolaire valaisan, mais pourrions-nous avancer l'idée que les mécanismes des innovations sont partout les mêmes ?

Comment les innovations pénètrent dans le système scolaire ? Quelle théorie de l'innovation sus-jacente ? Est-ce que tout est réellement neuf ? Ou chaque réforme, comme Objectif Grandir ne fait que de formaliser ce qui se fait déjà partiellement dans le système scolaire ? Nous avons abordé la question des apports de la pédagogie institutionnelle, en prenant comme exemple, les dispositifs : "quoi de neuf", "le conseil de classe". Il s'agit de dispositifs très connus dans le système scolaire. Pourquoi ? Quand une innovation passe la rampe, ne s'agit-il pas de ses parties les plus visibles : les dispositifs, les techniques, etc. Afin de montrer que les mécanismes sont partout les mêmes, nous pourrions prendre l'exemple de Genève sur l'introduction massive du conseil de classe dans les pratiques. Une majorité de classes de l'école primaire genevoise a mis en place le conseil de classe, mais il ne s'agit là que d'une partie de la pédagogie institutionnelle ou coopérative. Pousser l'interprétation pour avancer que les classes travaillent dans le sens des classes coopératives ou institutionnelles serait un grand pas. Pourquoi certains éléments pénètrent et pourquoi ce qui s'introduit rapidement est le plus visible ?

 

Ce qui change avec les compétences

Les situations d'apprentissage complexes et l'évaluation

Si l'on prend la question des compétences au sérieux, nous nous embarquons dans un débat en cours de longue haleine. Une nébuleuse se présente à nous : compétence ou capacité ? Tous les chercheurs, les praticiens ne sont pas d'accord sur la définition même de compétence (Dolz, J. et Ollagnier, E., 1999). Mais sur quoi débouche un travail scolaire à partir d'un curriculum formel et formulé en termes de compétences ? Nous pourrions avancer que depuis longtemps les programmes scolaires ont franchi le pas d'une formulation par compétences, mais qu'en est-il dans les pratiques ? On les transforme souvent en objectifs disciplinaires, en un découpage en plus petites unités, ce qui peut être plus rassurant pour l'enseignant. L'enseignant vise une maîtrise et il est pris dans une injonction d'évaluation forte à la fois de la part de l'institution et des parents en tant que consommateurs d'école. Comment évaluer alors une compétence ? Nous ne pouvons pas vérifier une compétence avec les démarches "papier-crayon" traditionnelles, car celle-ci est fugace, se présente à un moment donné et n'est pas stable. Nous ne pouvons pas dire qu'il y a compétence une fois pour toutes, car elle est située dans un contexte d'action.

Si nous ne pouvons pas évaluer une compétence par "fiches", que tenterait de faire alors le professionnel ? Quelles sont donc les théories de l'apprentissage qui font agir l'enseignant ? Quel est l'usage social de l'apprentissage ? Une compétence se vit et s'évalue en dehors de l'école, en dehors de la classe ? Ou une compétence peut-elle s'observer en classe ? Ou seules les performances sont-elles visibles en classe ? À quelles pratiques sociales, la compétence se réfère ?

Organiser les programmes scolaires en termes de compétences vise la traduction d'un développement durable, les contraintes de l'évaluation n'étant plus les mêmes. Dans une évaluation par compétence, l'évaluation, les moyens ou les modalités que l'institution propose et/ou prescrit vivent une certaine crise. Pour évaluer une connaissance, nous pourrions avancer sans grande difficulté ce qui est juste ou ce qui est faux. Par contre, en tentant d'évaluer une compétence, il faut observer les élèves, les adultes au travail. Que font-ils ? Comment se prennent-ils ? Par quoi commencent-ils ? À quel moment et comment utilisent-ils les ressources humaines ou matérielles environnantes ? Que font-ils face à un obstacle ? L'observation de la compétence est graduelle et répétitive. C'est un diagnostique progressif de la compétence, ce qui entraîne un nouveau travail didactique.

 

Les compétences en lien avec les pratiques sociales

Si la compétence est liée à une pratique sociale, quel est le nombre limité de compétences travaillées à l'école ? Quels sont les choix ? Quelle est la liste de compétences choisies pour l'école obligatoire ?

"Faire des situations complexes d'apprentissage", disent certains. Mettre en place des situations complexes d'apprentissage sur les temps de l'institution relève d'une compréhension des pratiques sociales et d'une expertise professionnelle de la part de l'enseignant. Défendre des choix pédagogiques dans le but de mettre sur pied des situations complexes d'apprentissage qui touchent aux compétences, relève aussi d'une meilleure connaissance des pratiques sociales.

Si l'on prend comme exemple l'apprentissage de la lecture en termes de compétences, alors la question qui guiderait notre réflexion est : dans quelle pratique sociale apprenons-nous à lire ? La conception des situations d'apprentissage serait influencée par les pratiques sociales. Il s'agit de choix des enseignants, d'une expertise de l'enseignant, de la formation des enseignants. Il s'agit aussi de choix politiques et philosophiques à faire. Quelles sont donc les pratiques sociales de la lecture, de l'écriture ? Quelles pratiques sociales veut-on creuser davantage ? Toute organisation ou toutes les organisations scolaires mettent en œuvre des choix, des conceptions de l'apprentissage.

