Université de Genève - Faculté de psychologie et des sciences de l'éducation - Sciences de l'éducation

 

LIFE

Laboratoire de recherche

Innovation-Formation-Éducation

 

Séminaire de recherche LIFE 2001-2002

L'ORGANISATION DU TRAVAIL SCOLAIRE


Notes de synthèse du séminaire du 24 avril 2002

L'organisation du travail
comme objet de recherche

Philippe Perrenoud

 

Texte en discussion :

Olivier Maulini et Danielle Bonneton

Travail organisé, travail organisant et rendement

 


Ces notes sont organisées en quelques chapitres qui reprennent librement des thèmes abordés dans le débat.

 

La prescription appartient aux acteurs

Dans un petit livre devenu célèbre, " Le Savant et le Politique ", Max Weber soutenait l'idée que les valeurs et l'idéologie du chercheur peuvent tout à fait légitimement guider le choix de son objet et de sa problématique de recherche. Nul ne choisit un thème de recherche de façon désintéressée. Même si le choix est opéré " dans l'intérêt de la science ", dans une perspective de recherche fondamentale, il implique une réponse à la question " Qu'avons-nous besoin de savoir en priorité ? ", ce qui ne va pas sans une échelle de valeurs.

Max Weber disait aussi qu'une fois l'objet et la problématique de la recherche arrêtés, le chercheur devait suspendre ses jugements de valeur et ses préférences et s'en tenir aux faits. On sait que les faits sont construits et qu'il est difficile de n'introduire aucune subjectivité dans le traitement et l'interprétation des données, même lorsqu'on s'arme des méthodes les plus rigoureuses. Reste que tendre vers ce que préconise Max Weber distingue la recherche d'autres façons de proposer des représentations de la réalité.

Lorsque le choix de l'objet et de la problématique de recherche est clairement lié à des raisons politiques ou pragmatiques, le risque s'accroît sans doute d'infléchir l'analyse en fonction de jugements de valeur ou d'en tirer abusivement des conclusions prescriptives. Ces deux risques n'appellent pas les mêmes précautions.

Pour tenter de neutraliser les influences de l'idéologie sur l'analyse et l'interprétation des données, on dispose d'au moins trois ressources :

1. L'explicitation de l'idéologie des chercheurs et de leurs raisons d'avoir choisi tel objet et telle problématique. LIFE a ouvertement choisi le thème de l'organisation du travail parce qu'il apparaissait un nœud stratégique dans les transformations des systèmes éducatifs et des pratiques d'enseignement-apprentissage. Avec l'hypothèse explicite que l'échec de nombre de réformes récentes s'explique par l'impasse faite sur ce problème ou par l'irréalisme des réformateurs dans ce registre. Il s'ensuit une réelle tentation de privilégier dans l'analyse ce qui renforce ces hypothèses.

2. Une méfiance obsessionnelle à l'égard de ce qui semble confirmer les hypothèses des chercheurs. Alors que le sens commun pousse à prendre le plus fragile indice comme une confirmation de ce qu'on suppose, la posture de recherche invite à douter et à mettre la plus grande énergie à infirmer ce qui paraît vraisemblable. C'est la thèse de Karl Popper, une épistémologie et sans doute une éthique de la réfutation. Au quotidien, l'ambivalence est forte…

3. Un contrôle intersubjectif, partant du principe que si tout est mis en débat, cela accroît les chances de repérer les biais. Encore faut-il suffisamment de diversité et d'écoute mutuelle pour que les avis divergents soient entendus.

Le second risque - passage à la prescription - est plus facilement maîtrisable, avec un peu de vigilance, même lorsque le discours normatif reste implicite. On se heurte en revanche à une confusion classique qu'il importe de cerner pour ne pas la reproduire constamment. En sciences sociales, l'objet est un sujet humain ou un ensemble de sujets ou d'acteurs qui pensent, ont des valeurs et des préférences, émettent des jugements et des normes, formulent des prescriptions.

Éliminer ces " faits normatifs " du champ de la recherche non seulement l'appauvrirait, mais empêcherait radicalement de comprendre et d'expliquer les pratiques et les institutions. La difficulté est alors, pour le chercheur, de traiter ces dimensions normatives de la culture et de l'action humaines comme des faits, plutôt que comme des affirmations que le chercheur aurait en tant que tel à valider ou à contester. Il en va d'ailleurs exactement de même pour les savoirs qui influencent les interprétations, les décisions et les conduites des acteurs. Peu importe que le chercheur partage ou non ces savoirs, ce sont des faits. Bref, la tâche du chercheur est de prendre les représentations et les jugements des acteurs comme des éléments d'explication de leurs pratiques, ni plus ni moins.

C'est pourquoi il importe de souligner aussi souvent que nécessaire que lorsqu'il est question d'efficacité, de rendement, de rationalité, mais aussi de justice, de transparence ou d'humanité, on parle des représentations des acteurs. C'est donc avec leurs mots et leurs définitions de ces mots que les chercheurs doivent travailler. De même, si les acteurs professent une théorie du contrôle, de la division du travail, de la compétition ou du développement des ressources humaines, c'est elle qu'il faut prendre en compte, car c'est elle qui sous-tend leur conception de l'organisation du travail. Qu'elle soit inspirée en partie des sciences sociales et que le chercheur repère des fragments de savoirs savants dans les propos des acteurs ne simplifie pas sa tâche. Même dans ce cas, c'est la compréhension de l'acteur qui fait foi, y compris s'il se réfère, du point de vue du chercheur, à un état controversé ou dépassé de la science, même s'il généralise abusivement ou utilise les données ou les raisonnements scientifiques de façon fantaisiste ou opportuniste.

Si le séminaire admet que, dans le champ de l'organisation du travail, on trouve des acteurs qui ne cessent à leur façon de penser et de juger l'organisation du travail, on ne s'étonnera pas qu'il faille très souvent s'arrêter pour clarifier et rendre à César ce qui lui appartient : ses normes, ses valeurs, ses jugements, ses évaluations, ses explications, ses théories, ses pronostics, ses stratégies.

Arrivera sans doute un jour où la recherche aboutira à quelques conclusions. Rien n'interdira alors d'en tirer quelques implications prescriptives pour les réformes scolaires, par exemple. Il apparaît fécond de ne pas précipiter cette phase, du moins dans le travail collectif. Chacun reste évidemment libre de passer au registre prescriptif dans son propre contexte d'action, hors du séminaire.

 

Le travail en amont du travail

Si l'on distingue un travail organisant et un travail organisé (ou instituant/institué) on désigne dans les deux cas une activité finalisée, qu'on exerce assez souvent dans le cadre d'une organisation et d'un métier.

Il n'y a aucune raison de considérer que l'une de ces activités est un " vrai " travail alors que l'autre ne serait qu'un préalable. Reste que leur objet n'est pas le même : le travail d'organisation assigne au travail organisé des espaces, des tâches, des temporalités, des exigence, des dispositifs et des procédures, donc le contraint et le soutient en même temps.

Il arrive que le travail organisant et le travail organisé soient accomplis par la même personne ou la même équipe. Dans ce cas, on dira qu'une personne ou une équipe " organise son propre travail ". Mais le fait de jouer ce double rôle modifie considérablement la frontière entre travail d'organisation et travail organisé.

Lorsqu'il y a séparation des acteurs, l'organisation du travail se situe en amont du travail organisé, comme l'écriture et la mise en scène d'une pièce de théâtre se situent en amont de la représentation. Les acteurs entrent dans une organisation du travail qui leur préexiste, ils en héritent à la fois à travers des prescriptions explicites et des aménagements institués des temps, des espaces, des équipements, des ressources.

Les auteurs de l'organisation du travail n'entrent pas alors en interaction directe avec les travailleurs. Entre ces deux groupes d'acteurs, rien n'est négociable, du moins dans l'immédiat. Le seul choix des opérateurs est de se plier à l'organisation du travail prévue à leur intention ou de s'en éloigner de façon illicite, dans les limites matérielles des dispositifs mis en place et en assumant des risques, compte tenu de la surveillance qu'exerce l'encadrement de proximité et des comptes à rendre sur les résultats.

Il y a donc dans ce cas une forte asymétrie et un conflit potentiel entre le travail d'organisation et le travail organisé. Le premier produit une organisation formelle que le second est censé respecter et qui est une composante du travail prescrit. Ce dernier est le produit du travail réel des organisateurs, mais ce travail achevé devient une institution. Les travailleurs se trouvent dans la situation d'acteurs qui répètent une pièce dont l'auteur n'est pas accessible et auquel on ne peut donc demander de remanier son texte pour le rendre plus " jouable ". Ils doivent soit se tenir strictement au texte, soit le transgresser à leurs propres risques et périls.