 

Les compétences : quelles pistes pour la formation des enseignants ?

Comment l'enseignant se questionne par rapport à une organisation scolaire qui privilégie un travail par compétences ?

Les enseignants se trouvent souvent dans l'injonction : "changez", "maintenant travaillez par objectifs", soit "travaillez par compétences", selon les modes pédagogiques qui viennent et qui passent, etc. Les enseignants doivent s'adapter aux réformes : certains sont en crise, d'autres non.

Nombreux sont ceux qui reçoivent des nouvelles prescriptions, des "concepts" plus ou moins vulgarisés et souvent en chantiers chez les chercheurs, des " nouveaux mots " à intégrer dans leur pratique. Il y a un mélange de rejet et de confusion, de la fatigue, de la non-reconnaissance de ce qui se fait déjà.

Devant les injonctions de changement, tout le monde essaie de faire de son mieux et comme on ne sait pas faire, alors on régresse et l'on fait comme avant ; ou l'on fait ce qu'on veut. Le découplage entre les textes, les programmes et les pratiques existe toujours. Sur la question de l'organisation du travail scolaire, l'enseignant fait appel à son autonomie professionnelle et à son expertise. La question de l'organisation scolaire reste centrale car on ne peut ne pas organiser le travail. Toute organisation peut comporter une dimension schématique ou simplificatrice de la réalité du système, mais toute organisation est néanmoins une réponse et une solution à un questionnement sur comment on peut agir au mieux. Alors, quand l'enseignant reçoit l'injonction de travailler en modules, ou en cycles d'apprentissages, cela ouvre un espace de réflexion sur les apprentissages en jeu, les compétences à construire et dans quelles sortes de dispositifs.

 

Des espaces de construction active des changements

Des espaces de construction active et collective du changement, des groupes ou des dispositifs d'accompagnement intégrant les différents acteurs n'existent presque pas dans le pilotage des réformes soit des innovations. Pourtant les situations d'incertitudes se multiplient : les réactions des acteurs comme non maîtrisant le jeu, apparaissent. À chaque question qu'un changement pose, les réponses ne sont pas données en avance, les choix ne sont pas joués : il y a une part de construction du problème par les professionnels et de définition, ce qui peut ajouter de la confusion pour beaucoup.

Comment les formations des enseignants prennent en compte la question de l'innovation scolaire, des réformes scolaires ? Comment se préparer à un métier inachevé, à un métier "complexe", à un métier "impossible" sans être "laxiste" ou "cynique" car tout change et on ne peut plus être formé une fois pour toutes pour un métier immobile ?

Le malaise enseignant, est-ce la formule qui exprime en quelque sorte la souffrance professionnelle ? Comment l'enseignant peut supporter cette complexité ? Comment préparer les enseignants à des conséquences curriculaires fortes ? Qu'est-ce qui le plus urgent à faire dans les formations des enseignants ?

Des lieux de parole, de confrontation sur cet "ordre impossible" devraient offrir des espaces d'analyse du travail : entre ce qui se fait ou ne se fait pas ou plus, ce qui est prescrit, ce qui se défait, mesurer le décalage. Dans les formations des enseignants, le questionnement devrait être une posture essentielle : se préparer à la complexité du métier, à questionner le réel, à apprendre travailler sur du "flou", à adopter des postures d'"explorateur", à apprendre à mesurer la distance soit le décalage entre ce qui est visé par les réformes et ce qui se fait déjà.

 

Exploration sur la boîte noire des pratiques déjà existantes

Si l'on pose concrètement la question de savoir comment les enseignants s'organisent pour apprendre à écrire ou à lire, nous n'avons pas de réponse immédiate. C'est la "boîte noire". Pourtant ils le font, ils s'organisent et organisent quotidiennement des activités, des dispositifs d'apprentissage. Il y a de nombreuses manières de faire, mais aucune une culture commune soit une culture partagée. Comment arriver à faire expliciter les enseignants sur leurs pratiques ? Qu'est-ce qu'ils font déjà ? Comment ils le font ? Comment ils s'y prennent ? Comment ils se débrouillent ? Quel est le statut de l'action ? Quel est le travail prescrit ? Quel est le travail réel ? Qu'est-ce qui se pré-organise et organise ? Qu'est-ce qui se pré-structure ou se structure ? Qu'est-ce qui est codifié et comment ?

 

Pour finir provisoirement, quelques questions à creuser :

Est-ce qu'il y a des bonnes pratiques ? Est-ce qu'on les connaît ? Faut-il explorer les pratiques qui donnent des bons résultats ? Y a-t-il des pratiques plus efficaces ?

De quel droit changer les pratiques ? Peut-on légitimer un certain nombre de pratiques par rapport à d'autres ?

Qui pilote l'école ? Qui pilote le changement dans l'école ?

Quels sont outils pour résister à l'activisme, à la fuite en avant ? Quels sont nos outils d'auto-évaluation et de réflexion dans les systèmes d'enseignement ou scolaires pour préparer le passage à l'acte ? Comment anticiper les compétences nécessaires aux changements dans l'école ?

 

Référence bibliographique :

Dolz, J. et Ollagnier E. (1999) L'énigme de la compétence en éducation, Paris, De Boeck Université.


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