Lorsque le travail réel de ces derniers ne respecte pas l'organisation formelle prévue, il dévalorise ou invalide l'œuvre de ses auteurs :

Chaque fois que le travail des uns consiste à organiser le travail des autres, ou à le contrôler, il y a une tension potentielle, qui peut devenir un conflit ouvert si les acteurs concernés entrent en contact. Dans les grandes entreprises, il est souvent difficile d'identifier les auteurs de l'organisation du travail, qui œuvrent parfois sur un autre continent. Le conflit se développe alors entre les opérateurs et le personnel d'encadrement et de surveillance qui, sans être l'auteur des prescriptions et de l'organisation du travail, a pour tâche d'en garantir le respect.

Même dans une entreprise ou une administration de petite taille, il n'est pas toujours facile d'identifier les auteurs de l'organisation formelle du travail, soit parce que nombre d'acteurs concourent à ce produit, chacun dans sa logique (sécurité, productivité, image de l'entreprise, gestion des ressources humaines), soit parce que certaines décisions ont été prises des années auparavant et sont consignées dans des textes qui survivent à leurs auteurs.

À l'autre extrême, quand une personne ou une équipe organisent leur propre travail, la dissociation entre le travail d'organisation et le travail organisé devient ténue, abstraite, et on ne peut plus la repérer en fonction de la diversité des acteurs en jeu ou de l'antériorité des décisions d'organisation.

En effet, si les opérateurs sont maîtres de l'organisation de leur travail, ils peuvent la faire évoluer en permanence. À la limite, elle devient une composante permanente de l'activité. À quel moment un artisan, un écrivain, un chercheur travaillent-ils ? À quel moment organisent-ils leur propre travail ? On peut certes saisir des moments où l'organisation du travail semble dominante : classement, planification, choix et préparation d'instruments, disposition des lieux et outils, choix de stratégies. Et d'autres moments où domine une activité qui s'inscrit dans cette organisation sans la remettre en question. Mais on saisit la fragilité de la distinction. Un travail de rédaction ou de création peut déclencher n'importe quand une réorganisation du plan ou des priorités. Si cette réorganisation est radicale, elle interrompra la production. Elle s'y intégrera de façon presque transparente s'il s'agit d'un aménagement partiel, d'un affinement, bref d'une régulation. Toutefois, de régulation en régulation, l'organisation du travail peut subir de fortes transformation, sans que la production soit interrompue.

D'où la nécessité de distinguer deux sens possibles et légitimes de l'idée d'organisation du travail :

Lorsque l'opérateur et le concepteur du travail se confondent, ces deux modalités coexistent, mais deviennent difficiles à dissocier. Dans la plupart des structures complexes, l'organisation du travail précède le travail, puis s'y intègre pour réguler tout ce qui ne pouvait être anticipé. Le fait qu'il existe un travail organisé ne signifie pas qu'il est entièrement et adéquatement organisé. Même lorsque ses tâches sont prescrites dans leur détail et inscrites dans une organisation du travail très stricte et détaillée, l'opérateur garde un certain pouvoir d'organisation de son propre travail. Si on ne le lui reconnaît pas, il le prend, soit pour mieux faire son travail, soit pour se protéger des risques que l'organisation du travail fait courir à sa santé, son intégrité morale, ses relations, etc.

Penser l'organisation du travail consiste probablement à penser à la fois la complémentarité et l'opposition de ces deux modalités.

 

L'organisation du travail comme dimension de toute activité

Aucune activité complexe ne réussit si elle n'est pas minimalement structurée en phases et préparée par un travail de planification et de préparation des ressources, des outils, des espaces de travail. Quiconque prépare un repas l'apprend à ses dépens. Il ne suffit pas de maîtriser chaque procédure pour elle-même. Leur enchaînement ou leur développement en parallèle sont essentiels et le timing ne peut être respecté qu'au prix d'une anticipation - qui abrège les processus de décision - et d'une préparation matérielle de tout ce qui peut être fait avant et mis en réserve.

Le travail de l'enseignant peut être dans une large mesure pensé sur ce modèle, dans la mesure où le temps dévolu à chaque activité est compté, où les interruptions du processus peuvent lui être fatales, où tout ce qui n'a pas été pensé et préparé en amont peut constituer un handicap au moment où l'action didactique exige le maximum de disponibilité.

S'il y a dans ce métier une part d'improvisation inévitable et sans doute créatrice, il y a aussi une part importante de planification, qui rend d'ailleurs possible l'improvisation.

L'organisation du travail est une composante importante du métier d'enseignant, en un double sens :

Même si le système éducatif décide des programmes, de la grille horaire, des espaces scolaires, des moyens d'enseignement, il ne prescrit pas dans le détail les activités de l'enseignant, encore moins celle des élèves. Cette autonomie s'accroît lorsque les programmes sont valables pour une année ou un cycle pluriannuel, laissant aux enseignants la maîtrise de l'ordre des choses. Ou encore lorsque la grille horaire devient indicative, exigeant un équilibre global entre les disciplines plutôt qu'un temps compté à la minute chaque semaine à heure fixe.

Un enseignant fait donc un immense travail d'organisation de ses propres interventions et plus globalement des activités de ses élèves, en classe ou à la maison. Pour comprendre comment il s'y prend, il faut évidemment aller au-delà de l'observation directe, car ses décisions traduisent au moins en partie une conception pédagogique et didactique.

Dans chaque métier, le choix du style et du genre reste ouvert, mais le métier d'enseignant crée sans doute - au moins potentiellement - une autonomie plus large, non pas seulement quant à l'interprétation des finalités, mais quant aux modalités de travail efficace pour enseigner et faire apprendre.

Dans la mesure où l'organisation de son propre travail a de moins en moins besoin d'être consignée dans un cahier et justifiée dans son détail à l'intention de la hiérarchie, elle tend à relever d'une routine que l'enseignant a du mal à expliciter. Peut-être l'aiderait-on à expliciter sa manière d'organiser le travail en l'interrogeant sur les consignes qu'il donne à un remplaçant. Il lui délègue certaines activités, mais en prenant soin de verbaliser leur agencement précis et leurs conditions de réussite. Il renonce à déléguer d'autres activités à une remplaçant, pressentant qu'il " ne sera pas capable " de les gérer. Cette incapacité relève pour une part de l'organisation du travail, notamment lorsqu'elle exige une part de flexibilité ou de régulation en cours de route.

En s'intéressant aux remplaçants et aux consignes qu'ils reçoivent, on se rapproche de la méthode de " l'instruction au sosie " développée par Oddone (Oddone, I. et al. Redécouvrir l'expérience ouvrière, vers une autre psychologie, Paris, Éditions sociales, 1981) et reprise par Clot (Clot, Y. Le travail sans l'homme. Pour une psychologie des milieux de travail et de vie, Paris, La Découverte, 1995).L'idée est simple : en donnant à un sosie toutes les instructions nécessaires pour qu'il puisse faire mon travail à ma place, sans que nul ne remarque la différence, je suis conduit à expliciter ce qui d'ordinaire va sans dire et à prendre conscience de ce qui me différencie des autres travailleurs faisant le même job, un style personnel, voire un genre si le travail en autorise plusieurs. Cette méthode ne se limite par à l'organisation du travail.

Dans le même ordre d'idée, les indications données à un stagiaire pourraient mettre sur la voie d'un certain nombre d'éléments importants aux yeux du titulaire.

À l'inverse, analyser les stratégies d'un remplaçant ou d'un stagiaire pour " faire avec " l'organisation du travail dont il hérite pourrait rendre certaines contraintes plus visibles et mettre en évidence ce qui le conduit à décider, parfois, de s'écarter de l'organisation formelle du travail, par exemple pour introduire en début de matinée un moment d'accueil non prévu.

 

" L'organisation, c'est les autres "

Dans certains métiers, l'organisation du travail par la hiérarchie, les ingénieurs ou un " bureau des méthodes " masque le fait que l'organisation du travail est aussi le fait des opérateurs. Dans le métier d'enseignant, c'est peut-être l'inverse. L'enseignant a tant de décisions d'organisation à prendre qu'il ne mesure pas toujours que nombre d'autres décisions ont été prises en amont, par d'autres acteurs.

Étudier l'organisation du travail, ce serait donc analyser une chaîne de décisions prises à des niveaux différents du système, les premières au plus haut niveau, les dernières par le travailleur lui-même, en train d'organiser son propre travail.

Si la part du dernier maillon de la chaîne est un indice de professionnalisation, alors on doit conclure à une forte professionnalisation du métier d'enseignant, au moins dans la sphère de l'organisation du travail…

Peut-être, pour nuancer le tableau, faut-il prendre en compte la dimension " stratégique " et la portée des décisions. On pourrait formuler un ensemble d'hypothèses :

1. Le système éducatif laisse à l'initiative de l'enseignant un nombre impressionnant de décisions en matière d'organisation du travail, mais ces décisions sont confinées à un espace-temps de formation - la classe - entièrement délimité par le système.

2. Dans cette enceinte, les décisions d'organisation sont fortement contraintes par le matériel pédagogique, la grille horaire, le programme, l'ameublement, la place disponible, les règlements, sans compter les contraintes qui ne s'ancrent pas dans des décisions institutionnelles mais dans la culture professionnelle, les attentes des parents, les habitudes des élèves, la configuration des lieux.

3. Les décisions à prendre dans cet espace-temps, aussi confiné et contraint soit-il, demeurent assez nombreuses et exigent assez d'ingéniosité pour donner à l'enseignant l'impression d'être " seul maître à bord ", d'assumer de fortes responsabilités et d'organiser son travail largement à sa guise.

4. La plupart des enseignants ne revendiquent donc pas un pouvoir plus grand sur l'organisation de leur travail et lorsqu'une réforme le leur propose, elle suscite une forte ambivalence.

On pourrait donc avancer l'idée que pour un enseignant, la grille horaire c'est les autres, le programme, c'est les autres, le système d'évaluation c'est les autres, mais que l'organisation de son travail et de celui des élèves, c'est lui. Et que cela suffit à son "bonheur ", sauf dans les moments de découragement, lorsque le système est le bouc émissaire bienvenu.

 

Un équilibre menacé par les cycles pluriannuels

L'introduction de cycles d'apprentissage peut - cela dépend de leur conception - instituer de plus vastes espaces-temps de formation et éventuellement les confier à des équipes.

Les raisons d'une telle innovation sont portées par la noosphère, les mouvements pédagogiques, les enseignants innovateurs. Que se passe-t-il lorsque ce nouveau mode d'organisation de l'école est proposé ou imposé à large échelle ?

Au moins dans un premier temps - l'avenir dira si cette phase peut-être dépassée - la réforme paraît engendrer dans certaines écoles plus d'angoisse que de satisfaction. Cette angoisse naît d'une incompétence : les enseignants ne savent pas comment s'organiser à plus large échelle que la classe. Ils doivent soudainement prendre des décisions que le système prenait jusqu'alors à leur place, des décisions relatives notamment :

Il existe deux positions de repli :

Dans les deux cas, rien d'essentiel ne change, l'angoisse est contenue, mais les cycles n'atteindront probablement pas leur but !

Il apparaît donc essentiel d'étudier de plus près les contradictions entre les aspirations des enseignants et ce que les réformes leur proposent, de manière générale, mais ici, plus spécifiquement, dans le domaine de l'organisation du travail.

Et il convient de prendre en compte le fait qu'une forme de plainte rituelle contre la bureaucratie et les décisions du système ne peut être entendue comme une réelle revendication d'un plus grand pouvoir dans l'organisation du travail. On peut râler sans souhaiter que le système change, en particulier si cette distance critique se double de la satisfaction de savoir ruser avec les prescriptions et les contraintes lorsqu'elles sont vraiment gênantes, en fin de compte assez rarement.

Les réformes qui modifient l'organisation formelle du travail ressemblent à un cadeau empoisonné et ne vont pas au devant des vœux de la majorité des enseignants, quand bien même pu peut-être parce qu'elles valorisent l'autonomie et se réclament de la professionnalisation du métier.

 

Deux niveaux d'organisation du travail dans l'enseignement

Le travail de l'enseignant est organisé par le système, qu'il s'en rende compte ou non. Mais sa tâche consiste aussi à organiser le travail des élèves.

Selon le point de vue, il est donc dépendant d'une organisation du travail conçue par d'autres ou concepteur d'une organisation du travail à laquelle d'autres acteurs doivent se plier.

De ce point de vue, même si les élèves ne sont pas des salariés, l'enseignement s'apparente à tout métier qui donne à celui qui l'exerce la responsabilité d'un personnel dont il doit organiser le travail. Chefs de bureau, de service, d'équipe, d'atelier, de chantier et contremaîtres de tous genres sont des organisateurs du travail de leurs subordonnés, puisque leur tâche - c'est aussi un travail - consiste à faire travailler ceux qui assurent la production.

Ici, les élèves assurent une production très particulière, leurs propres apprentissages et avant cela la réalisation des fiches, problèmes, exercices, textes, graphiques, objets artisanaux et autres produits visibles d'une activité mentale censée provoquer un développement durable.

Il se peut que ce pouvoir d'organisation du travail des élèves conduise les enseignants à surestimer leur pouvoir sur l'organisation de leur propre travail. On peut avancer l'hypothèse que les enseignants sont très conscients d'être les auteurs-concepteurs d'une organisation du travail, alors que l'organisation de leur propre travail par le système est moins clairement perçue et exprimée dans ces termes.

Toutefois, entre démarches didactiques et gestion de classe, l'organisation du travail des élèves n'apparaît pas un registre autonome de l'action professionnelle, doté d'un langage et de concepts spécifiques. C'est ainsi qu'il n'existe guère de modèles " théoriques " de l'organisation du travail, avec des critères généraux de rationalité, de lisibilité ou d'efficacité. Il existe plutôt des dispositifs pragmatiques, par exemple le plan de travail, la recherche en équipe ou la circulation des élèves entre divers " ateliers ", dispositifs que chacun adapte librement à sa classe.

Sans doute est-ce pourquoi l'organisation du travail est pensée essentiellement à l'aide de concepts pédagogiques ou didactiques : cours frontal, exercices, plan de travail, situations-problèmes, démarches de recherche, projets, dévolution des problèmes, institutionnalisation du savoir, etc.

Il est vrai qu'une orientation pédagogique globale - pédagogie conventionnelle, pédagogie active, pédagogie coopérative, pédagogie par objectifs, etc. - influence le type de décisions à prendre à propos de l'organisation du travail des élèves. Un enseignant qui ne fait presque jamais de leçons n'aura pas à les calibrer et à les associer à des exercices ad hoc, un enseignant qui ne travaille jamais par projets n'aura pas à faire coexister cette démarche avec des activités plus " scolaires ", etc. Il reste à comprendre comment, à l'intérieur d'une orientation pédagogique et didactique globale donnée, un enseignant organise dans le détail le travail de ses élèves, compte tenu du type d'activités qui lui paraissent pertinentes.

Il se peut que l'efficacité d'un enseignant dépende de l'organisation de son travail et de celui de ses élèves à l'intérieur du modèle pédagogique ou didactique global qu'il se donne, davantage que de ce modèle lui-même… On peut en effet imaginer une pédagogie " traditionnelle " où le travail est organisé de telle sorte que les élèves sont constamment actifs et une pédagogie " nouvelle " où le travail est organisé de telle sorte que les élèves sont souvent inactifs…

On peut faire l'hypothèse que, dans la culture professionnelle des enseignants, l'organisation du travail concerne la mise au travail de tous les élèves en parallèle, sur des tâches semblables ou différenciées, davantage que la micro-organisation du travail au sein de chaque situation didactique. Le séminaire pourrait aller nettement plus loin dans cette direction.

Dans une approche systémique, il n'y a aucune raison de dissocier ces deux niveaux d'organisation du travail, celui du maître dont le système organise le travail et celui du maître qui organise le travail des élèves. On ne peut en revanche leur appliquer les mêmes hypothèses. Il serait donc sage, dans la suite des travaux :

Le double système d'action considéré est le même, mais on ne l'interroge pas dans la même intention.

Le séminaire de recherche de LIFE a été au départ conçu dans le contexte des cycles, donc en se référant plutôt au travail des enseignants, mais rien n'empêche d'élargir la problématique à l'organisation du travail des élèves.

 

La suite des travaux

Il est décidé de continuer le travail par études de cas, en commençant par se centrer sur le travail organisant/instituant.

Quatre personnes proposeront chacun un mémo rendant compte d'un moment d'organisation du travail d'autres personnes : Michèle Bolsterli, Andreea Capitanescu, Danièle Périsset Bagnoud, Olivier Maulini.

Ces mémos seront discutés le mercredi 29 mai 2002. Merci de les diffuser par E-Mail au plus tard le 22 mai, pour permettre à chacun de les lire.

On enchaînera en autome avec une autre série de mémos adoptant un autre angle d'attaque.

Dans l'intervalle, le 19 juin, pour mettre à profit la venue de Richard Etienne (Université de Montpellier), le séminaire se structurera à partir de son intervention initiale sur l'organisation du travail, telle qu'il la problématise à partir de ses propres travaux.

12 mai 2002


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